Le procès de Mustapha Djemali et Abderrazak Krimi, respectivement directeur et directeur des projets du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), s’ouvre ce jeudi 16 octobre 2025 devant le tribunal de première instance de Tunis.
Dix-sept mois après leur arrestation, les deux défenseurs des droits humains comparaissent pour avoir accompli leur mission humanitaire : offrir un hébergement digne à des réfugiés et demandeurs d’asile en Tunisie.
Depuis mai 2024, Mustapha Djemali et Abderrazak Krimi croupissent en prison. Les deux responsables du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR) sont poursuivis en vertu des articles 38, 39 et 41 de la loi n°6 de 2004, modifiant la législation sur les passeports et documents de voyage. Les autorités leur reprochent d’avoir « facilité l’entrée illégale sur le territoire tunisien ».
En réalité, ces accusations découlent de la publication d’un simple appel d’offres par le CTR pour assurer des conditions d’hébergement dignes à des réfugiés et demandeurs d’asile. Une initiative en parfaite cohérence avec le mandat de l’organisation, qui travaille en partenariat étroit avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
L’affaire a immédiatement suscité l’indignation des défenseurs des droits humains. En mai 2025, Amnesty International avait dénoncé une « arrestation injustifiée » et réclamé leur libération immédiate, estimant qu’ils étaient poursuivis uniquement pour leur travail légitime de protection des réfugiés.
Le procès de Mustapha Djemali et d’Abderrazak Krimi s’inscrit dans un contexte de répression accrue contre les acteurs de la société civile œuvrant auprès des migrants. Depuis mai 2024, plusieurs militants ont été arrêtés, dont Sherifa Riahi (Tunisie Terre d’Asile), Saadia Mosbah (Mnamty), Ayadh Boussalmi, Mohamed Jouou, Abdallah Saïd et Salwa Ghrissa, pour des faits similaires liés à leurs activités de solidarité.
Ces arrestations sont intervenues alors que la Tunisie, sous forte pression européenne, a durci sa législation sur la migration dite « irrégulière » et sur l’aide humanitaire, au risque de criminaliser la simple assistance aux personnes en détresse.
À la veille du procès, un collectif de plus de vingt organisations tunisiennes a publié un communiqué conjoint intitulé « La solidarité n’est pas un crime ».
Parmi les signataires figurent le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), Amnesty International – Tunisie, Avocats sans frontières, Damj, Aswat Nissa, la Campagne contre la criminalisation de l’action civile, la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), ou encore l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).
Les associations dénoncent une politique de rétrécissement du champ civil et de répression du travail humanitaire, incompatible avec les engagements internationaux de la Tunisie.
« Considérer l’hébergement de réfugiés fuyant la guerre comme un crime contredit le discours officiel sur le respect des droits humains », rappellent-elles, soulignant que le pays est signataire de la Convention de Genève de 1951, de son Protocole de 1967 et de la Convention de l’Organisation de l’unité africaine de 1969 sur les réfugiés.
Elles appellent les autorités tunisiennes à libérer immédiatement les détenus, à abandonner les poursuites et à garantir un environnement sûr pour le travail humanitaire et associatif.
En Tunisie, aider un réfugié ou un migrant est désormais passible de poursuites pénales. Dans un pays qui aime rappeler son attachement aux valeurs universelles et à la dignité humaine, ce procès symbolise un glissement inquiétant : celui où la compassion devient suspecte et la solidarité, un délit.
R.B.H