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Sept raisons qui prouvent que la Chine n’est pas la solution pour Gabès

Service IA, Business News

Par Raouf Ben Hédi

La Tunisie se retourne vers la Chine pour tenter de résoudre la catastrophe écologique de Gabès. L’idée plaît aux partisans du régime qui voient, là, une sortie de crise pour calmer les milliers de Gabésiens qui manifestent tous les jours. Sauf que la Chine ne pourra pas résoudre le problème de Gabès et voici pourquoi.

Les Gabésiens n’en peuvent plus de la pollution de leur ville et des maladies de leurs enfants. Tous les jours ou presque, ils manifestent par centaines, voire par plusieurs milliers comme on l’a vu hier dimanche à Aïn Salam. C’est une véritable catastrophe écologique qu’ils vivent. Ils appellent au démantèlement des unités industrielles du complexe chimique qui pollue l’air et la mer depuis des décennies et cause plusieurs maladies. On ne compte plus les cancéreux, dont des enfants, relevés par les habitants.

Face à cette colère, le régime a répondu par la répression, comme il l’a fait au mois de mai dernier et comme il le fait à chaque fois. Au moins dix-huit jeunes ont été arrêtés au milieu de la semaine (quinze ont été relâchés le week-end), dont certains ont été interpellés à leurs domiciles — sans mandat — et dans les cafés. À l’air étouffant de la ville, les forces de l’ordre ont ajouté l’odeur étouffante des gaz lacrymogènes, pensant disperser les foules et décourager la population à manifester. Sans résultat : les habitants sont quand même sortis en très grand nombre hier, dimanche et ils entendent observer une grève générale demain, mardi 21 octobre.

Une solution diplomatique illusoire

Sur le terrain, la tension est palpable et le régime le sait. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a pas eu de visites sur place d’un ministre. Quant au président, il préfère aller, la nuit, à la place Barcelone ou à la place Pasteur plutôt qu’aux villes où les citoyens sont en colère. C’était le cas à Zarzis et maintenant à Gabès.

Le chef de l’État a cependant pris des « mesures », espérant par-là calmer les foules. Il a demandé à son ministre de l’Équipement de recevoir l’ambassadeur de Chine en Tunisie et d’aborder avec lui la question de la réhabilitation des unités de production du Groupe chimique tunisien (GCT).

Selon le communiqué du ministère, la rencontre a permis d’aborder « les moyens de traiter les émissions et les fuites gazeuses provenant des installations industrielles, de supprimer leurs causes et de mettre fin à la pollution environnementale qui affecte la région depuis plusieurs décennies ».

Aussitôt la rencontre médiatisée, des dizaines de partisans et propagandistes du régime ont sauté dessus pour dire que le chef de l’État a trouvé la solution miracle pour résoudre le problème de Gabès. À les entendre, la Chine viendra au secours de la ville pour en finir avec la pollution qui la touche depuis des décennies.

L’enthousiasme hypocrite de ces propagandistes n’est cependant que de la poudre aux yeux et ce pour de multiples raisons.

Sept raisons qui prouvent que la Chine n’est pas la solution

Derrière l’effet d’annonce, plusieurs éléments montrent que cette démarche est vouée à l’échec.

Le dossier de la CPG n’est pas du ressort du ministre de l’Équipement tout d’abord. C’est à la ministre de l’Industrie de rencontrer l’ambassadeur, puisque c’est elle qui, théoriquement, maîtrise le sujet.

Le deuxième point est que l’ambassadeur chinois est un diplomate sans aucune connaissance de ce sujet, théoriquement. C’est aux experts tunisiens d’aller voir des spécialistes, en Chine ou ailleurs, pour résoudre le problème.

Le troisième point est que la méthode d’aller consulter les Chinois pour résoudre ce problème est tout simplement illégale et contrevient aux articles 96 et 97 du code pénal tunisien. Le ministre ne peut pas négocier un marché de gré à gré (même une simple consultation) avec l’ambassadeur chinois. Il doit passer par un appel d’offres international à laquelle tout le monde participe.

Le quatrième point est qu’on n’a pas besoin d’aller en Chine pour trouver une solution puisque celle-ci existe déjà et se trouve dans les tiroirs de la CPG. La compagnie regorge d’experts qui ont déjà imaginé les solutions pour en finir avec la pollution de la ville.

« La GCT a commandité une étude pour examiner le problème et recommander des solutions (l’étude est disponible publiquement sous le titre : Réalisation d’une mission d’audit environnemental et social (E&S) des sites du Groupe Chimique Tunisien (Gabès, Skhira, et M’dhilla 1) P-TN-BB0-010). Une bonne étude qui fournit des détails importants pour comprendre la situation, l’étendue de la pollution et les solutions proposées », relève un lecteur de Business News.

Le cinquième point est que la Chine est mal placée pour donner à la Tunisie des solutions pour combattre sa pollution. La Chine est le plus grand pollueur au monde. À elle seule, elle est responsable de 32,9 % des émissions de CO₂, bien loin devant les États-Unis (12,6 %) et l’Inde (7 %).

Le sixième point est que la Chine n’arrive pas à combattre sa propre pollution. Sur les cent villes les plus polluées au monde, on trouve sept villes chinoises, dont la capitale Pékin.

Septième et dernier point, les Chinois ont une très mauvaise réputation dans le monde des affaires. L’avocat Sami Jallouli est très sévère à leur encontre.  Fort de son expérience dans les contrats internationaux des matières premières, il décrit les Chinois comme des négociateurs coriaces, imprévisibles et calculateurs. Ils n’honorent pas toujours leurs engagements et pratiquent une stratégie d’épuisement de l’adversaire, qu’ils perçoivent comme un rival plutôt qu’un partenaire.

Leur modèle économique repose sur la production et l’exportation, non sur la consommation interne. En Afrique, ils échangent des infrastructures contre des ressources minières, opérant en groupes coordonnés sous la supervision de l’État. Leur logique est expansionniste : peu importe où tombent les bénéfices, ils finissent toujours par en profiter.

Me Jallouli conclut que la Chine n’est pas une œuvre caritative, et qu’en matière de partenariats internationaux, il préfère les Sud-Coréens. Enfin, il met en garde la Tunisie : sans réforme radicale du secteur du phosphate, de l’extraction à l’exportation, le pays risque de perdre sa souveraineté, tant la corruption y est enracinée.

La vraie solution se trouve à Carthage

En clair, la rencontre du ministre de l’Équipement avec l’ambassadeur chinois est un simple rideau de fumée. Le ministre, mandaté par le président de la République, fait une vaine tentative pour calmer les manifestants. C’est comme s’il offrait un placebo à un cancéreux. Il n’est pas habilité à négocier, il n’a pas le droit de négocier et il négocie avec la mauvaise personne et le mauvais pays.

La solution au problème de pollution de Gabès ne se trouve pas en Chine, elle se trouve en Tunisie et, précisément, au palais de Carthage.

Kaïs Saïed peut demander les études effectuées par la CGT et mobiliser les moyens matériels pour exécuter ces études. Au lieu de jeter l’argent par la fenêtre pour les sociétés communautaires ou les conseils des régions (qui ont bien démontré qu’ils ne servent à rien), qu’il alloue cet argent à Gabès.

Autre solution, encore plus efficace et qui a démontré son efficacité partout dans le monde : privatiser. Comme la majorité des entreprises publiques, la CGT est mal gérée, en sureffectif et handicapée par la législation restrictive des entreprises publiques. Si un partenaire stratégique privé prend la gestion de la CGT, cette dernière sera pilotée comme toute entreprise moderne du XXIe siècle.

L’idéologie avant l’efficacité

Sauf que voilà, prisonnier de ses idéologies anachroniques, Kaïs Saïed refuse ces solutions qui ont prouvé leur efficacité ailleurs, refuse d’écouter les experts tunisiens et pense que l’herbe est plus verte en Chine.

Dans la logique présidentielle, le salut du pays ne viendrait ni des compétences locales ni de la raison économique, mais d’une vision mystique de l’État autarcique où tout passe par lui, et où la solution viendrait de “l’ami” chinois plutôt que du savoir-faire tunisien.

En refusant la privatisation, en diabolisant le partenariat public-privé, en criminalisant le mot même de réforme, Kaïs Saïed s’enferme dans un isolement dangereux. Il condamne la Tunisie à gérer ses crises avec les outils d’un autre siècle. Et quand la Chine est convoquée comme planche de salut, ce n’est pas pour sauver Gabès — c’est pour sauver la mise politique du régime.

Le drame de Gabès, c’est celui d’un pays où l’idéologie remplace la compétence, où la communication supplante l’action, et où la souveraineté sert de paravent à l’impuissance. Pendant que les Gabésiens étouffent, Kaïs Saïed respire la satisfaction d’avoir trouvé un bouc émissaire et un nouveau récit à vendre.

Mais aucun communiqué, aucune photo d’ambassadeur ne fera disparaître l’odeur de phosphogypse : celle d’un pouvoir qui préfère la mise en scène à la solution, et la Chine à la Tunisie.

Raouf Ben Hédi

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