Par Mohamed Salah Ben Ammar*
On croit à tort que la démocratie est le triomphe de la liberté. Pourtant, elle porte en germe son propre enterrement. Le procès de Socrate, en 399 avant J.-C., en est le symbole. Accusé de corrompre la jeunesse et de nier les dieux de la cité, Socrate est légalement condamné à mort. Pendant ce temps, Gorgias, le sophiste, rameute les foules et s’impose par le charme de sa parole, non par la vérité.
Quand la démocratie sacrifie la vérité à l’émotion
La démocratie favorise celui qui manie les mots plutôt que les idées. La foule ignore le doute et se soumet à la magie des paroles, aux effets charismatiques, comme le soulignait déjà Freud. C’est là que réside la fragilité du système : la vérité est sacrifiée sur l’autel de l’émotion et de l’opinion. Socrate en est la victime. Rien n’a vraiment changé depuis.
La philosophie, elle, naît pour résister à cette tyrannie de l’opinion et elle est méprisée et moquée.
La parole n’est pas innocente. Elle est acte. La calomnie, la haine, l’insulte et la médisance se diffusent, s’ancrent, divisent. Aujourd’hui, amplifiées par les réseaux sociaux, elles deviennent virales. La parole se vide, instantanée et compulsive, individuelle et collective à la fois. Homo unlimitus se saoule de mots, tandis qu’Homo limitus s’abandonne au délestage de sa pensée critique. Le temps de la rancune universelle, « tous contre tous », est arrivé.
La parole virale, terrain fertile des idéologies meurtrières
Les idéologies meurtrières commencent toujours par la parole. Elles construisent des ennemis, légitiment l’atrocité et fragmentent la société. Les réseaux sociaux, avec leurs bulles et algorithmes, accentuent ces dérives : la vérité n’est plus ce qui est fondé sur le réel mais ce qui est partagé. Les complotistes se présentent comme sceptiques, mais leurs certitudes absolues montrent qu’ils sont aux antipodes du doute.
Platon avait déjà analysé cette dérive. Dans La République, il montre que la démocratie, si elle cède à l’idéologie ou à l’émotion collective, se prépare elle-même au totalitarisme. La parole devient verticale, hiérarchisée, formatée. Mensonges et tromperies s’y installent. Lénine, en reprenant Marx, illustre combien cette logique platonicienne peut engendrer des dictatures modernes : anonymisation, individualisme, délestage de la responsabilité.
Philosophie et vigilance : le rempart contre la barbarie
Face à cette menace, la philosophie reste notre meilleur rempart : rétablir la possibilité du désaccord sans haine, diffuser la sagesse, défendre le doute et la responsabilité individuelle. Promouvoir la démocratie sans cette vigilance, c’est la condamner.
Le procès de Socrate nous enseigne une leçon universelle : la barbarie commence toujours par la parole. Là où l’autre n’est plus un être humain mais un ennemi, une vermine où la parole se saoule d’elle-même, où l’opinion remplace la raison, la démocratie meurt. Résister à la parole vide, cultiver le doute et diffuser la sagesse deviennent non seulement un devoir civique, mais un acte de survie morale.
* Pr Mohamed Salah Ben Ammar MD – MBA











Commentaire
Fethi Said
Vous nous ramenez des millinaires en arrière avec Socrate & co pour concluLa génération actuelle ne connaît même pas Bourguiba et vous lui parlez de Socrate. Vous ramenez les lecteurs de B. N à l’époque de la civilisation grecque pour conclure quoi au présent ?