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Face à Leila Jaffel, Mohamed Ali dresse un tableau noir de la Justice tunisienne

Par Nadya Jennene

Lors d’une intervention à la plénière consacrée à l’examen du budget du ministère de la Justice à l’Assemblée des représentants du peuple, le député Mohamed Ali a dénoncé le silence persistant du ministère de la Justice face aux demandes d’informations concernant les poursuites engagées en vertu du décret 54. 

Il a rappelé que plusieurs élus avaient adressé, le 21 juillet 2024, une correspondance officielle à la ministre afin d’obtenir des données précises. « Mais jusqu’à cet instant, nous n’avons reçu aucune réponse, ni même un accusé de réception », a-t-il affirmé, estimant que cette attitude constitue « un mépris pour l’institution parlementaire ».

Un gouvernement qui ne veut pas être tenu responsable

L’élu a accusé la ministre de manquer aux obligations constitutionnelles qui imposent la transparence de l’action gouvernementale. « Nous vous avons écrit en tant que membre du gouvernement, responsable devant cet Assemblée et tenue par la Constitution et la loi de fournir l’information et de respecter le droit des députés d’interroger l’exécutif », a-t-il avancé. 

Selon lui, ce refus de coopérer sape la crédibilité de l’action parlementaire. « Ce qui s’est passé porte atteinte au travail législatif, affaiblit son rôle de contrôle et nous place face à un gouvernement qui ne veut ni être interrogé ni être tenu responsable », a-t-il affirmé. 

Il a également dénoncé le contraste entre les discours officiels sur la digitalisation et la réalité des pratiques administratives. « Comment peut-on parler de numérisation de la justice alors que des correspondances officielles émanant des représentants du peuple sont tout simplement ignorées ? ».

Un système judiciaire « en confusion »

Mohamed Ali a ensuite durement critiqué la situation du système judiciaire depuis la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Selon lui, « la justice tunisienne vit un état de confusion » depuis que le CSM a été remplacé par une instance provisoire incapable de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Il a dénoncé les vacances prolongées dans des postes clés, laissées volontairement sans nomination. « Le pouvoir exécutif maintient des postes vacants — comme celui du premier président de la Cour de cassation, du procureur général de la République ou du président du tribunal foncier — ce qui ne peut qu’affaiblir davantage l’institution judiciaire », a-t-il déploré. 

Il a également fustigé les mutations et révocations de magistrats effectuées par de simples notes de service émanant du ministère. 

Le député a par ailleurs accusé le ministère d’avoir refusé d’exécuter une décision de la justice administrative datant d’août 2022 ordonnant la réintégration des juges révoqués par le décret présidentiel 516. « Cette décision est définitive et immédiatement exécutoire, mais elle n’a toujours pas été appliquée. N’est-ce pas là une violation flagrante de la Constitution ? », a-t-il signalé. 

Un médecin pour 800 prisonniers

Le député a ensuite décrit une situation dramatique dans les établissements pénitentiaires, citant plus de 32 000 détenus pour une capacité maximale de 18 000. « Cela signifie que 12 000 prisonniers n’ont même pas de lit, avec un taux de surpopulation qui atteint 140%, et jusqu’à180 % dans certaines prisons comme Mornaguia ou Sfax », a-t-il dénoncé. 

Il a rappelé que la moitié des détenus était, en plus, en détention préventive, sans condamnation définitive, ce qui représente, à son sens, une « violation du principe de la présomption d’innocence ».

Il a déploré les services de soins accordés aux prisonniers notant que les établissements pénitentiaires ne fournissent qu’ « un médecin pour environ 800 prisonniers », sans parler du « manque aigu de médicaments, une absence de suivi psychologique, et une hausse inquiétante des suicides — 12 cas en 2024 ». « La prison en Tunisie s’est transformé en un lieu de châtiment corporel et de souffrance plutôt que de réinsertion et de réintégration », a-t-il ajouté. 

Décès suspects en prison

Évoquant les décès « suspects » survenus en prison en 2023 et 2024, Mohamed Ali a dénoncé l’absence d’enquêtes transparentes. « Dans la plupart des cas, l’administration se contente d’un bref communiqué, sans autopsie ni enquête judiciaire claire », a-t-il déclaré.

Rappelant que « la Constitution consacre le droit à la vie comme un droit sacré », il s’est interrogé : « Où est donc le caractère sacré de ce droit lorsqu’un citoyen meurt en prison sans que personne ne soit tenu responsable, sans que la vérité soit révélée. »

Procès à distance et atteinte au droit de la défense

Mohamed Ali a, par ailleurs, critiqué la généralisation des procès à distance depuis la pandémie. « Ces pratiques portent directement atteinte au droit de la défense et au principe de la comparution devant le juge », a-t-il indiqué ajoutant : « Peut-on réellement considérer qu’une audience virtuelle tenue derrière un écran, dans une prison surpeuplée, constitue un procès équitable ? ».

Il a ensuite dénoncé les restrictions imposées aux observateurs extérieurs les qualifiant d’inquiétantes. « Il est extrêmement préoccupant que des journalistes et des représentants de la société civile soient empêchés d’assister à des audiences publiques, notamment celles impliquant des civils ou des affaires d’opinion », a-t-il alerté assurant que 25 cas d’interdiction d’assister aux audiences d’affaires liées à la liberté d’expression ont été recensés entre 2023 et 2024. 

Libérer les détenus d’opinion

Le député a conclu son intervention en appelant à une série de mesures urgentes pour remettre la justice sur les rails. Il a d’abord exigé la restauration du Conseil supérieur de la magistrature dans sa composition constitutionnelle, estimant que seule une instance pleinement indépendante peut garantir l’autonomie du pouvoir judiciaire. Il a également réclamé un plan d’urgence destiné à réduire la surpopulation dans les prisons et à améliorer les conditions de détention, jugées aujourd’hui indignes et contraires aux standards internationaux.

Le député a par ailleurs demandé l’ouverture d’enquêtes transparentes sur les décès enregistrés dans les établissements pénitentiaires, ainsi que l’exécution immédiate des décisions de justice, notamment celles relatives à la réintégration des magistrats révoqués. Il a insisté sur la nécessité de mettre fin au recours systématique aux procès à distance, considérés comme portant atteinte au droit à un procès équitable.

Il a également souligné l’importance de garantir la publicité des audiences et de permettre l’accès des journalistes, rappelant que la transparence judiciaire est une obligation démocratique et non une option. Enfin, il a appelé à la libération des journalistes et des détenus d’opinion poursuivis en vertu du décret 54, ainsi qu’à l’adoption d’alternatives à l’incarcération pour les délits mineurs, afin de désengorger durablement les prisons et d’humaniser la politique pénale.

N.J

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4 commentaires

  1. Vladimir Guez

    16 novembre 2025 | 14h52

    Dommage que les gens de valeur, comme ce Monsieur, se comptent sur les doigts d’une main.

  2. Roberto Di Camerino

    16 novembre 2025 | 14h38

    Mohamed Ali ( pas de nom de Famille?) veut mettre Leila Jaffel en prison? Si elle avoue que c’est le Zakafoun qui lui donne les ordres de mettre tel ou untel en taule , elle va le payer en perdant la liberte ou bien meme la vie. Le locataire de Carthage est un mec dangereux.

    • EL OUAFI

      16 novembre 2025 | 18h04

      Bonjour monsieur le modérateur,vous continuez à me censurer,pourtant mon commentaire ne porte aucune atteinte à quiconque ni au député ni à vous même ni à déontologie de votre journal.
      Or je ne vois aucun intérêt à votre initiative !
      A moins que vous souhaitez que je ne commente plus !
      Madame Jeffel,n’est que ministre de la justice en aucun cas elle a interférer dans les décisions des juges.
      Ces messieurs (Juges) prennent des décisions en se référant aux textes des lois et en leurs âmes et conscience et la gravité des faits.
      Ni Madame la ministre ni le président KAIS SAÏED n’ont à interférer ou donner des consignes ou encore des directives.
      Si monsieur le député Ali a des liens avec certains des prévenus il est normal qu’il manifeste son désaccord avec Madame la ministre et par ricochet tout l’ensemble des ministres car la décision des juges ne lui conviennent pas !
      Notre pays est infesté de de corrompus de malfaisants des voleurs des requins qui sévissent depuis l’ère Bourguibienne et accentué avec l’avènement de ZAB et la tribu des TRABELSSIA !
      IL est temps de remettre de l’ordre dans la maison.
      Pour une fois qu’on a président honnête incorruptible pieux qui aime son pays.
      Ce monsieur Ali comme député il me semble qu’il aime bien cracher dans la soupe.

  3. Rabii Bannouri

    15 novembre 2025 | 19h49

    Merci monsieur le depute. Vous avez fait votre devoir en votre ame et conscience. Et c’est tout ce qu’on a toujours attendu de nos elus. Vos collegues doivent tous en faire autant. Le pays a besoin que les verites eclatent au grand jour et que tout un chacun, dans la classe poltitique, regarde ces verites en face au lieu de se derober, avant qu’il ne soit trop tard. Encore merci.