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La Tunisie serait-elle au bord de la déflation ?

Service IA, Business News

Par Maya Bouallégui

Depuis deux ans, l’inflation baisse en Tunisie. À première vue, cela pourrait passer pour une bonne nouvelle. Mais derrière ce reflux apparent se cache une réalité autrement plus inquiétante : l’économie est figée, la croissance est anémique, la demande intérieure est affaiblie, et le spectre de la déflation plane dangereusement. Tandis que Kaïs Saïed se félicite d’une situation alarmante, experts et institutions internationales tirent la sonnette d’alarme. Retour sur une glissade économique qui menace d’entraîner la Tunisie dans une spirale récessive.

Depuis mars 2023, la Tunisie enregistre un recul continu de son taux d’inflation. En janvier 2025, l’inflation est tombée à 6 %, contre 7,8 % un an plus tôt. Le ministère du Commerce s’en félicite, vantant les gels de prix, la prolongation des soldes, les promotions exceptionnelles et les plafonnements tarifaires comme des victoires de la politique publique.

En réalité, cette baisse est largement artificielle. Elle repose sur une intervention massive de l’État sur les prix administrés (viandes, œufs, carburants, céréales…) et sur des opérations de braderie commerciale. Aucune dynamique de production, aucun excédent d’offre naturelle n’explique cette tendance. Bien au contraire : la fragilité économique est masquée sous une couche d’apparente stabilité des prix.

La Banque centrale de Tunisie, dans son dernier rapport d’avril 2025, confirme ce diagnostic en notant que le ralentissement de l’inflation tient principalement à la chute des prix de l’huile d’olive — un phénomène purement conjoncturel — et à la politique de gel des prix. En clair : les fondamentaux économiques n’ont pas changé, et la pression sur les prix est en grande partie administrée.

Or, dans une économie saine, la désinflation devrait être le fruit d’une hausse de la productivité, d’une baisse des coûts de production, ou d’une amélioration de la compétitivité. Ce n’est nullement le cas aujourd’hui. Le pays connaît un refroidissement de la demande qui menace de le faire entrer dans une spirale déflationniste.

Une croissance sans moteur

À cette dynamique dégradée des prix s’ajoute une croissance économique anémique.

Selon les dernières données de l’Institut national de la statistique (INS), la Tunisie n’a enregistré qu’une croissance de 1,4 % en 2024, en deçà des attentes gouvernementales (1,6 %).

Les espoirs pour 2025 sont également modestes : la Banque mondiale prévoit 1,9 % de croissance, tandis que le Fonds monétaire international table sur seulement 1,4 %.

Bien loin de l’objectif affiché par le gouvernement de 3,2 %.

Pire encore : la Banque mondiale a révisé à la baisse ses prévisions en quelques mois à peine, passant d’une estimation de 2,2 % en janvier 2025 à 1,9 % en avril 2025. Le FMI, plus pessimiste, estime que la croissance restera inférieure à 1,5 % jusqu’en 2030.

La Tunisie figure désormais parmi les trois pays les moins dynamiques de la région MENA, avec l’Iran et l’Irak. La moyenne régionale attendue est de 3,7 % : presque le double de la performance tunisienne.

Cette stagnation est d’autant plus inquiétante qu’elle repose sur des bases extrêmement fragiles. En 2024, la seule contribution positive notable à la croissance a été fournie par l’agriculture (+12,1 %), secteur hautement volatil car dépendant des conditions climatiques. Le secteur industriel, en revanche, reste en recul (-0,9 % pour la valeur ajoutée industrielle), tandis que le commerce extérieur plombe la croissance nationale : en 2024, les exportations ont stagné (-0,2 %) alors que les importations ont bondi (+9,7 %), aggravant lourdement le déficit commercial.

Quand la déflation guette

La combinaison d’une croissance anémique, d’une demande intérieure fragile, d’une inflation administrée à la baisse et d’une stagnation industrielle constitue le terreau parfait pour l’émergence d’une déflation.

La déflation, contrairement à l’inflation, est la baisse généralisée et durable des prix. Cela peut sembler attractif pour les consommateurs à court terme, mais c’est en réalité l’un des phénomènes économiques les plus redoutés.

Quand les prix baissent continuellement, les consommateurs diffèrent leurs achats en pariant sur des baisses ultérieures. De leur côté, les entreprises retardent leurs investissements, anticipant une baisse future de leurs revenus.

Ce double report étouffe la demande globale, fige l’investissement, plonge l’économie dans une spirale récessive, augmente les faillites d’entreprises et fait exploser le chômage.

Le Japon des années 1990 a vécu cette situation dramatique, surnommée « la décennie perdue » : malgré des taux d’intérêt à zéro, malgré les plans de relance budgétaire, l’économie japonaise est restée durablement paralysée par la déflation.

Plus récemment, l’Europe en 2014 a flirté avec le même piège, forçant la Banque centrale européenne à des mesures d’urgence inédites.

Une alerte ignorée depuis 2016

La situation actuelle rappelle de façon troublante celle décrite en 2016 par Hakim Ben Hamouda, ancien ministre des Finances.

Dans une analyse publiée à l’époque sur Business News, il alertait sur la combinaison explosive d’une croissance atone, d’une baisse continue de la demande intérieure, et d’une désinflation persistante, annonçant des risques déflationnistes majeurs.

Hakim Ben Hamouda expliquait alors que sans relance monétaire massive et sans investissement public ambitieux, l’économie tunisienne risquait de s’enliser dans une spirale déflationniste.

Neuf ans plus tard, rien n’a changé, sinon que la situation s’est aggravée.

Non seulement aucune politique monétaire expansionniste d’envergure n’a été engagée, mais les autorités se contentent aujourd’hui de geler les prix et de brider artificiellement le marché, aggravant encore la fragilité économique.

La Tunisie décroche face à sa région et au monde

La Tunisie ne souffre pas seulement d’une mauvaise dynamique interne : elle décroche aussi par rapport à ses voisins.

Alors que la croissance moyenne prévue dans la région MENA est de 3,7 % en 2025, la Tunisie plafonne à 1,4-1,9 % selon les scénarios.

En avril 2025, la Banque mondiale a abaissé ses prévisions pour la Tunisie, signalant une perte de confiance accélérée dans la trajectoire économique du pays.

Le Fonds monétaire international, dans ses dernières prévisions, est encore plus pessimiste, voyant la Tunisie stagner autour de 1,4 % sur toute la période 2025-2030.

En termes de classement régional, seuls l’Iran et l’Irak afficheraient une croissance plus faible que la Tunisie en 2025, selon la Banque mondiale.

Un signe inquiétant pour un pays qui, dans les années 2000, était cité comme modèle économique émergent en Afrique du Nord.

Kaïs Saïed ou l’aveuglement économique

Dans ce contexte économique dégradé, les propos récents de Kaïs Saïed apparaissent totalement déconnectés de la réalité.

Lors d’une réunion officielle au palais de Carthage, le président de la République s’est félicité de la « maîtrise de l’inflation » et du respect des « engagements financiers » de la Tunisie, affirmant que cela prouvait l’efficacité des choix nationaux.

Or, cette autosatisfaction est gravement déplacée. « Comment peut-il se féliciter, alors que les chiffres sont alarmants et que cette inflation maîtrisée est inquiétante. Sans exagération aucune, il y a un réel risque de déflation. », s’alarme un expert de l’INS dans une rare confidence à Business News, sous le sceau de la confidentialité.

Loin d’être un signe de santé économique, la baisse de l’inflation tunisienne est, en effet, un symptôme alarmant d’un arrêt de la machine économique.

Les experts, qu’il s’agisse de l’Institut national de la statistique, de la Banque centrale, du FMI ou de la Banque mondiale, tirent tous la sonnette d’alarme.

La consommation est en recul, l’investissement est gelé, les déficits extérieurs se creusent, la croissance est parmi les plus faibles de la région… et pourtant le président célèbre des chiffres qui, dans tout autre pays, auraient provoqué un plan d’urgence économique.

Ce déni du risque déflationniste est d’autant plus dangereux que, comme le souligne Hakim Ben Hamouda, plus on tarde à agir, plus la spirale devient difficile à enrayer.

En économie, la déflation est une pente glissante : une fois engagée, elle peut entraîner des années de stagnation, de pauvreté accrue, et d’instabilité sociale.

Vers un effondrement silencieux

La Tunisie avance insidieusement vers un piège économique redoutable : celui de la déflation.

La baisse continue des prix n’est pas un signe de victoire, mais l’indice d’une économie malade, privée de dynamisme, étouffée par l’absence d’investissement, fragilisée par ses déséquilibres commerciaux et financiers.

Pendant que les signaux d’alerte se multiplient, le pouvoir politique semble aveugle, multipliant les déclarations optimistes sans jamais s’attaquer aux véritables racines du mal.

Les risques sont désormais clairs : chute prolongée de la consommation, effondrement de l’investissement, explosion du chômage, aggravation du poids de la dette publique, et perte de compétitivité durable.

Un réveil brutal est à craindre si rien n’est fait rapidement pour relancer l’économie réelle, stimuler la demande intérieure de manière saine et restaurer la confiance des investisseurs.

La déflation n’est pas seulement une menace économique : c’est une menace systémique pour la Tunisie toute entière.

Maya Bouallégui

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