Tenter une évaluation des performances – s’il y en a – de l’économie tunisienne durant l’année 2024 constitue actuellement une tâche ardue en raison de l’énigmatique rareté des statistiques macroéconomiques les plus récentes. Les estimations économiques 2024 et les prévisions 2025 sont parcellaires sinon inexistantes, ne permettant pas de dégager une vision globale de l’économie du pays et la manière avec laquelle elle évolue. C’est visiblement le cas des cinq critères fondamentaux de performance d’une économie que sont la croissance, l’inflation, la politique budgétaire et les performances du marché boursier.
Croissance économique : un ralentissement préoccupant
Qu’en est-il de la croissance économique en 2024 et des perspectives 2025 ? Le taux de croissance devrait atteindre 1,6%, selon le ministre de l’Économie et de la Planification, alors que l’objectif était fixé à 2,1%. Une maigre croissance si l’on ne tient pas compte d’un effet de rebond après le 0% de croissance enregistré en 2023.
Une croissance qui couvre à peine le croît naturel de la population tunisienne. Et pour cause, elle ne repose que sur la consommation. Or celle-ci semble atteindre ses limites du fait inflationniste et de son impact en termes de revenu réel et donc de pouvoir d’achat. Les autres moteurs de la croissance, que sont les exportations et l’investissement, affichent, quant à eux, des résultats préoccupants pour ne pas dire alarmants.
Le déficit de la balance commerciale s’est creusé de près de deux milliards de dinars supplémentaires par rapport à 2023. Certes, on est loin de l’épouvantable déficit commercial de 2022 avec un solde négatif dépassant les 25 milliards. Néanmoins, on risque de s’y acheminer.
Quant à l’investissement, matrice de la croissance future, les données de l’APII (Agence de Promotion de l’Investissement et de l’Innovation) sur les intentions d’investissement sont tellement fragmentées que l’on ne peut absolument pas faire une idée précise sur l’évolution de cet indicateur.
À la fin du 1er semestre 2024, les intentions d’investissement ont enregistré un recul de plus de 25% par rapport à la même période de 2023. Voilà que les intentions d’investissement affichent une progression de près de 10% en année pleine. Franchement, il y a de quoi s’interroger sur ce retournement inespéré de conjoncture de l’investissement.
Compte tenu de ces constats, peut-on raisonnablement espérer une croissance au taux de 3,2% en 2025 comme le prévoit le gouvernement ? En tout cas, ce n’est pas la loi de finances pour l’exercice 2025 qui y contribuera, mais des réformes audacieuses qui libèrent les énergies par le libre accès au marché et assainissent le climat des affaires par une lutte sans merci contre l’économie parallèle, la bureaucratie, la fraude et la corruption.
Or, rien ne semble entrepris dans ce sens. Bien au contraire, on semble prendre le chemin inverse à l’image de la réforme de la réglementation concernant l’émission de chèques qui risque de freiner sensiblement l’activité commerciale ou bien de l’abrogation de la réglementation concernant la détention de liquidités au-delà de 3.000 dinars. À cet égard, le décashing et la traçabilité du cash devront attendre.
Inflation et pouvoir d’achat : des perspectives incertaines
S’agissant de l’inflation, il convient de prendre acte du ralentissement du rythme inflationniste constaté durant l’année 2024. Cependant, le différentiel d’inflation avec nos partenaires et néanmoins concurrents extérieurs et principalement européens demeure important. Or seule une amélioration de la productivité conjuguée à une radicale réforme réglementant les circuits de distribution pourrait désormais freiner davantage l’inflation, toute chose étant égale par ailleurs. Malheureusement, des perspectives ne semblent pas se dessiner dans ce sens.
Chômage et emploi : une situation stagnante
S’agissant de l’emploi et son corollaire le chômage, la situation n’est nullement florissante compte tenu des statistiques d’emploi et de chômage de la fin du 3e trimestre 2024 publiées par l’Institut national de la statistique (INS). On demeure sur une crête de 16%. Plus de 40% des jeunes âgés de quinze à 24 ans sont au chômage. Le quart de nos diplômés de l’enseignement supérieur en souffre. On pouvait espérer que les dispositions incitatives à l’emploi contenues dans la loi de finances 2025 seraient susceptibles d’infléchir la tendance, mais c’est sans compter sur la réforme réglementant l’emploi en sous-traitance qui, elle, risque d’amplifier la courbe du chômage plus que de l’atténuer.
Par ailleurs, quelle lecture pourrait-on tirer de la politique budgétaire et plus généralement de la gestion des finances publiques ? Lorsqu’on affiche un déficit primaire, c’est-à-dire les ressources propres par rapport aux dépenses ordinaires équivalant à 2,5% du PIB, il est clair que l’État vit encore au-dessus de ses moyens et que le besoin d’endettement n’est pas prêt de s’estomper. Selon les données sur l’exécution du budget à fin novembre 2024, l’État aurait besoin de 6,7 milliards de dinars pour boucler son budget et espérer atteindre un objectif de déficit de 10,4 milliards de dinars et 6,3% du PIB. L’aurait-il atteint ? Le mystère sera complet jusqu’à la publication de l’exécution du budget en année pleine. Or c’est à cette condition qu’une lecture plus objective peut être fournie sur le budget de l’État 2025.
Enfin, les performances boursières. Mercredi 16 janvier 2025, le management de la Bourse des valeurs mobilières organisait une conférence de presse de présentation du bilan du marché boursier en 2024. Les résultats sont spectaculaires. L’indice boursier a dépassé pour la première fois les 10 000 points. Sauf que rien n’empêche de penser que cette performance relève de la spéculation dès lors qu’elle ne reflète pas l’évolution de l’économie réelle. À ce propos, il est pour le moins curieux que les sociétés cotées évoluant dans le secteur du bâtiment et des matériaux de construction enregistrent une hausse de 14,5% de leur valeur alors que dans le même temps l’activité du bâtiment et des travaux publics est quasi-sinistrée. Le secteur de la construction a enregistré un recul de 3,3% durant les neuf premiers mois de l’année 2024 par rapport à la même période en 2023, qui elle affichait un recul de 4% par rapport à la même période en 2022.
De quoi sera faite l’année 2025 ? Bien audacieux celui qui osera une réponse.