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Kaïs Saïed face au gouffre des caisses sociales

Service IA, Business News

Par Maya Bouallégui

Le président de la République a remis sur la table le dossier brûlant des caisses sociales, dont le déficit devient incontrôlable. Entre le déséquilibre structurel de la CNSS et de la CNRPS, les dettes croisées avec la Cnam et les répercussions sur les pharmaciens, la Tunisie s’enfonce dans une crise sociale silencieuse. Business News dresse un état des lieux et compare la situation tunisienne aux pays européens qui, eux aussi, affrontent la même équation impossible.

Le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu lundi 27 octobre 2025 au palais de Carthage le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar.

La rencontre, selon un communiqué de la présidence diffusé à 2h49 du matin, a porté sur la situation des caisses de sécurité sociale, et plus particulièrement sur celle de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).

Le chef de l’État a insisté sur la nécessité pour ces institutions de retrouver leur équilibre financier et sur l’importance de réviser les législations en vigueur afin qu’elles puissent remplir pleinement leurs missions.

En s’emparant directement de ce dossier, Kaïs Saïed signale qu’il considère la situation des caisses sociales comme un enjeu de stabilité nationale. À Carthage, le sujet n’est plus seulement comptable : il est politique et social.

Des caisses à bout de souffle

Le chef de l’État a le droit de s’alarmer, les chiffres des déficits des caisses sociales donnent le vertige. Dans une interview à Express FM donnée en septembre dernier, l’expert en protection sociale Badr Smaoui expose clairement la situation. La Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS) a vu son déficit passer de 600 millions de dinars en 2023 à 700 millions en 2024, et il devrait atteindre 1,13 milliard de dinars en 2025.

La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), elle, affiche un déficit encore plus profond : 950 millions de dinars en 2023, 1,23 milliard en 2024, et plus de 1,4 milliard attendus en 2025.

En combinant ces deux caisses, le trou dépasse 2,5 milliards de dinars en 2025, soit près de 1,5 % du PIB national (166,23 milliards de dinars, source : Banque mondiale).

La Cnam présente un excédent comptable en apparence : un milliard de dinars en 2023, puis 860 millions en 2024 et 760 millions prévus en 2025. Mais cet équilibre n’est qu’un mirage : la caisse manque cruellement de liquidités, étranglée par des dettes inter-caisses estimées à huit milliards de dinars.

Pendant ce temps, les caisses s’enfoncent dans l’absurde, suite à des décisions politiques irréfléchies. Les fameux prêts sociaux lancés par la CNSS — censés soutenir les cotisants pour l’achat d’un logement ou d’un véhicule — se sont transformés en fiasco : aucun des 800 millions de dinars alloués n’aurait été réellement déboursé, d’après M. Smaoui.

Sur le terrain, la rupture

La crise financière atteint désormais les citoyens. Le Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot) a décidé de suspendre le système du tiers payant pour les maladies ordinaires, à compter du 27 octobre 2025.

Sa porte-parole, Molka Moudir, évoque une décision « responsable mais inévitable » :

« Cela fait des années que nous avertissons, mais la Cnam a fini par abandonner les malades », a-t-elle déclaré hier lundi sur Jawhara FM.

Les conséquences sont immédiates : les patients doivent désormais avancer les frais pour les affections courantes (rhumes, grippes, infections légères).

Les officines, elles, sont étranglées : plus de liquidités, loyers impayés, crédits bancaires refusés. Certaines ont déjà fermé.

Le syndicat, réuni en assemblée générale le 25 octobre, a également annoncé qu’il ne renouvellera pas la convention avec la Cnam pour 2026, dénonçant une « inertie administrative » et l’absence totale de dialogue.

Ce qui se jouait sur les tableaux Excel des caisses sociales est désormais visible au comptoir des pharmacies : l’État-providence tunisien craque, sous les yeux de ses bénéficiaires.

L’Europe, miroir d’une impasse

Si la Tunisie se débat, elle n’est pas seule. Dans plusieurs pays européens, les caisses sociales vacillent pour les mêmes raisons : vieillissement démographique, cotisations insuffisantes, productivité en berne.

En Italie, le rapport 2024 Ageing Report – Country Fiche Italy de la Commission européenne prévoit que le coût des retraites représentera plus de 4 % du PIB d’ici 2050, en hausse constante en raison du vieillissement rapide de la population.

En Espagne, le BBVA Research estime que le déficit contributif du système de pensions dépassera 30 milliards d’euros, soit environ 2,2 % du PIB, dans les années à venir.

En France, la Cour des comptes indique, dans son rapport sur les lois de financement de la Sécurité sociale publié en mai 2025, que les régimes sociaux resteront durablement déficitaires autour de 3 % du PIB, malgré la réforme de 2023.

Partout en Europe, les solutions convergent.

Travailler plus longtemps, cotiser davantage ou réduire les pensions : trois voies, trois sacrifices, un même constat.

Les gouvernements ont fini par trancher, souvent au prix d’un choc social majeur. En France, la réforme des retraites a provoqué des mois de grèves et de manifestations avant d’être imposée. En Espagne, la hausse progressive des cotisations patronales a suscité la colère du patronat. En Italie, la suppression du dispositif « Quota 100 » — qui permettait un départ anticipé — a ravivé la fracture entre actifs et retraités.

Mais dans tous ces pays, le choix a été assumé : celui de préserver la soutenabilité du système, quitte à rogner sur la popularité politique.

La Tunisie des tabous

La Tunisie, elle, n’a pas encore fait ce choix. Le débat reste figé entre promesses électorales et tabous sociaux.

Augmenter l’âge de départ à la retraite est perçu comme un affront, relever les cotisations comme une punition, et toucher aux pensions comme un sacrilège.

Pendant que l’Europe réforme dans la douleur, Tunis préfère temporiser dans le déni.

Résultat : la facture s’alourdit chaque année, et le coût du silence devient supérieur à celui de la réforme.

Le président a beau s’emparer du dossier, il ne pourra éviter la question que redoutent tous ses prédécesseurs : qui paiera ?

Les actifs, déjà étranglés ? Les retraités, déjà vulnérables ? Ou l’État, déjà surendetté ?

Tant que cette question restera sans réponse, les caisses continueront de se vider à crédit, et la Tunisie s’enfoncera dans la même spirale que ses voisins du Nord — mais sans leur marge de manœuvre budgétaire.

Un pays qui ne veut pas voir

Le président a rouvert un dossier qu’aucun gouvernement n’a su affronter sans l’esquiver.

Mais pour l’instant, son initiative reste solitaire. Autour de lui, c’est le silence.

Aucun débat public sérieux n’a jamais eu lieu sur la faillite annoncée des caisses sociales.

Dans un pays où les retraites sont vécues comme un acquis intangible, où chaque hausse de cotisation est perçue comme une trahison et chaque réforme comme une menace, le pouvoir préfère détourner le regard.

Et les médias, eux aussi, ont déserté le terrain.

Le paysage médiatique tunisien s’est fragmenté : d’un côté, les médias de propagande, plus soucieux de célébrer les « succès » du pouvoir que de questionner la viabilité d’un système au bord du gouffre ; de l’autre, les médias indépendants, épuisés par leurs propres crises économiques et focalisés sur les atteintes aux libertés et à la justice.

Entre les deux, un vide abyssal.

Un désert éditorial où les chiffres de la CNSS et de la CNRPS ne trouvent plus d’écho, sinon dans quelques rapports techniques lus par personne.

L’État, lui, n’a jamais organisé la moindre conférence de presse pour exposer la gravité de la situation, ni même pour esquisser un plan de sauvetage.

Et le public, englué dans ses urgences quotidiennes, n’a pas envie d’entendre parler d’un sujet qui ne promet ni solutions rapides ni illusions rassurantes.

Les déficits, les bilans, les projections : tout cela semble lointain, abstrait, jusqu’au jour où la retraite tombe en retard ou lorsque la pharmacie refuse le tiers payant.

Pourtant, ce silence généralisé ne suspend pas la réalité.

L’État, les médias, le public : chacun joue à l’autruche, espérant que la tempête passera d’elle-même.

Mais la réalité sociale finit toujours par rattraper ceux qui l’évitent.

Et quand elle le fera, il ne restera plus grand-chose à sauver — ni les caisses, ni la confiance, ni la promesse d’un État-providence qui protège encore ses citoyens.

Maya Bouallégui

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4 commentaires

  1. scorpio2730

    29 octobre 2025 | 2h33

    Système pyramidal à la fois interdit par l’état et utilisé par les caisses de l’État, inévitablement ça va s’effondrer un jour puisque ça nécessite plusieurs cotisants pour payer un retraité.
    Donc la politique d’état des lieux le jour J, on va le sentir avant d’en entendre parlé

  2. Judili58

    28 octobre 2025 | 22h16

    Il va bien falloir débattre un jour de notre couverture sociale. Quand ? Espérons avant le naufrage.

  3. tda

    28 octobre 2025 | 17h59

    les gouffre des caisses sociales est une constant, pur un cotisant nous avons 4 ou 5 utilisateurs ce qui est normal. le problème en Tunisie reste les non cotisants, salaries non déclarés , entreprises du du marchés parallèles qui ne cotisent rien et qui ont pignons sur rue mais personnes ne va les voir car non inscrites au registres. alors au lieu de ne se fixer que sur ceux qui payent et qui ont des difficultés pour le faire autant aller voir la ou il le faut. mais il semble que le marche parallèle soit intouchable quelques que soit le président en place.

    alors ensuite compte tenu du vieillissement de la population d »une part et de la faible natalité de l’autre il y aura inévitablement moins de cotisants pour plus d’utilisateurs a l’avenir.

    par contre je n’ai pas compris l’utilité de la comparaison dite miroir avec les pays européens, le résultats est sans doute le même déficit des caisses mais les problèmes sont différents

  4. zaghouan2040

    28 octobre 2025 | 16h50

    Kaes Saed face au gouffre de son échec intégral
    La mal gouvernance s’est considérablement renforcée depuis 2021 bien que le régime ait déjà hérité d’une situation catastrophique
    La crise économique et sociale à venir, inédite de par son ampleur, ne pourra pas être gérée