Alors que le pays absorbait le choc de la condamnation d’Ahmed Souab, vendredi 31 octobre, après une audience expédiée en sept minutes, lui croupissait dans sa cellule, sans la moindre information sur le sort qu’on lui avait réservé. Il n’a fini par apprendre sa lourde sentence qu’au bout de trois jours, un lundi matin, lors de la visite de son avocat Chawki Tabib.
Cette peine, à la fois démesurée et absurde pour de simples propos métaphoriques, n’a pas surpris l’ancien magistrat. Il s’y attendait. Il a simplement décidé de faire appel.
Ahmed Souab a bien compris que cette condamnation prononcée en pleine nuit n’avait rien à voir avec les chefs d’accusation. Elle n’est pas liée aux faits reprochés, ni à leur supposée gravité. Elle vise sa personne, ce qu’il incarne, son statut et le contexte dans lequel il s’inscrit.
Cette peine, lourde autant par sa durée que par sa portée symbolique, avait été décidée bien avant le simulacre d’audience qui lui a été offert, bien avant ces sept minutes dérisoires et même avant la fixation de la date du procès. C’est un message : à tous ceux qui osent défier le nouvel ordre établi — méfiez-vous, et taisez-vous.
Punir pour l’exemple
Car Ahmed Souab n’a pas été condamné pour avoir seulement alerté sur les dérives de la justice. Il l’a été pour avoir nommé ce que tous voient mais que beaucoup refusent d’admettre. Il servira d’exemple, au même titre que la longue liste d’autres prisonniers injustement privés de liberté, pour rappeler à tous la marche à suivre.
Sur les réseaux, des citoyens ordinaires se déchaînent, applaudissant la sentence : « Il n’a eu que ce qu’il mérite », « Il l’a bien cherché ». D’autres vont plus loin, l’accusant sans preuve d’avoir « volé l’argent du peuple », sans jamais connaître ni le dossier ni l’homme. Il suffit d’un mot d’ordre pour que la foule s’excite et applaudisse aveuglément la nouvelle démonstration de force du régime : réduire au silence toute prétendue élite, jugée responsable du marasme où nous pataugeons aujourd’hui.
Ahmed Souab n’est pas le seul à découvrir son sort après tout le monde. D’autres apprennent la décision qui scelle leur vie plusieurs jours après que le pays entier s’est déjà indigné — ou réjoui — d’un verdict jugé inique par les uns, triomphal par les autres. Dans l’univers carcéral, la justice écrase, les voix se perdent, et les hommes se dissolvent lentement dans le silence.
Le visage d’une autre victime
Une autre victime de ce même système, parmi tant d’autres, c’est Sonia Dahmani. Elle incarne celles qu’on ne voit pas, celles qui survivent dans la terreur des prisons pour femmes en Tunisie. Là où l’on brise, où l’on déshumanise, où la moindre faille devient prétexte à vous ôter le dernier fragment d’espoir. Sonia a, elle aussi, appris hier la condamnation prononcée contre Ahmed Souab. Un verdict qui l’a anéantie et a réussi à faire vaciller ses espoirs.
La photo de Sonia Dahmani, dépouillée de tout son apparat de femme publique, privée de sa carapace et de ce qui symbolisait sa force, a circulé massivement depuis hier. Les internautes ont exprimé leur désolation en découvrant cette femme connue pour son aplomb, aujourd’hui amaigrie, fatiguée, marquée par l’épreuve. En somme, une femme jadis respectée, réduite au rang de simple prisonnière.
Mais malgré tout, Sonia continue de résister. Son visage affaibli affichait malgré tout son plus beau sourire. Sonia Dahmani et Ahmed Souab refusent d’abdiquer. Malgré tout. Mais à quel prix ? Ils s’accrochent à l’idée que l’absurde finira par rendre des comptes à la raison, que ce monde tordu retrouvera un jour son axe et que le silence finira par se rompre.
Le prix du silence
Ceux qui se taisent aujourd’hui ne le font plus par ignorance, mais par instinct de survie. Le pouvoir a trouvé le moyen le plus efficace de gouverner : entretenir la peur, la lassitude et le spectacle de la punition. Chaque visage derrière les barreaux, chaque voix réduite au silence, rappelle à tous ce qu’il en coûte de parler trop fort.
Le plus inquiétant n’est pas la brutalité du régime, mais la docilité qu’il produit. On s’habitue. On regarde ailleurs. On commente un peu, on partage une photo, puis on passe à autre chose. L’injustice devient un bruit de fond, comme un vieux générateur qu’on n’entend plus, mais qui continue de tourner.
Pendant ce temps, ceux qui dérangent sont broyés à petit feu, dans l’indifférence feutrée d’un pays qui a troqué sa liberté contre un simulacre de stabilité. Ahmed Souab et Sonia Dahmani ne sont pas seulement des victimes d’un système judiciaire dévoyé. Ils sont les témoins d’une époque où la peur a remplacé le débat, où la soumission s’est maquillée en sagesse, et où la dignité est devenue une faute.










