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On compte sur nous-mêmes, mais avec l’argent des autres

Par Maya Bouallégui

Épisode 1 – On s’endette, donc on est

Il paraît que la Tunisie se porte mieux. La ministre des Finances l’a dit, jeudi dernier, devant des députés captivés — ou résignés, on ne sait plus. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on apprend qu’un pays en faillite part faire du shopping sur le marché financier international. Un emprunt de 400 millions d’euros, soit 1,4 milliard de dinars. Une broutille. Une paille. Une dette de plus pour la collection.

Mais attention, nous dit la ministre, ce sera à nos conditions. Rien que ça. Le pays qui n’arrive plus à payer ses importations de blé va dicter ses règles au marché mondial. Wall Street tremble, la Banque mondiale sue, le FMI se mord les doigts. La Tunisie débarque, souveraine et digne, pour dire aux investisseurs : « On vous emprunte, mais c’est nous qui fixons les conditions. » On croit rêver.

Pendant ce temps, le président continue son refrain favori : « Comptons sur nous-mêmes ! » Oui, mais avec l’argent des autres. Une petite schizophrénie financière dont il a le secret. Les prêts, il les méprise, sauf quand ils tombent du ciel, sans conditions, sans réformes, sans questions. Ce qui, dans le langage des institutions internationales, s’appelle une utopie.

Et puisque l’autosuffisance est à la mode, on crée des sociétés communautaires, on recrute à tour de bras, on multiplie les promesses d’embauches publiques. Tout cela financé à crédit, évidemment. L’État vit comme un rentier sans rente, distribue ce qu’il n’a pas, et laisse la facture aux générations futures. 

Quant au FMI, on le boude. Trop intrusif, trop exigeant. Il veut des réformes structurelles, le goujat. Alors on préfère emprunter ailleurs, à des taux plus élevés, mais sans qu’on nous demande de compter nos sous.

La ministre promet un retour « mesuré » sur les marchés. En Tunisie, tout est mesuré : la croissance, la transparence, la crédibilité. Seule la dette échappe à la règle. Elle, elle continue de croître, majestueuse et libre.

Le pays s’appauvrit, mais dans la dignité. Il ne produit plus grand-chose, mais il emprunte avec panache. On s’endette, donc on est.

La Tunisie est peut-être ruinée, mais, rassurez-vous, elle reste immensément riche… en crédits.

Épisode 2 – Défense de faire ce que je fais moi-même

Le pouvoir tunisien a trouvé son nouveau jouet : les associations. Il les accuse de tous les maux — ingérence étrangère, complot, subversion, blanchiment, sorcellerie — tout y passe. On dirait une série Netflix produite par la présidence : Kaïs et les ONG maléfiques.

Le scénario est simple : les associations reçoivent des dons étrangers, donc elles trahissent la patrie. Et comme tout ce qui bouge sans autorisation officielle est suspect, on ferme, on gèle, on traîne en justice. La semaine dernière, c’était l’ATFD qui a été suspendue. Cette semaine, c’est le FTDES et Nawaat. Les semaines à venir, on s’attend à I Watch, Al Khatt, Al Qatiba et une bonne cinquantaine d’ONG ayant bonne presse auprès de la société civile, de la presse et des citoyens.

Mais voilà : il y a un petit souci dans cette croisade morale.

Le régime, qui concentre tous les pouvoirs depuis quatre ans, n’a pas changé la loi sur le financement étranger. Autrement dit, ce qu’il dénonce est… parfaitement légal. Il brandit la souveraineté comme un gourdin, tout en laissant le texte ouvert à tous les ventres mous de la logique. Résultat : les associations font ce que la loi permet, et l’État fait semblant de découvrir l’arnaque.

Le plus savoureux, c’est que ce même État, si prompt à hurler contre l’argent venu d’ailleurs, vit littéralement grâce à lui.

Les mêmes institutions qui financent les ONG diabolisées — Banque mondiale, AFD, BAD, Afreximbank — sont celles qui font tourner le budget national.

On diabolise Soros le lundi et on signe un prêt avec Washington le mardi.

On condamne les dons pour « atteinte à la souveraineté », puis on emprunte à 8 % d’intérêt pour financer les salaires.

C’est la schizophrénie en politique publique, estampillée Made in Carthage.

Et parce qu’un désastre ne vient jamais seul, cette paranoïa a contaminé le système bancaire.

Les banques bloquent tout : virements, dons, paiements, jusqu’aux 200 euros envoyés par un client allemand à un graphiste de La Marsa.

Il faut prouver que ce n’est pas un cousin.

Les PME crèvent de lenteur, les artisans jettent l’éponge, et la Tunisie découvre qu’en fermant les robinets, elle a aussi coupé l’eau potable de son économie.

Le pouvoir voulait traquer le blanchiment. Il a fini par lessiver la confiance.

Il ne manque plus qu’une chose à ce régime : nous donner la permission d’exister.

Épisode 3 – Son Altesse la Morale

Le prince Andrew, frère cadet du roi Charles III, est définitivement tombé en disgrâce. Mis en cause dans l’affaire Jeffrey Epstein, il a reconnu, à demi-mot, avoir entretenu des relations douteuses avec le financier américain pédocriminel. Il était accusé d’avoir eu, à plusieurs reprises, des rapports sexuels contraints avec Virginia Giuffre, alors mineure et sous l’emprise d’Epstein. Pour éviter un procès retentissant à New York, Andrew a préféré signer un chèque de plusieurs millions de dollars.

L’affaire a refait surface après la parution, cette semaine, des mémoires posthumes de Virginia Giuffre, Nobody’s Girl, qui s’est suicidée en avril dernier. Son témoignage, sans détour, a rouvert la plaie que Buckingham voulait croire refermée. Et Charles, dans un élan de vertu tardive, a jugé bon de sacrifier un frère pour sauver la dynastie.

Ce 30 octobre, la sentence royale est tombée. Le roi Charles III a annoncé qu’un « processus formel » était engagé pour retirer à son frère tous ses titres et honneurs. Andrew ne sera plus « Son Altesse Royale le duc d’York », mais simplement Andrew Mountbatten Windsor. Il devra aussi quitter sa résidence de luxe du Royal Lodge pour aller s’installer, plus modestement, à Sandringham — c’est-à-dire à 180 kilomètres de Londres, dans une autre propriété royale. Bref, l’exil en Rolls-Royce.

Une sanction ? Plutôt une caresse.

Dans n’importe quel pays démocratique, un citoyen accusé de tels faits aurait fini entre quatre murs gris, pas entre quatre boiseries dorées. Mais au Royaume-Uni, la justice sait faire la révérence aux altesses. Elle punit mollement, du bout des gants, pour ne pas froisser la soie bleue de Windsor.

Le roi Charles III se félicite d’avoir « protégé la dignité de la Couronne ». En réalité, il la protège comme on protège un héritage : on nettoie la façade, on garde les clefs. L’honneur monarchique se résume à une opération de communication bien huilée. On ne lave pas plus blanc, on repeint en beige.

La presse applaudit, les diplomates saluent « la rigueur du souverain », et la famille Giuffre, épuisée, parle de justice. Mais quelle justice ? Celle où un prince coupable achète sa rédemption, pendant qu’un citoyen sans titre croupit pour bien moins ?

Dans l’affaire Andrew, la monarchie n’a pas perdu un prince. Elle a perdu la décence.

Épisode 4 – Justice, cette espèce en voie d’extinction

La semaine dernière, je vous parlais de Donald Trump qui envoyait ses missiles en pleine mer pour pulvériser les narcotrafiquants — méthode simple, efficace, et surtout propre : pas de procès, pas de juges, pas de comptes à rendre. Cette semaine, direction le Brésil, où le gouverneur de Rio a trouvé la version sud-américaine de la formule magique trumpienne : on ne bombarde pas, on descend les dealers chez eux. Résultat : 120 morts. Le plus grand massacre policier de l’histoire du pays.

Au petit matin du 28 octobre, deux hélicoptères, 32 blindés, 2500 policiers, et quelques tonnes de testostérone ont envahi les favelas de l’Alemao et de la Penha. Objectif officiel : neutraliser les chefs du Comando Vermelho. Objectif réel : prouver qu’on gouverne avec les muscles. Le gouverneur Claudio Castro, héritier politique de Bolsonaro, a félicité ses troupes : « coup dur pour la criminalité ».

Coup dur surtout pour les habitants : des corps étalés dans les rues, des mères nettoyant le sang de leurs fils, des familles attendant devant les morgues. Le Brésil a trouvé sa justice expéditive : on tire d’abord, on classe ensuite.

Pendant que les Nations unies « expriment leur horreur » — formule diplomatique pour dire « on est consternés mais on ne fera rien » —, le gouverneur sourit devant les caméras. Il appelle ça la guerre contre le crime. Une guerre sans prisonniers, sans juges, sans défense. En clair : une guerre contre la justice elle-même.

Mais la morale est universelle : de Washington à Rio, en passant par Tunis et Londres, tout le monde y va de sa petite vendetta contre le droit. Trump voulait la mer pour cimetière, Castro préfère les ruelles de Rio. En Tunisie, on ferme les associations au nom de la souveraineté. Et à Londres, on déchoit un prince au lieu de le juger, parce qu’en Occident aussi, la dignité royale vaut bien un non-lieu.

Même scénario, trois continents, un seul fil rouge : la loi n’est plus qu’un accessoire, qu’on enfile ou qu’on jette selon le costume du jour.

Les dictateurs la contournent, les démocraties la maquillent, les rois la travestissent. Partout, la justice n’est plus un idéal, mais un alibi.

On vit décidément une époque magnifique : les puissants tuent, les rois blanchissent, les régimes étouffent et chacun, à sa manière, invente sa version du crime parfait.

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Commentaire

  1. Fares

    1 novembre 2025 | 23h27

    Accountability? « Je n’aime pas ça », je l’imagine annoncer à Atika une cigarette Malboro made in USA entre les lèvres. Celui qu’on ne sait plus comment appeler a passé la majorité de son existence en freeloader. Il a profité et continue à profiter d’un système malade sans payer un sou troué. Sa marchandise n’ est que palabres, futilités et mensonges. Il ne veut rendre compte à personne, même pas à son peuple chéri qui n’inclut, visiblement, aucun tunisien/tunisienne à l’exception d’un certain jrad et j’ai des doutes là-dessus. Un peuple dont l’habitat est l’imagination de Saïed.

    L’université tunisienne lui a appris qu’on peut s’en tirer pendant 35 ans sans aucune publication académique, ni une thèse, un freeloader, un resquilleur, un مرسكي empruntant une Zina et sa consoeur Aziza sans payer un millime rouge.

    Le bien et le mal sont relatifs selon Spinoza, selon ce que je sache. Cette relativité est encore plus manifeste dans un système fsciste où le peuple n’est qu’un concept dans l’ esprit généralement troublé du tyran originel.

    Toutes les organisations de modération ont été anéanties par un Saied en plein délit ou en pleine trance sans aucun come back esperé. Le CSM, la cours constitutionnelle, l’ISIE, la HAIKA, l’ARP malgré ses maux, la presse indépendante et cetera et cetera.

    Sans feedback, les notions du bien et du mal cessent d’être universelles. Le tyran du jour pourrait prescrire sa perception du bien et du mal à sa guise, jusqu’à un putch s’en suivra. Le modus operandi de toute république bannière qui ne se respecte point.

    Le régime courant, Kais Said inclus, doit rendre des comptes maintenant, sans attendre que la chute des têtes de gondole du système. It is time to reboot.