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Non, je ne veux pas rentrer en Tunisie !

Par Monia Arfaoui

« Je ne rentre pas… je ne rentre pas… aaah je ne rentre pas ! »

C’est la phrase qu’un jeune Tunisien hurle, dont on distingue à peine les traits, tandis qu’on tente de le maîtriser et de le menotter, en vue de son expulsion forcée vers la Tunisie… Un cri de douleur, chargé d’une colère et d’une impuissance indescriptibles… Seul l’écho de ce cri continue de résonner dans mes oreilles comme un marteau qui condense tristesse et douleur profonde face à des êtres humains humiliés de manière aussi brutale, aussi inhumaine…

Un jeune qui, un jour de désespoir, s’est jeté à la mer à la recherche d’une vie digne de ce nom, une vie qu’il n’a jamais pu construire dans son propre pays… Après avoir perdu tous les moyens de satisfaire ses besoins les plus élémentaires chez lui, il a choisi de risquer sa vie pour poursuivre ses rêves, sans relâche… Il a subi l’humiliation pour ces rêves, dans des sociétés qui ne lui ressemblaient pas… Et le voilà aujourd’hui, menotté, ramené à la case départ… Là même où ses rêves ont été assassinés dès leur naissance.

Il revient parce que certains ont voulu qu’il revienne, privé de toute volonté et de toute dignité… Ils l’ont voulu ainsi, sans même ciller, sans penser à la tragédie que cela représente…

Il y a quelques jours, un jeune s’est suicidé pour refuser ce retour… Il a préféré la mort à une expulsion forcée… Quelle catastrophe vivons-nous là ? Vous vous rendez compte ? Il est mort, mais il n’est pas rentré !

Ils sont partis, porteurs de rêves… Ils ont traversé les mers sur des barques de la mort… Et ils reviennent menottés, chargés de déception et d’humiliation… Aucun pays n’a su accueillir leurs rêves, et aucun périple mortel ne s’est achevé comme ils l’espéraient… Ce n’est qu’une tragédie, rien d’autre !

Tous les pays d’origine traînent les pieds, hésitent, refusent avec courage de reprendre leurs ressortissants ayant réussi à franchir les frontières… Sauf nous : nous avons accepté leur retour, de cette manière honteuse…

Certains essaient de justifier l’injustifiable en invoquant un accord de rapatriement forcé signé en 2011… Une excuse plus moche que la faute elle-même… Certes, l’accord existe, mais il a été limité dans ses effets pendant des années… Aujourd’hui, il est renforcé, pleinement appliqué, sans aucune garantie… Nous n’avons pas été de bons négociateurs et avons échoué, comme toujours !

En mars 2011, alors que les événements étaient encore frais et que la nouvelle Tunisie cherchait sa boussole, Berlusconi a visité Tunis… Comme à son habitude, le Nord a proposé de l’argent au Sud en échange de rapatriements, après un afflux sans précédent de migrants tunisiens ayant profité du chaos sécuritaire post-révolution…

À l’époque, Béji Caïd Essebsi a tergiversé… puis il a cédé !

L’accord du 6 avril 2011 a été signé pour des expulsions forcées dites « sûres » !

Un accord révélé en 2016… On a alors découvert le nombre d’expulsés pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019, variant d’une année à l’autre entre 1200 et 1700 personnes, lors de vols directs… Malgré cela, cet accord ne visait que les personnes en infraction avec la loi dans le pays d’accueil, et les expulsions se faisaient dans des conditions relativement humaines…

Mais aujourd’hui, après que la Tunisie a levé tous les veto qui pouvaient freiner cet accord… après la signature de « l’accord Meloni »… toute gêne a disparu pour l’Europe, et la « chasse » aux migrants est devenue une routine quotidienne… Personne ne pleure ces jeunes qui ont risqué leur vie !

L’aéroport de Tabarka, abandonné et négligé, est devenu la porte du retour forcé… Des avions y atterrissent en vols directs… se débarrassent d’eux sur le sol natal… puis repartent. Certains s’effondrent… deviennent des cendres humaines… La majorité tente de repartir, par tous les moyens possibles… ! 

C’est le cercle infernal dans lequel se débattent ceux qui cherchent une vie qu’ils ne trouvent pas ici, dans le néant et l’absurde… sans que cela n’émeuve ceux qui gouvernent…

Les dirigeants européens, eux, tiennent leurs promesses envers leurs peuples pour résoudre la question migratoire… Ils font tout leur possible pour honorer leurs engagements électoraux… 

Tandis que nos dirigeants à nous ne reculent devant rien pour nous mettre aux enchères… 

Puis ils rédigent de longs discours pompeux, avec des mots étranges sur des patries qui protégeraient notre dignité… Des patries que nous ne connaissons pas, dont nous ne ressentons jamais la présence… Rien de plus que des phrases creuses, sorties tout droit de l’imaginaire de leurs auteurs !

* Par Monia Arfaoui, journaliste au quotidien arabophone Assabah

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