L’Association des magistrats tunisiens (AMT) a livré, lundi 24 novembre 2025, un constat d’une rare gravité à l’issue d’un rassemblement tenu le 22 novembre au Club des juges.
Après des échanges « longs et approfondis », l’AMT dresse le tableau d’un système judiciaire désarticulé, fragilisé, et placé sous la domination directe du pouvoir exécutif, avec des répercussions touchant aussi bien les magistrats que les justiciables et les institutions de contrôle.
Juges révoqués : un dossier transformé en punition administrative permanente
Les magistrats insistent longuement sur la nécessité de poursuivre le suivi du dossier des magistrats révoqués en 2022, toujours empêchés de reprendre leur poste malgré des décisions de justice définitives en leur faveur.
Selon l’AMT, les autorités refusent de rouvrir « toutes les portes » permettant de régulariser leur situation, plaçant ces juges dans une forme de sanction prolongée, en violation de leurs droits professionnels et juridiques.
Les magistrats réaffirment leur solidarité totale avec les collègues concernés, estimant que leur exclusion illustre l’usage politique de la justice.
Les critiques les plus sévères visent un discours “sans précédent” de la ministre de la Justice
Le point 3 du communiqué constitue l’un des passages les plus incisifs : les magistrats dénoncent un discours de la ministre de la Justice jugé contraire à la Constitution, à la loi et aux standards de l’État de droit.
Les griefs détaillés sont multiples :
- La ministre a affirmé qu’il n’y avait « pas besoin » d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM), déclarations qualifiées d’ « étranges » et contraires à l’organisation constitutionnelle des pouvoirs.
- Elle a légitimé les transferts, promotions et sanctions décidés via des « notes de service », alors que ces pratiques reposeraient sur des textes obsolètes, déjà annulés ou remplacés par des lois ultérieures.
- Ces mémorandums, rappelle l’AMT, sont soumis à des conditions strictes et nécessitent la supervision d’un CSM indépendant pour être licites, ce qui n’est plus le cas.
Cette position, exprimée au Parlement lors du débat autour du budget 2026, a été interprétée comme une tentative de normaliser l’ingérence exécutive dans les carrières judiciaires.
Mépris des prisonniers : une prise de position qui choque les magistrats
L’AMT condamne « fermement » ce qu’elle décrit comme un discours empreint d’ironie et de dédain envers la situation humanitaire et sanitaire des détenus.
Une attitude jugée « indigne » d’une ministre de la Justice et susceptible d’aggraver la détérioration des droits fondamentaux dans les prisons.
Une image internationale “gravement endommagée”
Pour l’AMT, le ton et les propos de la ministre portent une atteinte directe à la crédibilité de la justice tunisienne à l’intérieur du pays et à l’image de la Tunisie à l’étranger, où ce discours a été largement relayé.
Les magistrats soulignent que la perception négative croissante de l’indépendance du système judiciaire peut avoir des conséquences sur la coopération internationale, les accords d’aide et la confiance des investisseurs.
Absence d’indépendance : la justice sous emprise de l’exécutif
Le communiqué réaffirme un principe fondamental : aucune justice indépendante n’est possible tant que l’exécutif contrôle les carrières, les nominations et les sanctions administratives.
En l’absence d’un CSM indépendant, les juges restent exposés aux pressions politiques, ce qui menace la neutralité des décisions judiciaires et l’équité des procès.
Conseil provisoire paralysé : des postes clés laissés volontairement vacants
L’AMT décrit une situation institutionnelle explosive : le Conseil provisoire de la magistrature quasiment paralysé, incapable d’accomplir ses missions en raison de vacances persistantes dans les plus hauts postes judiciaires :
- Premier président de la Cour de cassation,
- Procureur général près la même Cour,
- Président du tribunal immobilier,
- Directeur général des services judiciaires.
Pour l’AMT, ces postes ont été laissés vacants « intentionnellement » par l’exécutif, ce qui permet d’élargir la marge de contrôle de l’exécutif sur les tribunaux et de maintenir un « vide institutionnel inédit » propice à l’ingérence.
Un appel ferme à rétablir un CSM indépendant et conforme aux standards internationaux
Un autre point confirme l’une des principales revendications de l’AMT : la mise en place d’un Conseil supérieur de la magistrature réellement indépendant, conforme aux normes internationales.
Pour l’association, les années récentes ont montré que l’absence de cet organe constitutionnel entraîne des dommages graves pour les droits et libertés et pour la qualité de la justice.
Promotions et nominations bloquées dans la justice administrative : un préjudice double
Le point 9 apporte des détails chiffrés rarement rendus publics :
- 60 magistrats administratifs (promotion novembre 2017) attendent toujours leur décret de promotion, transmis à la Présidence depuis août 2024.
- 11 magistrats (promotion septembre 2018) sont dans la même situation depuis août 2025.
L’AMT souligne que le blocage : porte atteinte aux droits professionnels des magistrats concernés, désorganise les tribunaux administratifs, retarde le traitement de milliers d’affaires, et nuit aux droits des justiciables à des délais raisonnables.
L’association pointe également la non-création de deux nouvelles chambres administratives pourtant prévues, et la persistance de vacants dans les juridictions de première instance, d’appel et de cassation.
Justice financière : trois années de vide institutionnel et des rapports publics censurés de fait
L’organisation décrit une situation tout aussi alarmante au sein de la justice financière :
- l’exécutif n’a toujours pas nommé le premier président de la Cour des comptes, bien que la procédure ait été finalisée depuis novembre 2022 ;
- le Conseil provisoire de la magistrature financière est paralysé depuis plus d’un an, faute d’entrée en fonction de ses nouveaux membres ;
- les rapports annuels n°33 et n°34 de la Cour des comptes, pourtant prêts, restent non publiés.
Pour l’AMT, il s’agit d’un « sabotage méthodique » du rôle constitutionnel de la Cour des comptes, institution essentielle au contrôle du bon usage de l’argent public.
R.B.H











2 commentaires
direction
C’est pas ce qui empeche les juges d’infliger des peines lunaires type 30 ou 35 ans de prison pour des faits mineurs..Ils ont le choix de désobéir et respecter la loi ou bien de faire une greve du zele c’est a dire relaxer un maximum de prévenus ou infilger des peines JUSTES
Citoyen_H
TELLEMENT « KHAMIJTOU8A », AU TEMPS
des khwém’jiya, qu’il était inévitable qu’une vague scélérate, vienne mettre un peu d’ordre dans votre corporation !!!