Épisode 1 – Le nouveau sport national : oublier la veille
En Tunisie, on ne fait plus de politique, on fait du zapping. Chaque scandale chasse le précédent. On a inventé un nouveau sport collectif : oublier la veille.
Souvenez-vous : il y a deux mois, un bateau pour Gaza brûlait mystérieusement. D’abord un mégot, puis un barbecue de poissons, avant qu’on n’admette qu’il y avait des drones. Depuis, plus un mot. L’affaire a sombré, remplacée par une condamnation à mort pour un post Facebook. Deux jours plus tard, c’était déjà du passé : un nouveau feuilleton, l’arrestation de Lassad Yakoubi, ex-syndicaliste devenu zélé partisan du régime, accusé de spéculation.
Mais là encore, changement de chaîne : place à l’acquittement de Riadh Mouakher, deux ans de prison pour rien. Et quand il aurait fallu s’indigner, les projecteurs se sont déplacés vers Gabès, ville asphyxiée, en grève, descendue dans la rue pour réclamer le droit élémentaire de respirer.
Et c’est là que le miracle s’est produit : Al Farazdaq est apparu. Poète du VIIᵉ siècle, importé dans un discours présidentiel de huit minutes, sans contexte ni logique, censé sans doute expliquer la pollution industrielle.
À ce stade, ce n’est plus de la diversion, c’est de l’humour noir. Sur les réseaux, les Tunisiens ont improvisé la recette : phosphogypse, pistaches et filet de citron – le cocktail Farazdaq. Quand tout va mal, mieux vaut rire.
Mais hier, vendredi 24 octobre, une nouvelle diversion est tombée, plus spectaculaire encore. Alors que tout le monde préparait le week-end, on apprend que le procès en appel du complot contre l’État aura lieu lundi. Des dizaines de prévenus, plusieurs prisonniers politiques condamnés en première instance sans avoir été entendus, et un procès qui, comme le premier, se tiendra à distance, par visioconférence imposée.
Une annonce-choc qui a instantanément fait oublier Al Farazdaq et Gabès : l’opinion s’est engouffrée dans un nouveau scandale judiciaire, aussi absurde que brutal. Chaque régime a sa méthode : certains gouvernent par la peur, d’autres par la diversion. Le nôtre maîtrise la seconde à la perfection. Un scandale en chasse un autre, et la colère s’évapore dans le brouhaha. Le résultat, lui, ne change pas : Gabès continue d’étouffer, et la Tunisie continue d’oublier.
Épisode 2 – Génération Z, interdite de gouverner
Partout dans le monde, la génération Z est passée du clic à l’action.
À Rabat, Katmandou ou Lima, elle fait tomber des ministres, des gouvernements, parfois même des régimes.
Elle n’a pas de chefs, pas de partis, pas de drapeaux, mais une conviction : le système ne fonctionne plus.
Et dans les pays industrialisés, on l’écoute. On l’invite dans les débats, on lui confie des responsabilités. En Europe ou au Japon, des conseillers ministériels ont moins de 30 ans, et des parlements comptent des élus nés après 2000.
Chez nous, c’est l’inverse : on la tourne en ridicule.
Le chef de l’État, croyant frapper fort, s’en est pris à un “mouvement Z” imaginaire, avant d’enchaîner sur une digression littéraire où il a convoqué un poète du VIIᵉ siècle pour commenter une marche écologique du XXIᵉ.
Résultat : il a réveillé une génération qu’il voulait endormir. En 24 heures, la GenZ tunisienne a répondu par un manifeste incendiaire devenu viral, où elle rappelle au régime que la jeunesse n’est pas une menace, mais un miroir.
Ce miroir, le pouvoir refuse de s’y regarder.
L’âge moyen de nos dirigeants dépasse les 65 ans. Nos décideurs découvrent TikTok quand leurs petits-enfants y militent. Le monde se numérise, ils s’envoient encore des fax.
Cette fracture n’est plus politique : elle est biologique.
Dans les pays sérieux, la GenZ est considérée comme une force vive, un capital d’idées et d’audace.
Chez nous, elle est traitée comme un ennemi intérieur.
Mais à force de mépris, le régime a fini par la fédérer.
Et quand une génération connectée, drôle et lucide se met à parler d’une seule voix, les vieux systèmes se mettent à trembler.
La génération Z n’attend pas son tour.
Elle l’a déjà pris — et c’est ça, sa vraie révolution.
Épisode 3 – Sept minutes pour voler huit siècles
Sept minutes. C’est le temps qu’il a fallu à quatre types pour dépouiller le musée le plus gardé du monde, le Louvre.
Sept minutes, montre en main, pour embarquer huit joyaux de la couronne de France, pendant que la République, elle, comptait ses boutons.
Le lendemain, branle-bas de combat : un ministre de l’Intérieur, une ministre de la Culture, un Sénat convoqué, des réunions d’urgence, et des micros partout. On s’étrangle, on s’indigne, on auditionne. La France découvre stupéfaite qu’on peut cambrioler le Louvre comme une supérette de banlieue.
On imaginait le musée truffé de lasers et de détecteurs thermiques. En réalité, il restait 75 % d’ailes sans vidéosurveillance. Bref, la Joconde voit tout, mais personne ne la regarde.
Les responsables ont évidemment trouvé les coupables : les syndicats, les budgets, les caméras, la Cour des comptes, et, ultime suspect, le prérapport « non définitif ».
En France, tout est préliminaire : les rapports, les enquêtes et parfois même les résultats.
Pendant ce temps, les voleurs dorment probablement mieux que les ministres.
Mais au fond, ce cambriolage est un chef-d’œuvre. Pas pour son audace, mais pour sa symbolique.
Un pays qui perd ses joyaux sans s’en rendre compte, c’est une belle métaphore d’un pouvoir qui perd son éclat sans le savoir.
Le Louvre est à la France ce que le patrimoine est à la politique : un décor qu’on visite, plus qu’on protège.
Les dirigeants ont promis de “renforcer la sécurité”. Traduction : on installera trois caméras neuves et une commission parlementaire.
Le reste attendra le prochain cambriolage.
Dans un monde où les start-ups volent des milliards en clics, voler huit bijoux à la main, ça relève presque de l’artisanat.
Au moins, eux, ils ont réussi leur coup. Pas besoin de comité interministériel ni de réforme de procédure : sept minutes, huit bijoux, zéro promesse.
Épisode 4 – Le cow-boy sort le porte-avions
La semaine dernière, je vous parlais du cow-boy Trump, celui qui tire sur des bateaux de « narcotrafiquants » sans procès, sans juge et sans remords.
Eh bien, cette semaine, il a franchi un nouveau cap : il a envoyé un porte-avions, le Gerald R. Ford, l’un des plus grands au monde, pour « lutter contre le narcoterrorisme » en Amérique latine.
Depuis début septembre, dix frappes ont été menées dans les Caraïbes et le Pacifique. Les trois dernières, cette semaine, ont visé des embarcations présentées comme appartenant à un gang vénézuélien.
Résultat : quarante-trois morts, selon un décompte de l’AFP.
Pas d’enquête, pas de procès : juste des missiles et des communiqués.
Le Pentagone parle de « défense du territoire national ». À plus de 3 000 kilomètres des côtes américaines, la géographie a décidément un drôle d’accent.
Trump, lui, jubile. Il veut « démanteler les organisations criminelles transnationales ».
En clair : bombarder d’abord, qualifier ensuite.
Cette escalade militaire inquiète même les alliés de Washington. En Colombie, le président colombien, Gustavo Petro, a osé briser le silence.
« Les États-Unis commettent des exécutions extrajudiciaires », a-t-il déclaré. Trois mots qui claquent comme une gifle diplomatique.
Trump, vexé, l’a traité de « baron de la drogue ». Le secrétaire d’État, Marco Rubio, l’a qualifié de « fou ».
Quand on n’a plus d’arguments, on sort les insultes – et les avions.
Mais Petro, lui, défend le droit, pas la vengeance. Il rappelle que tuer des suspects n’est pas faire justice ; c’est abolir la justice.
Et pendant que le Gerald R. Ford fend les vagues, la morale internationale coule, discrète, sous la ligne de flottaison.
À force de jouer les shérifs planétaires, Trump confond le ciel et le cimetière.
Et dans cette mer qu’il prétend purifier, ce ne sont plus les trafiquants qui sombrent, mais le droit.











6 commentaires
Fares
Des distractions à la pelle compte tenu que Saïed n’a rien à offrir aux citoyens que des histoires à dormir debout, avec sa voix hyponotisante à l’appui. Tant que le toit est là disait il lors de son passage très instructif à la caméra cachée de Migalou. La mémoire collective des tunisiens est peut-être faillible, mais tout est archivé sur l’Internet.
https://youtu.be/jcYFlEJf1Bk?si=m6z9C4lnE27opkkl
Hannibal
Dites à ceux qui font de la diversion par la justice qu’ils devraient plutôt trouver des solutions aux maux de la population et réfléchir à son avenir : le boomerang retournera !
La drogue est un jeu du chat et de la souris et tant qu’on ne sanctionne pas lourdement les consommateurs, il y aura toujours des trafiquants et des pays qui sont complices.
Ah beurk… Je viens de me rappeler des odeurs nauséabondes de cannabis (légalisé) dans les rues de New York 🙁
zaghouan2040
Le fonctionnement du trafic de drogue en Tunisie est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit généralement
Il n’y a pas les méchants dealers d’un côté et les vertueux gendarmes de l’autre côté
Et c’est une mascarade remarquablement bien orchestrée particulièrement cynique roublarde et criminelle
A la tunisienne
zaghouan2040
La Tunisie subit un mode de gouvernance surréaliste c’est-à-dire bizarre décalé et onirique
C’est-à-dire éloigné de la réalité des véritables enjeux. Éloigné de manière maladive
Le gouvernail de la Tunisie est ainsi piloté par quelqu’un qui n’utilise pas les cartes nautiques et les critères classiques de navigation responsable mais par un ou plusieurs pilotes qui manient le bateau au gré de leur inspiration onirique et mystique
Pendant que la bateau semble être emporté par de dangereux courants qui le mènent droit aux récifs le présumé capitaine démontre a chaque instant qu’il se fie a des fantasmes oniriques puérils et incongrus en guise de cap a tenir
lambda
Vous connaissez la présomption d’innocence ? Vous êtes sûr qu’il y avait des narcos dans ces bateaux ? L’administration américaine n’a présenté aucune preuve. Pire, la présidence colombienne a fait part de la mort d’un pêcheur qui n’a rien à voir avec la drogue. Cets juste un pauvre pêcheur qui se trouvait au mauvais moment au mauvais endroit.
L’homme a créé des tribunaux et des lois. Trump a a balayé d’un trait ces procédures et décide tout seul qui doit mourir et qui ne le doit pas. En tout état de cause, le trafic de drogue n’est pas puni par la mort.
LOL
Très bel article, sauf pour le dernier épisode qui est du gros n’importe quoi.
La phrase sur les joyaux est remarquable : « Un pays qui perd ses joyaux sans s’en rendre compte, c’est une belle métaphore d’un pouvoir qui perd son éclat sans le savoir. » Ça résume très bien la France !
Sur Trump et la lutte anti-drogue : le trafic de drogues aux États-Unis est un véritable fléau, pas une invention politique. Rien que le fentanyl a tué plus de 250 000 Américains depuis 2021. Ce drame est lié à la montée en puissance des cartels – Mexique, Colombie, Venezuela, Équateur, Costa Rica – qui gangrènent économies et gouvernements. Sinaloa, Jalisco Nueva Generación, Clan del Golfo, Cartel de los Soles : tout le continent est affecté.
Le problème est mondial : la drogue arrive aussi au Canada, souvent depuis la Chine. En Europe, le trafic explose via les ports de Rotterdam, Anvers et Hambourg, où mafias locales et cartels latino-américains collaborent. La cocaïne, les opioïdes de synthèse et les amphétamines envahissent le marché européen. Quant au Moyen-Orient, il est ravagé par le captagon. Les trafiquants sont puissants, organisés, et aucune région n’est épargnée.
Même la Tunisie lance l’alerte devant le raz-de-marée de saisies de stupéfiants.
Bref, Trump agit comme un vrai leader devant un problème majeur. Ce n’est pas du cowboyisme, ni des décisions personnelles : la menace est réelle et les solutions classiques sont épuisées. Alors pourquoi ne pas directement bombarder les bateaux de drogue? Ça peut sembler extrême, mais il vaut mieux agir que fermer les yeux. Attendez-vous à voir beaucoup moins de bateaux de drogue vers les États-Unis dans les prochains mois.