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De l’arrestation de Abdelaziz Makhloufi à la fuite de Adel Ben Romdhane, 2025 risque d’être pire que 2024 pour l’huile d’olive

Par Hassen Khemakhem et Maya Bouallégui

La Tunisie traverse l’une des pires crises de son histoire oléicole. Alors que la récolte de cette saison s’annonçait exceptionnelle, l’arrestation de plusieurs acteurs-clés du secteur suivie de la fuite à l’étranger d’un autre acteur-clé et des mesures gouvernementales jugées inadaptées ont plongé la filière dans le chaos. Entre faillites en cascade, dérèglement du marché et incertitude judiciaire, retour sur un épisode qui menace de fragiliser durablement l’une des principales sources de devises du pays.

Le secteur de l’huile d’olive, pilier de l’économie tunisienne, traverse une crise sans précédent en cette fin d’année 2024. Alors que la récolte s’annonçait exceptionnelle, avec une production estimée à 340.000 tonnes, les arrestations d’exportateurs clés, les interventions controversées de l’État et la chute des prix ont plongé la filière dans le chaos. Abdelaziz Makhloufi, PDG du groupe CHO et figure emblématique du secteur, a été arrêté en novembre 2024, suscitant des interrogations sur les motivations politiques et économiques derrière cette décision. Dans le même temps, Adel Ben Romdhane, un autre exportateur majeur, a fui le pays après avoir laissé derrière lui des dettes colossales et des centaines d’huileries au bord de la faillite. Cette crise, qui menace des milliers d’agriculteurs et des centaines de millions de dinars d’exportations, soulève des questions cruciales sur la gestion du secteur et l’avenir de l’huile d’olive tunisienne.

Un secteur en pleine tourmente

La Tunisie, quatrième producteur mondial d’huile d’olive, a longtemps tiré profit de ce « liquide or » qui représente près de 40 % de ses exportations agricoles. Cependant, la saison 2024-2025, qui devait être une année record, se transforme en cauchemar pour les acteurs du secteur. L’arrestation d’Abdelaziz Makhloufi, sur fond d’accusations de corruption et de blanchiment d’argent, a jeté un froid parmi les exportateurs. Selon des sources proches du dossier, Makhloufi aurait été arrêté pour des infractions douanières et fiscales, bien que les détails exacts restent flous. Son arrestation, intervenue à quelques jours du début de la récolte, a perturbé les opérations du groupe CHO, qui représente entre 40 % et 60 % des exportations nationales.

Adel Ben Romdhane : ascension et chute d’un grand exportateur

Adel Ben Romdhane, l’un des plus importants exportateurs d’huile d’olive en Tunisie, a bâti sa réputation sur un modèle différent de celui d’Abdelaziz Makhloufi, PDG du groupe CHO. À la tête de la société Borges, spécialisée dans l’achat, le conditionnement et l’exportation d’huile d’olive, il s’est distingué par sa stratégie consistant à d’abord décrocher des contrats à l’international avant de collecter l’huile en Tunisie, notamment à Sfax, Sidi Bouzid et Gafsa.

En 2023, il a réalisé des ventes records, achetant parfois l’huile jusqu’à 30 dinars le kilo, laissant une marge bénéficiaire confortable aux producteurs. Mais les premières difficultés sont apparues lorsque l’État a décidé de commercialiser l’huile d’olive à 15 dinars le litre dans les grandes surfaces. Sous pression, Adel Ben Romdhane a vu son accès à l’exportation restreint pour approvisionner le marché local, mettant en péril ses engagements internationaux. Acculé par les dettes et frappé par la nouvelle loi sur les chèques sans provision, il a fini par s’enfuir en Espagne, laissant derrière lui un marché en pleine tourmente.

Les répercussions de sa chute sont immenses. Selon Jeune Afrique, cette affaire a entraîné la faillite de plus de 300 huileries et mis en péril des dizaines de milliers d’emplois liés à la transformation et à l’exportation de l’huile d’olive. Les banques, largement exposées aux dettes de ces entreprises, sont elles aussi menacées par cette crise sans précédent. En tout, on estime à 500 millions de dinars les créances non remboursées de M. Ben Romdhane, ajoutant une pression supplémentaire sur le système financier tunisien.

De plus, la majorité des olives n’ont toujours pas été récoltées, ce qui constitue une catastrophe à moyen terme. Si les arbres ne sont pas taillés et entretenus à temps, la récolte de 2025 sera compromise. L’abondance exceptionnelle de la saison 2024, initialement une opportunité, s’est transformée en un fardeau impossible à gérer.

L’arrestation de Makhloufi : un coup de massue pour le secteur

En parallèle, l’arrestation d’Abdelaziz Makhloufi, PDG du groupe CHO et premier exportateur d’huile d’olive en Tunisie, a aggravé la situation. Placé en garde à vue depuis le 2 novembre 2024, il est accusé de blanchiment d’argent et d’exploitation abusive du domaine public. Officiellement, ces accusations font suite à une enquête sur la gestion du domaine agricole Chaâl, visité par le président Kaïs Saïed quelques jours avant son interpellation.

Cette arrestation a envoyé un signal de panique dans tout le secteur. Les autres exportateurs, craignant d’être inquiétés à leur tour, ont suspendu leurs activités, mettant à l’arrêt la machine oléicole tunisienne. L’absence de Makhloufi a eu des conséquences directes : les exportations, qui représentent 80 % de la production tunisienne, sont quasiment paralysées, et l’Office National de l’Huile (ONH), déjà en difficulté, se retrouve incapable d’absorber le surplus de production.

Une réaction gouvernementale tardive et inefficace

Face à cette crise, le gouvernement de Kamel Maddouri a tenté un coup de poker en ordonnant aux ministères et organismes publics d’acheter massivement de l’huile d’olive à l’ONH via leurs amicales et mutuelles. Objectif : résorber l’excès de production et soutenir les agriculteurs. Mais cette mesure a été jugée tardive et inefficace, d’autant que les fonctionnaires ne sont pas forcément en mesure d’acheter ces stocks et que les fonds publics destinés à cette opération sont limités.

Le limogeage du directeur de l’ONH, le 4 mars, a été annoncé dans l’espoir de redorer l’image des autorités, mais cette décision ne résout en rien le problème structurel. L’ONH, déficitaire de 400 millions de dinars n’a ni la capacité d’achat ni les infrastructures de stockage pour stabiliser le marché. Son incapacité à agir accentue le déséquilibre et repousse les solutions viables. Ce limogeage ressemble plus à désigner un bouc émissaire loin d’être l’unique responsable de la débandade.

Le chef du gouvernement n’a pris conscience de la gravité de la situation que très tardivement et ce n’est que le 7 mars  qu’il a présidé un conseil ministériel pour se pencher sur le sujet et prendre quatorze mesures qui se veulent révolutionnaires. À la lecture de ces mesures, il est clair que les agriculteurs ne doivent pas espérer rapidement le salut, tant le problème est complexe et tant le secteur est intimement lié à des exportateurs quasi monopolistiques qui ne sont plus dans le marché à cause de l’arrestation du premier et de la fuite du second.  Surtout, et c’est là où le bât blesse, il y a une véritable crise de confiance dont seul l’État tunisien est responsable. Cette crise touche les producteurs, les huileries, les banques, les exportateurs et les importateurs étrangers. Quelles que soient les mesures tardives prises par le gouvernement, elles ne pourront pas rétablir la confiance et, donc, ne peuvent pas être efficientes. Ce qui est certain, c’est que le limogeage du PDG de l’ONH ne dissipe en rien les doutes, c’est même tout le contraire, puisque l’État semble se dérober de ses responsabilités en désignant un bouc-émissaire parmi ses fonctionnaires pour endosser la responsabilité, comme il le fait souvent ces derniers temps.

Un secteur en péril et des perspectives sombres

La crise actuelle met en lumière les faiblesses structurelles du secteur oléicole tunisien. Malgré des années de performances solides à l’export, l’ingérence de l’État et l’absence de stratégie à long terme compromettent son avenir. Les prochaines saisons risquent d’être marquées par une baisse drastique de la production et une perte de parts de marché au profit d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie.

Pour sauver le secteur, plusieurs mesures sont nécessaires :

– Rétablir un climat de confiance pour les exportateurs en garantissant la sécurité juridique des transactions.

– Permettre la fixation des prix selon les règles du marché international.

– Moderniser l’ONH et lui donner les moyens financiers d’agir comme un véritable régulateur.

– Diversifier les marchés d’exportation pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’Union européenne.

En attendant, la Tunisie risque de voir son or vert perdre de sa superbe, victime d’une mauvaise gestion et de décisions politiques hasardeuses.

Hassen Khemakhem – Maya Bouallégui

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