L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a fait état de l’ « exécution » par les forces de sécurité, vendredi 7 mars 2025, de 134 civils alaouites dans la région de cette minorité musulmane dont est issu l’ex-président Bachar al-Assad.
Le directeur de l’OSDH a déclaré à l’AFP que « 134 civils alaouites, dont au moins six femmes, ont été exécutés par les forces de sécurité dans les régions de Banyas, Lattaquié et Jablé ». Quarante-cinq combattants fidèles à Assad et 50 membres des forces de l’ordre ont été tués, a-t-il ajouté, ce qui porte à plus de 200 le nouveau bilan des morts depuis la flambée des violences jeudi.
Après des affrontements depuis plusieurs jours dans la région de Lattaquié et Tartous, des bastions de la minorité alaouite, dans le nord-ouest du pays, la violence est montée d’un cran lorsque des fidèles d’Assad ont mené une attaque sanglante contre un convoi des forces de sécurité dans la ville côtière de Jablé dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les autorités.
Elles ont envoyé vendredi des renforts et lancé d’importantes opérations de ratissage dans la région, notamment à Qardaha, berceau du clan Assad, dans un contexte de violences sans précédent.
Un couvre-feu a ensuite été décrété jusqu’à samedi dans les régions de Lattaquié et Tartous, parallèlement aux opérations de ratissage.
Le rétablissement de la sécurité dans le pays profondément divisé est le défi le plus urgent pour le nouveau pouvoir, issu d’une coalition de groupes rebelles islamistes qui a renversé Bachar al-Assad le 8 décembre après plus de 13 ans de guerre civile.
« Rien de rassurant »
A Jablé, près de Lattaquié, un habitant en état de « batailles urbaines ». « Les gens restent enfermés chez eux. Tout le monde a peur. L’arrivée des véhicules militaires et des convois venus de partout n’a rien de rassurant », a déclaré cet homme, prénommé Ali, joint par l’AFP depuis Damas.
L’OSDH a affirmé que 134 Alaouites avaient été « exécutés » vendredi par les forces de sécurité dans deux localités proches de Lattaquié, al-Shir et al-Mukhtariya.
L’ONG et des militants ont publié des vidéos montrant des dizaines de corps en vêtements civils empilés dans la cour d’une maison, et des femmes pleurant à proximité.
Dans une autre vidéo, des hommes en tenue militaire ordonnent à trois personnes de ramper l’une derrière l’autre, avant de leur tirer dessus à bout portant.
Une troisième séquence montre un homme armé tirant à plusieurs reprises à bout portant sur un jeune homme en tenue civile à l’entrée d’un bâtiment, avant de l’abattre.
L’AFP n’a pas pu vérifier ces vidéos de manière indépendante.
De son côté, une source sécuritaire citée par l’agence officielle syrienne Sana a fait état d’ « exactions isolées » commises par des « foules (…) non organisées » en représailles à « l’assassinat de plusieurs membres des forces de police et de sécurité par les hommes fidèles à l’ancien régime ».
« Nous œuvrons à mettre un terme à ces exactions qui ne représentent pas l’ensemble du peuple syrien », a ajouté la source du ministère de l’Intérieur.
« Bain de sang »
Aron Lund, du centre de réflexion Century International, dit s’inquiéter d’une situation qu’il assimile à une « bombe à retardement ».
« Les deux camps ont l’impression d’être pris pour cible, les deux camps ont subi d’horribles exactions de la part de l’autre, et les deux camps sont armés », déclare-t-il à l’AFP.
L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, s’est dit « profondément alarmé » par les affrontements, appelant toutes les parties à « la retenue ».
Moscou, où Bachar al-Assad a fui, a appelé les dirigeants syriens à la « désescalade » et à « tout faire pour stopper le bain de sang ».
L’Arabie saoudite a condamné des violences commises par des « groupes hors-la-loi » contre les forces de sécurité. La Turquie et la Jordanie, frontalières de la Syrie ont également condamné ces violences.
Les forces syriennes comptent dans leurs rangs de nombreux anciens combattants de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le groupe islamiste fer de lance de la coalition qui a renversé Assad.
Des images diffusées par Sana ont montré vendredi des membres des nouvelles forces de sécurité entrant en pickup dans Baniyas et Tartous.
Sur d’autres images, prises par l’AFP à Al-Bab (nord), des combattants en treillis de l’Armée nationale syrienne, une faction pro-turque, se prépare à gagner Lattaquié en renfort aux nouvelles autorités.
Depuis jeudi, les combats ont fait 78 morts, dont 37 membres des forces de sécurité, 34 combattants armés et sept civils, selon l’OSDH.
A Jablé, les forces de sécurité ont capturé jeudi Ibrahim Houweïja, ancien chef des services de renseignement de l’armée de l’air, selon Sana.
Il est « accusé d’avoir commis des centaines d’assassinats » à l’époque d’Hafez al-Assad, père de Bachar al-Assad.
Jeudi soir, des habitants de la région d’Idleb, ancien bastion rebelle dans le nord-ouest, ont manifesté contre les partisans d’Assad.
« Il n’y a pas de pardon ou de réconciliation avec les restes du régime, car ils n’ont pas arrêté de nous tuer de sang-froid », a lancé l’un d’eux, Talal Homsi.
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