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Le scandale Khaled Krichi

Service IA, Business News

Par Raouf Ben Hédi

Depuis vendredi, une violente campagne de dénigrement s’est abattue sur Khaled Krichi, avocat, figure du parti Echaâb et ancien vice-président de l’Instance Vérité et Dignité (IVD). Les pages partisanes de Kaïs Saïed affirment qu’il a été interdit de voyage et accusé de corruption pour des faits liés à sa gestion de l’IVD. Si ces attaques s’inscrivent clairement dans une logique de diversion politique, pour faire oublier la crise de Gabès, elles révèlent néanmoins des zones d’ombre réelles, notamment un conflit d’intérêts flagrant dans le dossier de l’homme d’affaires Lazhar Sta, ainsi que des irrégularités avérées dans le rapport final de l’Instance.

Depuis vendredi dernier, les pages propagandistes proches du régime de Kaïs Saïed ont déployé une offensive coordonnée contre Khaled Krichi.

Elles publient un texte détaillé, rédigé dans un ton faussement judiciaire, citant noms, chiffres et dates, et accusant principalement trois figures : Khaled Krichi, Sihem Ben Sedrine et Mabrouk Korchid.

La narration est maîtrisée, la cible claire : démontrer que la justice transitionnelle, incarnée par l’IVD, n’était qu’une façade de corruption et de compromission.

Mais derrière la mise en scène, une confusion majeure trahit le caractère politique de cette campagne.

Les pages en question accusent Mabrouk Korchid d’avoir participé à la falsification du rapport final de l’Instance. Or, cette affirmation est fausse : Korchid n’a jamais été membre de l’IVD, il était ministre des Domaines de l’État à l’époque et, à ce titre, réceptionnaire du rapport, non auteur de celui-ci.

Les propagandistes cherchent à gonfler artificiellement la gravité de l’affaire, en impliquant une personnalité ministérielle pour donner l’illusion d’un scandale d’État.

Les vrais falsificateurs

La réalité est plus simple et plus grave à la fois : la falsification du rapport final de l’IVD est bien réelle, mais elle n’a pu être commise que par ceux qui en avaient le contrôle matériel, à savoir Sihem Ben Sedrine et Khaled Krichi.

Les deux versions du rapport sont publiques : l’une, publiée dans le Journal officiel de la République tunisienne, et l’autre, diffusée sur le site de l’IVD.

Elles diffèrent sur des passages essentiels, notamment ceux relatifs aux affaires économiques et à la restitution des biens confisqués.

Les Tunisiens ont donc pu constater par eux-mêmes l’altération du document officiel d’une institution censée œuvrer pour la vérité.

C’est sur cette base que l’ancienne membre de l’IVD, Ibtihel Abdellatif, a déposé sa plainte et c’est justement cette plainte qui a refait surface vendredi dernier.

Le double rôle explosif de Khaled Krichi

Au-delà du rapport falsifié, c’est le dossier Lazhar Sta qui cristallise la polémique. Figure célèbre du milieu des affaires, M. Sta était un proche de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali et associé de son beau-frère Belhassen Trabelsi. C’est à ce titre que son dossier est traité à l’IVD.

Les documents évoqués par les pages partisanes de l’actuel régime révèlent une incompatibilité éthique et professionnelle flagrante :

Khaled Krichi a été à la fois l’avocat de Lazhar Sta et le responsable chargé de son dossier à l’IVD.

Autrement dit, le même homme plaidait pour M. Sta dans son cabinet d’avocats tout en statuant sur son cas dans une commission d’arbitrage et de réconciliation censée défendre l’intérêt de l’État.

Un mélange des genres qui, dans n’importe quelle démocratie, aurait déclenché un séisme.

Même si l’IVD n’était pas une juridiction classique, elle exerçait des fonctions quasi-judiciaires : recevoir des requêtes, instruire des dossiers et conclure des accords transactionnels au nom de l’État tunisien.

Dans ce cadre, le cumul d’intérêts privés et publics tombe sous le coup des dispositions pénales relatives à la concussion et à la corruption.

D’après les pages propagandistes de l’actuel régime, les cachets professionnels de Khaled Krichi et de son épouse, Samah Khamassi, figureraient d’ailleurs sur des pièces du dossier Sta, traitées parallèlement par le cabinet de Krichi et par la commission qu’il présidait.

Le dossier de Lazhar Sta concernait des sommes colossales et des intérêts économiques majeurs.

Sous la supervision de M. Krichi, l’IVD aurait conclu un accord transactionnel fixant à 115 millions de dinars la compensation due à l’État, en échange de l’abandon de toutes les poursuites contre M. Sta.

Une décision aujourd’hui entachée d’un doute profond : a-t-elle été négociée dans l’intérêt public ou dans celui du cabinet de l’avocat qui en pilotait la conclusion ?

Les autres affaires et le rôle d’Ibtihel Abdellatif

Le scandale ne s’arrête pas à Lazhar Sta.

Les mêmes publications évoquent un second dossier, celui de Slim Chiboub, gendre de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali.

L’accord de réconciliation conclu en mai 2016, d’un montant de 307 millions de dinars, aurait, selon ces accusations, subi des manipulations procédurales : ajouts non autorisés, modifications du guide de procédure, et décisions supplémentaires permettant la restitution d’avoirs confisqués à certaines familles proches du régime déchu.

L’origine de ces révélations remonte à 2018, lorsqu’une membre de l’IVD, Ibtihel Abdellatif, a adressé un courrier officiel pour dénoncer les pratiques internes de la commission d’arbitrage et de réconciliation, présidée alors par M. Krichi.

C’est elle qui a soulevé la question du conflit d’intérêts entre le rôle d’avocat et celui d’arbitre.

À l’époque, ses accusations avaient été accueillies avec scepticisme, mais elles refont aujourd’hui surface dans un contexte politique explosif.

La riposte de Khaled Krichi

Face à l’ampleur de la campagne et la gravité des accusations, Khaled Krichi a réagi rapidement.

Dans un communiqué publié vendredi, trois heures après les premières publications, il rappelle que l’interdiction de voyage dont il fait l’objet remonte à juillet 2021, et qu’elle a été prononcée sans convocation ni audition, en violation des principes élémentaires de droit.

Il précise que l’affaire a été ouverte en 2020, à la suite d’une plainte déposée par une ex-membre de l’IVD “appartenant à un parti alors au pouvoir” et affirme que cette procédure a été instrumentalisée pour des raisons politiques.

Me Krichi dénonce une campagne orchestrée pour détourner l’attention des véritables crises du pays, notamment le scandale écologique de Gabès.

Il y voit une opération classique de diversion, où le pouvoir exhume de vieux dossiers pour se donner l’image d’un État “en guerre contre la corruption”.

Fidèle à son style, il rappelle son engagement constant pour les libertés et les droits de la défense, citant les affaires Lassad Yakoubi, Sonia Dahmani, Ahmed Souab, Borhen Bssais ou encore Mehdi Zagrouba.

Et conclut son texte sur une formule qui sonne comme une devise :

« Celui que les ouragans n’ont pas déraciné ne sera pas ébranlé par de simples vents passagers. »

Mais dans cette défense de Me Krichi, un élément frappe : il ne répond à aucune des accusations précises.

Ni au cumul de fonctions, ni à la falsification du rapport.

Il se retranche derrière son militantisme, sans aborder le fond des faits reprochés. De prime abord, il dit qu’il ne va pas parler du fond des affaires, or c’est le fond de ces affaires qui intéresse le plus l’opinion publique.

Une diversion politique en pleine tempête

Mais là où Khaled Krichi a raison, c’est quand il aborde le timing de cette énième polémique. Un timing qui ne laisse place à aucun doute quant à la tentative du régime de lancer un contre-feu en dépoussiérant de vieux dossiers.

Alors que le régime subit de plein fouet les critiques liées à la catastrophe environnementale de Gabès, les pages du pouvoir réaniment un dossier ancien, mêlant corruption, mémoire nationale et figures politiques connues, pour détourner la colère publique.

L’opération vise à donner l’image d’une justice implacable, qui ne ferait plus de distinction entre amis et adversaires.

Mais le résultat inverse s’impose : une séquence brouillonne, où la désinformation se mêle à des faits partiellement vrais, et où les accusations les plus grotesques — comme celle visant un ancien ministre pour un rapport qu’il n’a jamais rédigé — finissent par discréditer encore davantage le discours officiel.

La justice transitionnelle, déjà fragilisée par les dérives de l’IVD et des manipulations grotesques de sa présidente Sihem Ben Sedrine, ressort de cet épisode, plus abîmée que jamais, symbole d’une vérité manipulée à des fins politiques.

Et le régime, en tentant d’étouffer un scandale par un autre, révèle son impuissance à gouverner autrement que par la diversion.

Cinq ans d’enquête, et toujours pas de verdict

Reste une question centrale : comment une affaire ouverte en 2020 en est-elle encore au stade de l’instruction en 2025 ?

Pourquoi la justice, qui a eu le temps d’interdire à Me Krichi de voyager, n’a-t-elle toujours pas statué sur le fond ?

Ce silence judiciaire nourrit deux lectures contradictoires.

La première : un dossier vide, exploité par le pouvoir à des fins politiques, mais impossible à juger faute de preuves solides.

La seconde : un dossier sensible, que la justice préfère ne pas trancher, de peur d’ébranler un symbole de la gauche nationaliste et de la justice transitionnelle.

Entre les deux, un constat s’impose : le régime de Kaïs Saïed utilise de vrais dossiers judiciaires comme armes politiques.

Les affaires sont réelles, mais elles sont suspendues, manipulées, réactivées à la demande, au gré des besoins du moment.

Une justice instrumentalisée, une crédibilité perdue

Sur le fond, nul ne sait si Khaled Krichi est coupable ou innocent.

S’il est coupable, il est anormal qu’il n’ait pas été jugé depuis cinq ans et qu’il continue d’occuper les devants de la scène politique et médiatique.

S’il est innocent, il est doublement victime : sali par les propagandistes et puni par une interdiction de voyage sans fondement judiciaire solide.

Ce qui est sûr, c’est que la lenteur de la justice tunisienne permet toutes les manipulations.

Et qu’en l’absence de décision claire, le régime peut entretenir la suspicion à volonté, transformant un vide judiciaire en outil de propagande.

C’est là tout le paradoxe de la Tunisie actuelle : un État qui dit combattre la corruption, mais qui se sert de la justice comme d’un instrument politique — et laisse les véritables verdicts en suspens.

Raouf Ben Hédi

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2 commentaires

  1. Life Compass

    28 octobre 2025 | 21h24

    Peut être faudrait il bien vérifier que parlez de milliers de dinars et non de millions de dinars…?

  2. zaghouan2040

    27 octobre 2025 | 14h43

    Ucellai et Ucellini come dirait le regretté TOTO
    Personne n’est innocent et les vraies victimes sont les persécutés du régime benali et accessoirement le peuple tunisien