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Les Zqafna quittent le navire

Par Maya Bouallégui

Épisode 1 — Les députés sous stéroïdes

Il y a des semaines comme ça, où le pays semble avoir reçu un lot promotionnel de courage politique.

Depuis quelques jours, les députés tunisiens ont retrouvé ce qu’ils n’avaient jamais eu : des gonades civiques, fraîchement implantées par on ne sait quel chirurgien de la dignité retrouvée. Les plus hardis osent s’en prendre au président de la République, d’autres — plus prudents — préfèrent s’acharner sur le gouvernement, ce même gouvernement pourtant choisi, nommé et piloté par le président lui-même.

Les plus téméraires d’entre eux s’en prennent même à Brahim Bouderbala, président de l’Assemblée, l’homme de confiance du chef de l’État. Et voilà qu’une motion de censure se prépare ! Rien que ça ! On dirait des collégiens révoltés contre le surveillant, tout en sachant que le proviseur les observe depuis la fenêtre.

Ce petit théâtre donne l’illusion d’une vie parlementaire. On applaudit, on crie au réveil démocratique. En vérité, rien n’a changé : ces braves insurgés ne font qu’ajuster leur posture avant la tempête et préparent leur alibi. Si jamais le régime venait à s’effondrer, ils pourront dire, la main sur le cœur : nous, on a toujours résisté.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces élus ne représentent que 11 % des Tunisiens. Leur bravoure est proportionnelle à leur légitimité. Ils ne se rebellent pas, ils se repositionnent.

Et pendant qu’ils révisent leur rôle d’opposants tardifs, d’autres figures du 25-Juillet, plus bruyantes encore, découvrent les désagréments des convocations judiciaires. Ces zqafna notoires, jadis champions de la flagornerie présidentielle, hurlent aujourd’hui à la persécution judiciaire. On les croyait inséparables du régime ; les voilà soudain martyrs de la liberté. Quelle carrière !

Le plus amusant, c’est qu’ils s’indignent avec le même zèle qu’ils mettaient autrefois à acclamer. On ne change pas un tempérament : on recycle son hypocrisie.

Tout cela sent la fin de règne, ce moment délicieux où les rats se persuadent qu’ils ont toujours nagé du bon côté.

Épisode 2 — Les Zqafna à Manhattan

Après les députés qui quittaient le navire en se découvrant du courage, voici les Zqafna qui le quittent en se découvrant de l’ouverture.

Depuis la victoire de Zohran Mamdani, ils paradent, gonflés d’orgueil universel.

Un musulman à la tête de New York ! Hourra ! La revanche de l’Orient sur l’Occident !

Ils partagent des selfies, des versets et des hashtags de triomphe comme si Manhattan venait d’être annexée à la Oummah.

Mais ces champions de la tolérance importée détestent toujours autant la diversité locale.

Ils acclament un migrant élu à New York, tout en exigeant l’expulsion des Subsahariens pour “préserver la composition démographique du pays”, comme si trois étudiants maliens allaient repeupler la Marsa.

Ils s’attendrissent d’un musulman maire du monde libre, mais refusent qu’un non-musulman dirige la République tunisienne.

Ils saluent la liberté ailleurs, mais chez eux, le prosélytisme est un crime, et la Constitution de Kaïs Saïed interdit aux binationaux d’être députés et encore moins candidats à la présidence.

C’est un sport national : applaudir la liberté quand elle s’exerce à six mille kilomètres, et la piétiner 54 fois dès qu’elle approche du Bardo.

À six mille kilomètres, elle les éblouit ; à six kilomètres, elle les insupporte.

Et dans ce pays, il faut bien que quelqu’un l’écrive : les rats quittent toujours le navire… même quand c’est pour aller faire du tourisme moral à New York.

Épisode 3 — Quand l’IA devient ministre de la Propagande

En Hongrie, Viktor Orbán vient d’inventer la propagande 3.0.

À l’approche des législatives, son équipe a trouvé mieux que les affiches mensongères : elle fabrique les mensonges directement en vidéo. Grâce à l’intelligence artificielle, le principal opposant, Péter Magyar, est devenu le personnage d’un film qu’il n’a jamais tourné.

Sur Facebook, on le voit annoncer fièrement qu’il va réduire les retraites. Dans d’autres séquences, il apparaît en camisole de force, traîné comme un chien en laisse. Tout cela créé par IA, voix, visage, décor : un faux plus vrai que nature. Et c’est le propre directeur de campagne de Viktor Orbán qui diffuse ces vidéos truquées, en expliquant, sans ciller, que « l’IA fait désormais partie de la boîte à outils politique ».

Voilà donc l’outil du siècle : transformer un rival en fou dangereux, une caméra en arme et la vérité en variable d’ajustement. Les Hongrois, eux, regardent défiler sur leurs téléphones des images fabriquées par des algorithmes payés avec leurs impôts. L’Europe, impuissante, observe.

Ce n’est plus de la communication, c’est du clonage politique.

Et c’est peut-être la première fois qu’un gouvernement européen utilise officiellement l’intelligence artificielle pour détruire un adversaire.

Alors, à Tunis, on ricane.

On se souvient de Kaïs Saïed, prophète improvisé, déclarant que «l’intelligence artificielle est un danger pour l’humanité ».

Voilà qu’Orbán lui donne raison : l’IA n’a pas remplacé l’homme — elle l’a juste rendu plus dangereux.

Le vrai péril n’est pas dans les machines, mais dans les cerveaux qui les programment.

Et sur ce point précis, reconnaissons-le : Kaïs Saïed a eu une intuition… de génie artificiel.

Et si Kaïs Saïed avait raison, finalement ?

Pas sur la science, mais sur la tentation : celle d’utiliser les machines pour rendre les peuples encore plus dociles.

Épisode 4 — Propagande 2.0 : le vice made in China

Pendant que Viktor Orbán joue à la propagande 3.0 avec l’intelligence artificielle, nos amis des médias français, eux, restent fidèles à la vieille école : la propagande 2.0, version morale et occidentale, celle où on se donne bonne conscience entre deux plateaux télé.

Depuis quelques jours, les rédactions parisiennes ont trouvé un nouveau croquemitaine : les plateformes chinoises Shein, AliExpress, Temu et Wish. L’info tourne en boucle : ces géants du e-commerce auraient laissé passer sur leurs marketplaces — ces sites où des vendeurs indépendants proposent leurs produits sous la bannière d’un grand site — des poupées sexuelles à l’apparence d’enfants.

Indignation générale, chœurs médiatiques, effets spéciaux inclus.

Et bien sûr, les titres à rallonge : “Des poupées pédopornographiques venues de Chine choquent la France !” Les mots choisis sont d’une gravité absolue : « pédopornographie », « atteinte à la dignité », « scandale moral ».

Les journalistes s’enchaînent sur les plateaux pour dénoncer la barbarie numérique venue d’Asie, les ministres s’étranglent de vertu, et les plateaux s’embrasent. On frôle la croisade.

Mais personne ne pense à vérifier ce que tout le monde aurait pu vérifier : les mêmes produits sont en vente sur Amazon et eBay, ces vitrines toutes américaines de la morale occidentale.

Un journaliste du Monde a simplement tapé les mots-clés sur Amazon et eBay — bingo, même marchandise ! Mais curieusement, ni micros indignés ni reportages chocs. Silence radio. Étrange, non ? Quand c’est chinois, c’est scandaleux. Quand c’est américain, c’est un bug de l’algorithme journalistique.

Mais il faut comprendre : taper sur la Chine, c’est sans risque. Taper sur les États-Unis, c’est moins conseillé.

Ce réflexe sélectif ne s’arrête pas au commerce. Quand un Israélien est détenu à Gaza, c’est un otage. Quand des milliers de Palestiniens croupissent dans les prisons israéliennes, ce sont des prisonniers, quand on daigne en parler.

Quand un Européen est incarcéré en Iran, c’est une violation des droits de l’homme et on parle d’otage d’État. Quand un Iranien disparaît dans les geôles européennes, c’est un fait divers dont personne ne parle.

Toujours les mêmes mots pour les mêmes horreurs, mais pas les mêmes coupables.

La morale médiatique européenne, c’est comme la lumière des studios : elle n’éclaire que ce qu’on veut filmer.

Pendant qu’Orbán teste la désinformation à coups d’intelligence artificielle, les médias français continuent leur vieille méthode : fabriquer l’indignation sur commande. L’un ment avec des algorithmes, les autres avec des adverbes.

Alors oui, Viktor Orbán trafique ses opposants avec l’IA. Mais au moins, il ne prétend pas faire du journalisme.

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2 commentaires

  1. Gg

    8 novembre 2025 | 18h08

    En effet le 7 octobre le hamas a pris des otages en Israël. Et dans la guerre qui s’en est suivie Israël a fait des prisonniers.

  2. Hannibal

    8 novembre 2025 | 16h43

    En Tunisie, ce serait génial d’utiliser l’IA pour fabriquer des communiqués nocturnes qui donnent envie de les lire et leurs vidéos de les voir. Je sait qu’il n’y aurait pas par la suite d’actions effectives mais un rêve est toujours mieux qu’un cauchemar.