Décidément, ni la présidence du gouvernement, ni le ministère des Finances ne semblent vouloir se départir de l’ostracisme dans le traitement du projet de Loi de finances et du budget de l’État pour l’exercice 2026.
Normalement, selon les dispositions de la loi organique du budget de l’État, la Commission des finances de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) aurait dû réceptionner au moins trois documents essentiels afin d’entamer dans les meilleures conditions l’examen du projet de Loi de finances 2026 : le projet de Loi de finances proprement dit, accompagné d’un rapport sur le budget général de l’État et du projet de budget économique. L’un ne pouvant être conçu sans les autres. Dans le même temps, ces trois documents sont largement diffusés auprès du public.
Cette fois-ci, rien de tout cela. Seul le projet de Loi de finances, amputé de ses annexes — qui sont d’une importance primordiale du fait qu’elles reflètent le mieux le programme d’action du gouvernement pour l’exercice à venir — aurait été déposé dans les délais constitutionnels auprès du Bureau de l’ARP. Il faudra s’en suffire pour le moment. Le message s’adresserait aussi à l’opinion publique ainsi qu’aux médias. Certains membres de la Commission des finances de l’ARP n’ont pas hésité à critiquer ouvertement la présidence du gouvernement et le ministère des Finances pour ce qu’ils estiment être de la désinvolture à leur égard.
Emprunter, mais ne pas investir
Quoi qu’il en soit, le document du projet de Loi de finances qui circule fournit un petit éclairage sur la gestion gouvernementale des finances publiques et budgétaires. À la lecture des dix premiers articles du projet, articles qui présentent les principales ressources et dépenses du budget de l’État, la gestion budgétaire 2026 ne manquera pas d’impacter le cadre macroéconomique déjà fragile du pays. Certes, l’État comptera sur ses ressources propres d’abord. Il empruntera moins que l’année dernière. Cependant, le volume d’emprunts demeure considérable, avec plus de 27 milliards de dinars (Mds de dinars) en 2026. Cela va-t-il booster l’investissement dans le pays ?
En l’absence du rapport sur le budget de l’État, le Tunisien est incité à chercher ailleurs la précieuse indication. Auprès d’institutions qui n’ont pas bonne presse chez nos gouvernants, par exemple. Ainsi, selon les données fournies par le rapport annuel du FMI sur « Les perspectives économiques mondiales 2026 », le taux d’investissement du pays devrait baisser au lieu d’augmenter, passant d’un taux déjà faible de 12,1% en 2025 à un taux encore plus faible de 11,2% en 2026. Mais le plus préoccupant réside dans la nature des emprunts que compte effectuer l’État en 2026, après l’effet d’éviction du secteur privé provoqué par la levée en masse d’emprunts sur le marché intérieur ces dernières années.
Les limites atteintes, sinon largement dépassées, du recours au marché intérieur, voilà que l’État lorgne une fois de plus la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Attention à la planche à billets
Sauf que cette nouvelle sollicitation de l’État à la BCT n’est pas sans risque sur la stabilité financière de l’institut d’émission et du pays en général. L’autorité monétaire aurait-elle les capacités de répondre à une telle demande sans enfreindre ses obligations comptables et de risques, compte tenu des actifs publics déjà détenus par la banque des banques ?
À la fin du 3ᵉ trimestre 2025, la BCT affichait 11,5 Mds de dinars de facilités accordées à l’État. À cela, il convient d’ajouter environ 4 Mds de dinars d’actifs acquis dans le cadre de la politique d’open market sur le marché monétaire et quelques autres 5 Mds de dinars de créances publiques détenues dans le cadre du refinancement des banques sur le marché monétaire.
À ce stade et à ce jour, il est pour le moins curieux que le gardien du temple monétaire du pays n’ait pas réagi, ni officieusement, ni officiellement. En tout cas, un scénario catastrophe n’est pas à écarter. Car, faute de contreparties solides à ce prêt, la BCT n’aurait pas d’autre moyen pour satisfaire la demande du gouvernement que de recourir à la planche à billets, entraînant l’économie du pays dans une épouvantable spirale inflationniste, matrice d’autres spirales infernales telles que la dégradation du taux de change, la hausse des charges de la dette ou encore les pressions sur les réserves de change. Voilà où peut conduire une fragilisation de l’assise financière de la BCT.
Le gouvernement prendra-t-il ce risque ? Un resserrement des importations et un véritable fouet à l’exportation ne seraient-ils pas préférables pour dégager des économies d’emprunts ?
En attendant, selon le FMI, les perspectives économiques tunisiennes sont loin d’être réjouissantes. La croissance économique va connaître un ralentissement progressif pour atteindre 1,4% en 2028 et les années suivantes. L’objectif d’un excédent du solde primaire du budget à partir de 2026, prévu par le cadre budgétaire de moyen terme 2024-2026 publié par le ministère des Finances, apparaît comme une chimère. Le solde primaire accuserait un déficit de 1,7% en 2026 et reprendrait une courbe ascendante pour atteindre 2,7% du PIB en 2030. Il en sera de même pour le solde budgétaire global dont le déficit repartirait à la hausse pour afficher un taux de près de 6% par rapport au PIB en 2030, contre seulement 4,6% en 2026.
Quant au solde de la balance courante, son déficit devrait se creuser ces prochaines années, passant progressivement de 3,1% à 4,1% du PIB. La moyenne d’inflation aussi devrait repartir à la hausse, de 5,9% en 2025 à 8,7% en 2030.
Mais ce ne sont là que des estimations du FMI qui, après avoir été qualifié d’« Ommek Sannafa », est rebaptisé chez nous « Commission financière internationale ».










