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L’économie tunisienne s’améliore… sans boussole

Service IA, Business News

Par Maya Bouallégui

La Banque mondiale et Fitch Ratings convergent : la Tunisie devrait connaître une embellie en 2025 et 2026. Mais cette reprise reste fragile et contrastée par le silence du gouvernement sur ses propres prévisions.

La Banque mondiale a relevé, mardi 7 octobre 2025, ses prévisions de croissance pour la Tunisie. Selon son dernier rapport sur la région MENAAP (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afghanistan et Pakistan), le PIB réel du pays devrait progresser de 2,6 % en 2025, contre 1,6 % en 2024, avant de ralentir légèrement à 2,5 % en 2026 puis 2,2 % en 2027.

Cette révision à la hausse marque un tournant. En juin dernier, la même institution tablait sur 1,9 % pour 2025 et 1,6 % pour 2026, après plusieurs ajustements successifs à la baisse depuis janvier. L’amélioration repose sur une reprise agricole, portée par les campagnes d’huile d’olive et de céréales, et sur une relance du secteur de la construction, après plusieurs années de stagnation.

La Banque mondiale évoque une embellie « encourageante mais temporaire », dans un environnement marqué par des contraintes de financement persistantes et un secteur privé encore timide. Elle souligne que les effets positifs des récoltes et des chantiers risquent de s’estomper dès 2026, à défaut de réformes structurelles profondes et de diversification de l’économie.

Un signal de confiance internationale

Cette perspective optimiste rejoint celle de Fitch Ratings, qui a relevé, le 12 septembre, la note souveraine de la Tunisie de « CCC+ » à « B- », assortie d’une perspective stable. Un pas symbolique mais significatif : pour la première fois depuis trois ans, la Tunisie quitte la catégorie des émetteurs à haut risque immédiat de défaut.

L’agence justifie sa décision par une amélioration de la position extérieure du pays et une réduction progressive des déficits. Le déficit courant, tombé à 1,5 % du PIB en 2024, devrait rester contenu à 2,2 % en 2025 et 2,8 % en 2027, loin de la moyenne de 7,9 % enregistrée entre 2010 et 2022.

De même, le déficit budgétaire est attendu en baisse continue, de 6,3 % du PIB en 2024 à 5,3 % en 2025, puis 4,7 % en 2026. La dette publique, elle, devrait se stabiliser autour de 83 % du PIB.

Pour Fitch, ces signaux reflètent un certain assainissement macroéconomique, soutenu par la résilience des investissements directs étrangers (+54 % attendus en 2025) et la poursuite des décaissements multilatéraux. Mais l’agence reste prudente : elle pointe la rigidité budgétaire extrême — salaires, intérêts et subventions absorbent 93 % des recettes — et le recours massif à la Banque centrale pour financer l’État, équivalant à plus de 4 % du PIB en 2025.

Entre progrès comptable et réalité économique

L’amélioration des indicateurs internationaux contraste avec un ressenti économique morose sur le terrain. L’Institut national de la statistique a bien annoncé une croissance trimestrielle de 3,2 % au deuxième trimestre, mais cette performance soudaine avait suscité la surprise et même le scepticisme d’une partie des observateurs, tant elle s’écarte de la perception générale d’un pays encore étouffé par l’inflation, les pénuries et la contraction du crédit.

Comme le rappelle l’économiste Ridha Chkoundali, le relèvement de la note Fitch est avant tout un signal adressé aux investisseurs étrangers et aux institutions financières internationales, non aux citoyens. L’amélioration de la note, dit-il, « ne se traduit pas immédiatement dans la vie quotidienne des Tunisiens », marquée par un pouvoir d’achat en recul et un emploi toujours atone.

Un gouvernement absent du débat économique

Cette embellie externe, aussi encourageante soit-elle, met en lumière un paradoxe troublant : alors que la Banque mondiale et Fitch Ratings publient leurs prévisions à moyen terme, le gouvernement tunisien n’a toujours pas annoncé les siennes.

À ce jour, la cheffe du gouvernement n’a présenté aucune projection officielle de croissance, ni pour 2025 ni pour 2026, que ce soit devant le public ou le Parlement.

Cette absence alimente le sentiment d’un pilotage sans boussole, dans un contexte où les partenaires étrangers — institutions financières et agences de notation — semblent désormais mieux informés sur les perspectives économiques du pays que ses propres citoyens.

Une embellie fragile  

La révision à la hausse des prévisions de la Banque mondiale, qui table désormais sur 2,6 % de croissance en 2025 au lieu de 1,9 % il y a quatre mois, traduit un changement de perception : la Tunisie inspire de nouveau un peu de confiance à ses partenaires. Mais cette confiance, fragile par nature, reste suspendue à des équilibres précaires.

L’histoire récente regorge d’exemples de pays que la Banque mondiale a félicités pour une embellie passagère avant de revoir brutalement ses estimations. En 2022, l’Égypte avait bénéficié d’un relèvement de ses perspectives de croissance, portée par l’afflux de capitaux du Golfe et la hausse des recettes touristiques ; un an plus tard, la même institution abaissait ses prévisions de moitié, face à la dévaluation de la livre et à la fuite des capitaux. En 2023, le Maroc avait connu le même scénario : après un rebond de 7 % post-sécheresse, la Banque mondiale avait dû rectifier ses projections dès l’année suivante, à cause d’une inflation importée et d’un ralentissement agricole.

Un pilotage politique incertain

La Tunisie, elle, reste sur le fil du rasoir. Une mauvaise saison agricole, un choc énergétique ou une crise politique pourraient suffire à inverser la tendance. L’économie tunisienne demeure dépendante des aléas climatiques, du financement monétaire et de l’humeur des bailleurs, sans que les réformes structurelles promises — notamment celles de la fonction publique, des subventions et du climat d’investissement — ne voient réellement le jour.

Or, c’est précisément ce silence gouvernemental qui interroge. Tandis que la Banque mondiale et Fitch Ratings livrent leurs projections, le gouvernement tunisien n’a présenté aucun scénario macroéconomique, aucune vision à moyen terme, aucune trajectoire de croissance officielle. Ce mutisme devient politique : il traduit l’absence d’un cap économique clair, d’un discours de vérité et d’un engagement chiffré devant le Parlement comme devant le peuple.

La Tunisie bénéficie aujourd’hui d’un regard plus favorable des institutions financières, mais elle avance sans boussole nationale. Le risque n’est plus seulement économique, il est institutionnel : à force de déléguer la lecture de sa réalité à des organismes étrangers, l’État tunisien prend le risque de laisser la Banque mondiale écrire son futur, pendant que le gouvernement se contente d’en commenter les chiffres.

Maya Bouallégui

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