Un reportage diffusé vendredi 17 octobre 2025 au JT de 20 heures de la chaîne nationale Watania 1 a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux. Alors que la région de Gabès est secouée depuis plusieurs jours par une crise environnementale et des mobilisations citoyennes d’ampleur, le JT a choisi de consacrer son sujet à la production record de grenades locales.
Dans une séquence au ton promotionnel, la télévision publique a vanté les mérites de la Grenade de Gabès, louant la qualité exceptionnelle du fruit et la réussite de la saison agricole. Un ton jugé déplacé par de nombreux internautes, qui y ont vu une tentative de détourner l’attention de la situation dramatique que vit la région.
« Pollution, maladies cancéreuses, fragilité osseuse, difficultés respiratoires, gaz toxiques, gaz lacrymogènes, marches, arrestations… et vous, vous parlez de grenades ! », s’indigne un commentaire de l’activiste Ayoub Amara relayé massivement sur Facebook. D’autres ironisent sur « le comble de l’absurde », rappelant que ces mêmes terres agricoles pourraient être contaminées par les rejets du Groupe chimique tunisien.
Plusieurs publications soulignent également que ce reportage a été produit et diffusé « avec l’argent des contribuables, y compris ceux de Gabès », fustigeant « l’aveuglement des médias publics face à la souffrance d’une région ».
Un autre commentaire du journaliste Bassem Bounenni relève un contraste encore plus frappant : le même jour, le quotidien public La Presse publiait un éditorial qui saluait la loyauté des habitants de Gabès envers le pouvoir en place. On pouvait y lire : « Ceux qui comptaient sur le problème écologique que vit la région de Gabès pour raviver la tension et crier à la catastrophe, accusant le gouvernement d’avoir échoué à permettre aux Gabésiens de respirer de nouveau, doivent déchanter.Pour la simple raison que les vaillants citoyens de Gabès leur ont administré une gifle retentissante en renouvelant leur fidélité au processus du 25 Juillet, leur reconnaissance ininterrompue à la sollicitude continue dont le Président de la République entoure la région et en faisant preuve d’un haut sens de patriotisme ».
Cette juxtaposition entre le ton triomphaliste des médias publics et la détresse sociale vécue sur le terrain a indigné de nombreux internautes, qui dénoncent un « double langage médiatique » et un « effacement volontaire de la souffrance de Gabès ».
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) avait publié la veille, vendredi 17 octobre, un communiqué dans lequel il critique fermement la manière dont les médias traitent — ou ignorent — la crise environnementale à Gabès.
Alors que la région connaît depuis plusieurs jours des mobilisations populaires d’ampleur, le syndicat déplore un manque flagrant de couverture équilibrée et responsable de la part de plusieurs médias nationaux, notamment publics. Il met en garde contre le blackout médiatique et les discours biaisés qui portent atteinte à la confiance du public et au droit à l’information, rappelant que les médias publics « appartiennent à tous les citoyens, et non à la puissance publique ».
Le communiqué appelle enfin les rédactions à replacer les événements dans leurs dimensions sociales, environnementales et humaines, loin de toute logique de censure ou de diversion.
M.B.Z
