Quatre mois après « l’accord » du 3 juillet, les jeunes médecins retournent dans la rue.
Le ministère de la Santé n’aurait respecté aucune de ses promesses, et l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) annonce le deuxième round de la contestation.
La crise reprend là où elle s’était provisoirement arrêtée.
Mardi 4 novembre, le président de l’OTJM, Wajih Dhokkar, publie un communiqué incendiaire : le ministère de la Santé a trahi sa parole et piétiné l’accord signé en juillet sous la garantie du Conseil de l’Ordre des médecins.
« Après quatre mois de manœuvres et de mépris, il est temps de reprendre la lutte », déclare-t-il, accusant l’administration d’avoir géré le dossier « selon ses humeurs et non selon la loi ».
Derrière ce ton rageur, un constat froid : aucun des engagements pris par le ministère n’aurait été tenu.
Les exemptions de service civil pour les médecins atteints de maladies chroniques, les femmes enceintes, allaitantes ou ayant des proches dépendants ? Aucune note officielle.
Certaines praticiennes, enceintes ou jeunes mères, se voient même affectées dans deux gouvernorats à la fois, d’autres contraintes de quitter leur nourrisson pour des hôpitaux éloignés.
Promesses salariales disparues et formation détournée
L’accord de juillet prévoyait une revalorisation salariale dès janvier 2026.
Quatre mois plus tard, rien n’a été publié au Journal officiel, et le projet de loi de finances 2026 n’en fait aucune mention.
Le ministère propose désormais de diviser l’augmentation sur trois ans, prétextant des contraintes budgétaires.
« Tout repose sur des promesses orales », ironise M. Dhokkar, qui dit n’avoir obtenu que des réponses du type : « Patientez, tout est bloqué. »
Autre scandale : à la Faculté de médecine de Sfax, la formation continue facturée cinquante dinars a été surfacturée dix fois plus, à hauteur de 500 dinars versés à des associations privées, dont Santé et Environnement.
Saisie, la tutelle n’a rien fait. « Ils regardent les dépassements en spectateurs », accuse l’OTJM.
Des gardes impayées et un mépris persistant
Sur le terrain, des centaines de jeunes médecins continuent de travailler sans rémunération depuis plus d’un an.
Les directeurs généraux du ministère sont au courant, mais rien ne bouge.
« Qu’ils ne soient pas payés ? Qu’ils patientent encore », rapporte M. Dhokkar.
Les courriers officiels, mails et appels adressés au ministre sont restés sans réponse.
Quant au Conseil de l’Ordre, censé garantir l’application de l’accord, il s’est contenté d’une phrase laconique : « Le ministre tiendra parole. »
Juillet : un compromis sous perfusion
Pourtant, le 3 juillet, tout semblait s’apaiser.
Après des mois de tension, une réunion décisive avait réuni le ministère, l’OTJM et le Conseil de l’Ordre.
La médiation avait permis d’éviter une nouvelle grève des internes et résidents.
L’organisation avait même suspendu son mouvement pour prouver sa bonne foi.
Mais dès le lendemain, un silence pesant s’était installé : aucune communication officielle, aucun texte publié.
Le ministère avait promis, mais sans écrire. Et dans la Tunisie de 2025, une promesse non écrite vaut peu de chose.
Juin : la colère originelle
Ce retour de flamme trouve ses racines dans un climat de révolte bien plus ancien.
Dès le mois de juin, plus de 7.000 jeunes médecins s’étaient mobilisés pour dénoncer leurs conditions de travail.
Les revendications étaient claires : révision de la rémunération des gardes de nuit, exonération du service civil obligatoire et revalorisation d’une bourse mensuelle jugée dérisoire.
À l’époque, le vice-président de l’OTJM, Baha Eddine Rabei, dénonçait « l’inaction totale du ministère » et le « mépris » face aux revendications.
Le boycott massif (95 %) des affectations de stages par 6.200 médecins symbolisait déjà la rupture.
Wajih Dhokkar décrivait alors une précarité alarmante : un dinar l’heure de garde, 1.500 dinars de salaire mensuel, et jusqu’à 700 dinars de loyer dans certaines villes côtières.
De la promesse à la trahison
La boucle est bouclée. Entre la grève de juin, l’accord de juillet et la trahison de novembre, le scénario est toujours le même : un ministère qui promet, qui temporise, puis qui oublie.
En trahissant un accord signé sous la garantie du Conseil de l’Ordre, le ministère de la Santé n’a pas seulement manqué à sa parole — il a sapé la confiance de toute une génération de médecins.
Et cette génération, déjà tentée par l’exil, a désormais une conviction : dans la Tunisie de 2025, même la parole de l’État est devenue un document sans valeur.
M.B.











Commentaire
Judili58
Les internes et résidents sont l’épine dorsale de l’hôpital public.