Le pouvoir tunisien vient de s’offrir une belle prise : l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Une proie symbolique, parfaite pour nourrir la grande chasse aux libertés menée depuis quelque temps.
La suspension et le gel des comptes de l’association s’ajoutent à la longue liste des décisions arbitraires visant la société civile indépendante. Voici donc l’ATFD, coupable d’avoir trop existé, trop parlé, trop dérangé.
Le financement étranger, ce péché commode
Le prétexte est connu : le fameux « financement étranger », cette accusation magique brandie à chaque fois qu’il faut salir, disqualifier, faire peur. Dans la Tunisie du 25-Juillet, le soupçon suffit à condamner. L’accusation est lancée, répétée en boucle, amplifiée par les médias dociles et les armées numériques au service du pouvoir, comme si elle suffisait à prouver la trahison.
Peu importe que ces financements soient légaux, déclarés et contrôlés par la Banque centrale. Peu importe que la loi n’interdise nullement les partenariats avec des bailleurs étrangers. La vérité, c’est que la rhétorique du complot et du financement étranger sert d’écran à la faillite d’un régime incapable de gouverner autrement que par la peur.
Pendant ce temps, l’État, lui, vit à crédit, multiplie les demandes de prêts, tend la main aux mêmes bailleurs internationaux, sans que personne n’y voie atteinte à la souveraineté. L’argent étranger n’est sale que dans les mains de la société civile. L’hypocrisie, elle, est toujours nationale.
Une chasse généralisée à la société civile
Cette campagne contre l’ATFD n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un climat d’étouffement généralisé. Activistes, défenseurs des droits humains, journalistes, avocats, syndicalistes et opposants politiques sont devenus les boucs émissaires d’un régime qui cherche désespérément des coupables pour masquer sa faillite économique et morale.
Quand la misère s’installe, on accuse les militantes ; quand la colère monte, on invente des complots ; et quand l’autoritarisme s’essouffle, on crie à la menace contre la morale nationale. Le mot « complot » est devenu une clé universelle pour verrouiller tout débat et condamner toute pensée libre.
Ironie du sort, ceux qui se prétendent gardiens des valeurs sont souvent les premiers à les piétiner. Ils prétendent défendre la patrie, mais piétinent les droits de ses enfants. Et ils accusent les féministes de pervertir la société, alors qu’eux-mêmes la défigurent au nom d’un ordre moral aussi rigide que vide.
Le patriarcat, un éternel régime
Mais il y a dans la suspension de l’ATFD quelque chose d’encore plus révélateur : l’obsession du patriarcat pour les voix féministes. Depuis Ben Ali, en passant par Ennahdha, jusqu’aux hurluberlus du processus du 25-Juillet, l’ATFD a toujours cristallisé la haine des gardiens de l’ordre moral.
Trop libres, trop critiques, trop féministes. On les traitait de « moches », de « vieilles filles », de « mal baisées », d’« hystériques ». De « vendues » à l’Occident, de « traîtresses », d’« apostates ». Aujourd’hui, les mêmes insultes circulent sur les réseaux, relayées par les nouveaux croisés de la vertu. Seule la police a changé (ou pas), non la mentalité. Fait intéressant et tout aussi révélateur, des islamistes, eux-mêmes opprimés par le pouvoir, ont exprimé leur joie-mauvaise à la suspension de l’association.
Je me souviens encore, adolescente, de ce petit appartement de Sidi El Bahri où se tenaient les ateliers et les cercles de discussion animés par d’infatigables militantes. Les opposants s’y retrouvaient difficilement, encerclés et fliqués par des agents en civil très peu amènes, pour parler d’égalité, de liberté, de démocratie. Ces mots simples, presque interdits, que le régime d’alors trouvait déjà dangereux. Et voilà que 25 ans plus tard, ils le sont redevenus.
Plus qu’une suspension, une déclaration de guerre
L’ATFD, c’est ce souffle libre qui a traversé toutes les dictatures, refusant de se taire. L’association a survécu à Ben Ali, résisté à Ennahdha, affronté les campagnes de dénigrement et les menaces. Elle a tenu bon quand d’autres ont plié, parce qu’elle portait cette idée simple : les femmes sont des citoyennes à part entière, et l’égalité n’est pas une concession.
Ce que le pouvoir actuel ne supporte pas, c’est précisément cela : qu’un cadre associatif ose penser autrement, refuser la soumission et rappeler que la démocratie ne se décrète pas, elle se construit. Dans son langage de plus en plus autoritaire, le mot « indépendance » est devenu synonyme d’ennemi. La société civile, cette soupape de liberté, est désormais perçue comme une menace existentielle.
La décision de suspendre l’ATFD et d’autres organisations et médias associatifs n’est donc pas un simple abus administratif. C’est un acte politique délibéré, une déclaration de guerre à la société civile, un pas de plus dans la dérive autoritaire d’un pouvoir obsédé par le contrôle total. Le régime croit museler des militantes ; en réalité, il réveille un héritage qu’il ne comprend pas. Car ces femmes ont survécu à la dictature, résisté aux islamistes, et elles tiendront tête à tous les apprentis tyrans du présent. C’est peut-être ça, le vrai problème. Elles n’ont jamais su se taire.











Commentaire
Fares
Et les emprunts qu’on ne finit plus à contracter pour financer la présidence de la République, les ministères, les deux chambres qui ne servent à rien, l’ISIE…C’est du financement interne peut être? Il faut que que quelqu’un commence à balayer devant sa porte et qu’il arrête de se foutrs de nous.