Deux informations ont, entre autres, marqué la semaine dernière. L’une a enflammé les débats sous nos cieux, l’autre a embrasé l’autre côté de la planète.
La hausse des tarifs des médecins a fait couler beaucoup d’encre et attisé une tension déjà bien présente contre ceux qui seraient « mieux nantis ». Les Tunisiens, déjà accablés par les loyers, les frais scolaires, les cours particuliers des enfants, l’essence, l’électricité, les bonbonnes de gaz, les légumes, la viande, le café… se retrouvent secoués par l’augmentation des honoraires de leur médecin de famille. Non, pas qu’ils soient particulièrement enthousiastes à l’idée de passer un mauvais quart d’heure chez l’urologue, de patienter pendant quatre heures dans le cabinet de l’orthopédiste ou de se retrouver – Dieu nous en préserve – entre les mains du dentiste. La vérité est plus simple : aller chez le médecin, c’est un mal nécessaire. Douloureux physiquement oui, mais encore plus dans ce portefeuille, déjà bien malmené.
Une hausse des tarifs justifiable mais douloureuse
Les médecins, quant à eux, s’agitent et défendent leur « hausse tout à fait logique », leur « investissement d’une vie » et dénoncent « les injustices subies par les internes et résidents ». Rien de choquant dans tout ça. Ils ont évidemment raison de faire ce calcul.
Mais le problème n’est pas tant le pourquoi de l’augmentation, qui reste justifiable dans un monde où tout flambe. Le souci, c’est que pour beaucoup de Tunisiens, se rendre chez un médecin privé est une quasi-obligation, une fatalité.
Un système de santé à réformer d’urgence
Comme dans bien d’autres secteurs, les professionnels de santé se retrouvent pris entre l’étau d’une vie chère et l’enclume d’un patient obligé de venir consulter. Mais, ce n’est pas qu’une histoire de médecins. Prenez les taxis : boucs émissaires d’un pays où les transports publics sont une fiction, ces derniers aussi payent les frais d’un système public défaillant.
Patients et médecins doivent faire face à l’effondrement d’un hôpital public moribond et à la jungle des cliniques privées, où l’accès à des soins de qualité devient un luxe. Et aux citoyens désarmés, on recommande de se tourner vers l’hôpital public. Qu’est-ce qui les attend ? Du matériel vétuste, un personnel surchargé et tendu, des rendez-vous à rallonge…
Qui est responsable dans tout ça ? Certainement pas les citoyens, qui payent des impôts pour un service auquel ils n’ont même pas accès. Mais ce n’est pas non plus la faute des médecins, qui travaillent dur pour récolter le fruit de leurs sacrifices. À quand une vraie réforme pour un service de santé digne de ce nom, qui ne laisse ni les médecins ni les patients sur le bord du chemin ?
Incendies en Californie : la quête de justice divine à travers la souffrance des autres
La deuxième information marquante de la semaine nous vient tout droit de Californie, là où d’impressionnants feux ravageurs ont dévasté une partie de Los Angeles et de Hollywood. Les flammes ont dévoré des immeubles et des maisons, faisant, pour l’instant, 24 victimes humaines. Le mythique Sunset Boulevard a été englouti, Pasadena, Pacific Palisades et Runyon Canyon ont perdu leur splendeur cinématographique sous les cendres. Quant à Malibu, elle n’a plus rien du décor de Barbie ; elle a été désormais transformée en village de pompiers. L’horreur absolue. Et pourtant, certains jubilent et se délectent de la sombre souffrance des autres.
Pour eux, cette catastrophe naturelle, causée par les vents de Santa Ana, serait l’arme de Dieu pour infliger son châtiment à des pêcheurs. Une pensée qu’on peine à comprendre, et pourtant, elle trouve même sa justification.
L’horreur de la guerre à Gaza a fait perdre la boussole à certains. Les images insoutenables, traumatisantes et qui ne s’effaceront jamais d’enfants et d’adultes déchiquetés ont nourri une haine noire vis-à-vis de ceux-là même qui cautionnent, qui justifient et qui financent. Une haine aveuglante qui, au lieu de questionner l’humain dans l’Homme, elle fait ressortir ce qu’il y a de pire en lui. La réalité est certes moins palpitante. Celle de croire à une catastrophe naturelle qui n’a obéi à aucune logique, brûlant sans ménagement, en plus des habitations, des synagogues, des églises catholiques et protestantes et une mosquée…
La schadenfreude : une dérive morbide face à la catastrophe
Mais, il n’est en effet pas propre au peuple tunisien de croire en un retour de karma, en une justice divine qui ferait subir « les conséquences de ses actes » à une personne « se croyant intouchable et hors d’atteinte ».
Cette petite perle de joie malveillante porte le sombre nom de schadenfreude et elle se nourrit de notre plus beau fantasme : celui de voir les injustices réparées, comme si le monde était une gigantesque série télé où tout se règle en 45 minutes. Elle se nourrit de l’espoir de voir, enfin, les injustes payer pour leurs actes et de cette frustration mordante d’être impuissant face à un drame. Elle s’alimente également du manque d’empathie envers ceux qui nous paraissent étrangers, et de la douce illusion d’appartenir à un groupe ou à une cause supérieure, moralement irréprochable. Sans oublier son ingrédient secret : une bonne dose d’ignorance pour faire passer le tout…