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Le Parlement se rebelle

Par Synda Tajine

Le nouveau Parlement, celui issu de la philosophie du renouveau du 25-Juillet, devait être l’un des instruments du grand projet présidentiel. Kaïs Saïed avait dissous l’ancien hémicycle pour faire table rase du passé, effacer les années de disputes télévisées et de chamailleries stériles. Il voulait un Parlement docile, discipliné, où les députés ne hausseraient la voix que pour mieux applaudir. Un pouvoir législatif sur mesure, allié sans condition à l’exécutif, garant d’un « régime qui fonctionne » — autrement dit, d’un régime qui obéit.

Et pendant un temps, le plan a semblé fonctionner à la perfection. Les communiqués de l’Assemblée commençaient tous par la même formule : « Suivant les directives du président de la République », « conformément au discours du 25-Juillet », « fidèle à la vision du président Kaïs Saïed ». Le sceau présidentiel presque imprimé jusque dans les signatures officielles de Brahim Bouderbala. Un parlement monolithique, homogène, soudé derrière son chef suprême. En surface, du moins.
Car sous cette façade lisse, quelque chose bouillonne. Les premiers craquements se font entendre. Même les soldats les plus dociles ont commencé à sortir des rangs. Et Gabès a offert l’occasion rêvée d’exprimer toute cette rébellion.

Les fidèles sont-ils devenus les nouveaux frondeurs ?

Ces mêmes députés qui, il y a très exactement un an, modifiaient le code électoral à la hâte, deux semaines avant les élections, pour s’assurer un scrutin sans surprise, se dressent aujourd’hui pour accuser le gouvernement de dérive et d’inaction. Les fidèles d’hier parlent désormais le langage de l’opposition. Certains osent même prononcer le mot interdit : motion de censure.

La rébellion des députés s’est incarnée, lundi 20 octobre, dans une séance plénière explosive consacrée à la situation environnementale à Gabès. Neuf heures de débat pour un seul constat : la catastrophe écologique est devenue politique. Et ce jour-là, ce n’est pas la cheffe du gouvernement qui a affronté la colère des députés, mais les ministres de la Santé, Mustapha Ferjani, et de l’Équipement, Slah Zouari — envoyés au front pour essuyer les critiques à la place de Sarra Zâafrani Zenzri.

« Aux comploteurs de Gabès »

Dans une intervention aussi ironique que cinglante, le député Bilel Mechri a livré un véritable réquisitoire contre le pouvoir. « Aux comploteurs de Gabès, pourquoi n’avez-vous pas enterré vos enfants en silence ? Pourquoi n’avez-vous pas enterré vos proches morts du cancer en silence ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas contentés de respirer du SO₂ plutôt que de l’oxygène ? », a-t-il lancé, accusant le gouvernement d’inaction et de cynisme face à une pollution industrielle meurtrière. Le député s’est même attaqué à la ministre de l’Énergie, visée par une plainte déposée avec sept autres députés.
« Le vrai problème aujourd’hui, ce n’est pas l’oxygène, mais la liberté, le travail et la dignité », conclut-il, dans une phrase qui résonne comme un écho aux slogans de la révolution. Avant d’enfoncer le clou : il appelle à déposer une motion de censure contre le gouvernement. L’ultime étape d’une colère qui ne se cache plus.

« Le président doit assumer ses responsabilités »

Même tonalité, même colère chez Thameur Mazhoud. Mais, lui, il va plus loin et rappelle au président ses promesses. Face caméra, il s’adresse directement au président : « Après le 25 juillet et la nouvelle Constitution, l’État a reconnu que ce qui s’est passé à Gabès est un crime. Le président doit maintenant assumer ses responsabilités constitutionnelles. Le peuple veut le démantèlement des unités — et ce message, nous le portons avec force et conviction. » Le député accuse d’ailleurs le gouvernement d’avoir échoué sur toute la ligne et d’avoir préféré la répression à la solution.

Mais, même si elles ont trouvé le champ libre pour s’exprimer lors de la plénière du 20 octobre, ces critiques ne datent pas d’hier.

Le député Ahmed Saïdani, pourtant farouche sympathisant du président, avait déjà exprimé sa profonde désillusion, jeudi 24 juillet 2025, envers la gouvernance de Kaïs Saïed. Il dénonçait l’inefficacité du pouvoir malgré un contrôle total des organes de l’État, ainsi que l’absence de vision ou de résultats concrets.
« J’ai rêvé profondément, mais chaque jour, je me réveille en réalisant que moi et d’autres avons vécu dans une illusion, dans des chimères. Les slogans étaient les nôtres, les paroles aussi, mais les actes, seul Dieu les concrétisait », écrivait le député.

Cette lucidité, venue de l’un des alliés les plus proches du président, jette une lumière crue sur l’ampleur du désenchantement au sein même du bloc de soutien. La colère actuelle des parlementaires n’est pas un surgissement spontané : elle est la conséquence d’une frustration qui couve depuis longtemps.

Rébellion, mais contre qui ?

Mais, si certaines voix dissonantes se sont fait entendre, il ne faut pas non plus se laisser leurrer par ceux qui critiquent tout en cherchant à justifier ou à détourner les faits, en recourant à l’éternelle théorie du complot. Parmi eux, Fatma Mseddi.

Il ne faut pas non plus se laisser leurrer par toutes les voix dissonantes qui attaquent le gouvernement, présenté comme seul responsable de l’échec de la politique présidentielle.

Au fil des crises, les députés n’ont jamais réellement ménagé le gouvernement. Même s’il est issu du pouvoir de Kaïs Saïed, il offre théoriquement le parfait bouc-émissaire pour s’attaquer à la politique du régime…sans s’en prendre frontalement au président.

Le dossier Gabès ne laisse aucune marge de manœuvre politique : il faut choisir entre la loyauté et la décence. Soutenir le pouvoir dans un tel contexte reviendrait à défendre l’indéfendable.

Lorsque l’opposition a été réduite au silence, le vide a été comblé… par les soutiens d’hier. La nature a horreur du vide, dit-on. En politique, elle a aussi un sens cruel de l’ironie : ceux qui ont contribué à détruire toute contradiction découvrent aujourd’hui la révolte. Le Parlement, voulu comme un chœur univoque, chante désormais faux.

Et il n’est pas surprenant que les voix dissonantes se multiplient : la colère environnementale met à nu la fragilité du système politique né du 25-Juillet. Lorsqu’une critique devient trop forte pour être contenue, il est souvent plus sûr de la fragmenter. Pointer du doigt le gouvernement — le premier à sauter en cas de crise — offre aux députés une excellente manière de sauver leur peau sans avoir à se désavouer complètement face à Kaïs Saïed.

En cherchant d’abord à se protéger — et à préserver le régime qui leur a confié le pouvoir — les députés utilisent le gouvernement comme bouc-émissaire. Kaïs Saïed ne sera totalement désavoué qu’en dernier recours. Pour l’instant, il ne s’agit que de rappels à l’ordre… mais jusqu’à quand ? Les événements semblent s’accélérer.

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2 commentaires

  1. Fares

    21 octobre 2025 | 17h04

    Ce parlement n’a absolument aucun poids. Ces membres ont été élus par 8% de la population, donc leurs positions n’intéressent personne. En plus, leur sincérité est mise en doute. Les meuniers de la coupole ne s’opposeront jamais à leur bienfaiteur le putschiste. Mais quel gouvernement critiquent ils? Il y en a eu cinq ou six depuis l’accès du locataire de Carthage au pouvoir. Ces députés veulent tout simplement porter le chapeau à Zaafrani et accuser ce gouvernement du jour de l’écocide de Gabes afin de justifier un remaniement ministériel prochain et imminent (?).

  2. zaghouan2040

    21 octobre 2025 | 20h08

    Il s’agit d’un parlement de meuniers sans farine et sans légitimité
    2 scénaris se dessinent
    Soit la société civile de Gabes parvient a faire plier le régime et aboutir à un accord portant sur le démantèlement des sites du GCT; ce scénario est peu probable compte tenu de l’aveuglement etdu cynisme irresponsable du régime actuel
    Soit le régime se croyant malin et au-dessus de la Loi comme c’est résolument le cas actuellement, cherche a poursuivre son escroquerie criminelle vis à vis de la population et là le sang coulera
    Il ne faut pas sous estimer la probabilité d’une spirale de violence parce que lors de la première manifestation le pouvoir formel ou informel a dépêché des casseurs cagoules pour discréditer le mouvement

    Et comme par hasard lors des attestations aucune trace de ces casseurs d’outre monde

    On joue ici un jeu particulièrement sale et criminel
    Ce ne sera pas là première fois