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Benetton quitte la Tunisie : un départ silencieux qui en dit long sur le climat des affaires  

Par Maya Bouallégui

Le groupe italien Benetton annonce son départ menaçant d’un coup 3500 emplois directs et le double en emplois indirects. Malgré la gravité de la situation, malgré les grèves des employés et la panique des populations où se trouvent les usines de la marque italienne, le gouvernement brille par son silence. Pire, il continue à menacer les emplois et à envenimer le climat des affaires en parlant de réforme du code du travail et de la fin des CDD et de la sous-traitance.

La décision du groupe italien Benetton de fermer ses usines en Tunisie, annoncée fin décembre, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel déjà chargé de nuages pour l’économie tunisienne. Pourtant, cette nouvelle, qui menace directement 3500 emplois et des milliers d’autres indirects, n’a pas suscité la réaction immédiate et énergique que l’on pourrait attendre d’un gouvernement confronté à une crise sociale et économique majeure. Alors que dans d’autres pays, les autorités se mobilisent à la vitesse de l’éclair pour retenir les investisseurs, en Tunisie, le silence du ministère de l’Industrie et du gouvernement est assourdissant.

Les devoirs des gouvernements

Dans la plupart des pays industrialisés, l’annonce du départ d’un groupe comme Benetton aurait immédiatement déclenché une cascade de réunions d’urgence, de propositions d’incitations fiscales et de plans de sauvetage. En France, par exemple, l’État s’était mobilisé en 2008 pour tenter de retenir le groupe ArcelorMittal, allant jusqu’à impliquer des alliés européens pour faire pression sur le géant indien. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, était personnellement intervenu pour négocier avec Lakshmi Mittal, le PDG du groupe, afin de limiter les fermetures de sites et les suppressions d’emplois. Bien que l’aciérie de Gandrange ait finalement réduit ses activités, l’État français avait démontré une réactivité et une détermination sans faille pour protéger les emplois et l’économie locale.

Un autre exemple frappant est celui de l’usine Alstom de Belfort, en France. En 2016, face à la menace de fermeture du site historique, le gouvernement français avait déployé des efforts considérables pour convaincre Alstom de maintenir ses activités. Des discussions intensives avaient abouti à un accord incluant des commandes publiques supplémentaires pour les trains TGV, permettant de sauver des centaines d’emplois. Cette mobilisation avait montré que, face à une crise industrielle, l’État pouvait jouer un rôle clé en tant que médiateur et soutien financier.

En Allemagne, un cas similaire s’est produit avec le constructeur automobile Opel. En 2017, lorsque General Motors (GM) a annoncé son intention de vendre Opel, le gouvernement allemand et les syndicats se sont rapidement mobilisés pour garantir que les emplois et les sites de production soient préservés. Des négociations complexes ont abouti à la vente d’Opel au groupe PSA (Peugeot-Citroën), avec des garanties fortes sur le maintien des emplois en Allemagne. L’État allemand a également offert des incitations fiscales et des subventions pour faciliter la transition.

Une absence de réaction gouvernementale qui interroge

En Tunisie, rien de tel. Benetton, présent dans le pays depuis 2004, a pourtant été un acteur clé du secteur textile, employant des milliers de personnes dans des régions marginalisées comme Kasserine et Gafsa, où les opportunités d’emploi sont rares. La fermeture des usines de ces deux villes, ainsi que l’arrêt des activités de l’usine de Sahline à Monastir, plongeront des milliers de familles dans une précarité encore plus grande. Pourtant, à ce jour, aucune communication officielle du ministère de l’Industrie ou du gouvernement n’a été faite pour expliquer les mesures envisagées pour retenir Benetton ou atténuer l’impact de ce départ.

Cette inaction contraste fortement avec les déclarations du président de la République, qui veut réformer le code du travail visant à mettre fin aux contrats à durée déterminée (CDD) et à la sous-traitance. Il en a parlé à plusieurs reprises, jusqu’à hier jeudi 16 janvier 2025, assimilant la sous-traitance et les CDD à de l’esclavage.

Si ces mesures peuvent sembler louables sur le papier, elles risquent d’effrayer davantage les investisseurs étrangers, déjà confrontés à un climat des affaires difficile. Au lieu de rassurer les entreprises et de les encourager à investir, Kaïs Saïed semble envoyer des signaux contradictoires, voire contre-productifs.

Un impact économique et social dévastateur

La fermeture des usines Benetton ne se résume pas à la perte de 3500 emplois directs. Les emplois indirects, estimés au double, voire plus, sont également menacés. Dans des régions comme Kasserine et Gafsa, où Benetton était l’un des rares employeurs importants, l’impact économique sera dévastateur. Des commerces locaux, des restaurants, des cafés et même des propriétaires qui louaient des logements aux employés de Benetton verront leurs revenus s’effondrer.

Certains habitants, comme nous avons pu le constater à Kasserine et il y en a certainement ailleurs, avaient même construit des maisons spécifiquement pour loger les hauts cadres du groupe, une source de revenus qui disparaîtra avec le départ de l’entreprise. Ces régions, déjà en proie à un chômage élevé (le plus élevé du pays) et à un manque criant d’opportunités économiques, risquent de sombrer encore plus profondément dans la précarité.

Un signal négatif pour les investisseurs étrangers

Le départ de Benetton envoie un message alarmant aux autres investisseurs étrangers présents en Tunisie. Si un groupe de cette envergure, implanté depuis près de vingt ans, décide de fermer ses portes, c’est que le climat des affaires n’est plus attractif. Les raisons invoquées par Benetton – augmentation des taxes, coûts de production élevés, lourdeurs administratives – sont autant de signaux d’alarme que les autorités tunisiennes ne peuvent se permettre d’ignorer.

Pourtant, au lieu de prendre des mesures concrètes pour améliorer le climat d’investissement, le gouvernement semble se contenter de promesses et de slogans. Les négociations en cours avec Benetton pour tenter de sauver l’usine de Sahline, qui emploie 500 personnes, restent floues et sans garantie de succès. Cette absence de réaction rapide et déterminée risque de décourager d’autres entreprises étrangères, qui pourraient envisager de suivre l’exemple de Benetton.

Une occasion manquée pour la Tunisie

Le départ de Benetton est un coup dur pour l’économie tunisienne, mais c’est aussi une occasion manquée pour le gouvernement de démontrer sa capacité à réagir face à une crise. Alors que le monde entier se bat pour attirer les investissements étrangers, la Tunisie semble faire le contraire, en multipliant les obstacles et en envoyant des signaux contradictoires aux entreprises.

La réforme du code du travail, bien que nécessaire, doit être menée avec prudence pour ne pas effrayer les investisseurs. Parallèlement, le gouvernement doit mettre en place des mesures concrètes pour améliorer le climat des affaires, simplifier les procédures administratives et réduire la pression fiscale. Sans cela, la Tunisie risque de voir d’autres entreprises suivre l’exemple de Benetton, plongeant le pays dans une crise économique et sociale encore plus profonde.

Le rôle des syndicats et des travailleurs

Face à l’inaction du gouvernement, les syndicats et les travailleurs de Benetton ont pris les devants. Les employés de l’usine de Sahline ont entamé une grève pour défendre leurs droits et réclamer des garanties face à la fermeture annoncée. Cette mobilisation, bien que légitime, met en lumière le manque de soutien institutionnel dont bénéficient les travailleurs tunisiens.

Dans d’autres pays, les syndicats travaillent main dans la main avec les gouvernements pour négocier des solutions viables avec les entreprises. En Tunisie, les syndicats se retrouvent souvent seuls face à des décisions unilatérales, sans le soutien nécessaire pour peser dans les négociations. Cette situation accentue le sentiment d’abandon des travailleurs et des régions touchées.

Une vision à long terme nécessaire

Pour éviter que d’autres entreprises ne suivent le chemin de Benetton, la Tunisie doit adopter une vision à long terme pour son économie. Cela passe par une réforme en profondeur du système fiscal, une simplification des procédures administratives et une meilleure coordination entre les différents ministères concernés.

Le gouvernement doit également travailler à renforcer la confiance des investisseurs étrangers, en mettant en place des incitations claires et en garantissant une stabilité politique et économique. Sans ces mesures, la Tunisie risque de perdre non seulement Benetton, mais aussi d’autres entreprises essentielles à son développement économique.

En attendant, les 3 500 employés de Benetton, ainsi que les milliers d’autres dont les emplois dépendent indirectement du groupe, attendent des réponses. Mais pour l’instant, le silence des autorités tunisiennes est plus éloquent que toutes les déclarations. Le départ de Benetton est un signal d’alarme que la Tunisie ne peut se permettre d’ignorer. Il est temps pour le gouvernement de prendre des mesures concrètes pour retenir les investisseurs, protéger les emplois et relancer l’économie. Sinon, ce départ pourrait n’être que le premier d’une longue série.

Maya Bouallégui

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