Épisode 1 – Le jour où l’air est redevenu respirable
Jeudi 27 novembre 2025, il s’est passé un truc rare dans ce pays agité : l’air est redevenu respirable. On ne savait pas trop pourquoi au début, puis on a compris. Sonia Dahmani venait de sortir de prison. Un an et demi enfermée pour… une opinion, un trait d’ironie, un souffle trop libre. On a ouvert la fenêtre : c’est la liberté qui repassait dire bonjour.
Les réseaux sociaux se sont mis à pétiller comme un soda qu’on secoue depuis des années. Des milliers de gens, qu’on ne connaît pas mais qu’on comprend très bien, ont senti cette bouffée d’air comme moi. Une joie simple, presque enfantine. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ce pays sourire sans regarder derrière lui pour vérifier si ce n’était pas interdit.
Mais bon, la Tunisie reste la Tunisie. Le lendemain, le couvercle est retombé aussi sec. Vendredi matin, on apprend que les peines sont confirmées et alourdies pour une bonne poignée de prisonniers politiques de l’affaire dite « de complot contre la sûreté de l’État ». Une affaire tellement surréaliste que ce sont parfois les prévenus qui posent des questions aux juges, et non l’inverse. Lazhar Akremi, droit dans ses sandales, a demandé au magistrat : « Y a-t-il un seul fait tangible que j’ai commis et qui serait répréhensible ? »
Et là, rien. Pas un souffle. Pas un mot. Silence. Toujours le même. Le silence gêné d’une justice qui cherche ses preuves comme on cherche ses lunettes alors qu’elles sont sur la tête.
Ce qui vaut pour Lazhar vaut tout autant pour Kamel Letaïef, Karim Guellaty, Khayem Turki, Chayma Issa, Néjib Chebbi, Ayachi Hammami, Abdelhamid Jelassi et toute la galerie des suspects imaginaires. On leur prête des rencontres avec des diplomates étrangers — mystère, aucun diplomate n’est poursuivi, aucun pays n’est cité, aucun contenu n’est précisé.
Certains, comme notre ami et actionnaire Karim Guellaty, n’ont même pas été interrogés. Ni par le juge d’instruction. Ni par le président de la cour. Ni en première instance. Ni en appel. On gagne du temps où l’on peut. On lui attribue même des visites à des pays qu’il ne connait que sur la carte postale.
La justice a tout de même fini par reconnaître que Noureddine Boutar, Lazhar Akremi et Hattab Slama étaient innocents. Très bien. Mais alors pourquoi ont-ils été arrêtés, détenus, éloignés de leurs familles pendant des mois — voire des années ? Pourquoi ?
Jeudi, avec la sortie de Sonia, on a pris une petite dose d’espoir. Une dose homéopathique, certes, mais une dose quand même. J’ai le droit de me sentir libre dans mon pays. Nous avons le droit de nous sentir libres dans notre pays. C’est un droit fondamental. Et ce pays, même abîmé, même maltraité, a encore droit à ces respirations-là. La joie reviendra. Bientôt. Très bientôt. C’est une affaire de temps. Tic tac. Tic tac.
Épisode 2 — La souveraineté bascule dans la frénésie
Il faut croire que cette semaine, la diplomatie tunisienne avait décidé de passer en mode acrobatique sans filet. Entre Bruxelles qui hausse le ton, le Parlement européen qui s’étrangle, et Tunis qui convoque les ambassadeurs et gesticule comme un adolescent vexé, on a frôlé la chorégraphie contemporaine. Mauvaise nouvelle : personne ne comprenait les pas.
Jeudi, pendant que le Parlement européen rappelait que les libertés ne sont pas optionnelles (ni négociables au prix du kilo), nos autorités ont répliqué avec cette vieille rengaine façon vinyle rayé : “Souveraineté nationale !”
C’est devenu la sirène d’alarme des régimes qui ne veulent surtout pas qu’on leur parle de leurs prisonniers.
Et c’est là que ce matin, samedi, mon cher ami, le blogueur Mehrez Belhassen (alias بيغا العظيم), a tout résumé mieux que tout le monde.
Il explique que, dans l’imaginaire officiel, nous ne sommes pas des citoyens, mais des “otages”, coincés à l’intérieur du “territoire” d’une bureaucratie qui nous possède comme on possède un troupeau. Une manière polie de dire que la souveraineté, chez nous, c’est le droit sacré de maltraiter les gens du pays sans que personne n’ait le mauvais goût d’intervenir.
Le raisonnement, en version tunisienne : « Ceux-là, ce sont les miens. Je les arrête, je les affame, je les bâillonne, je les promène menottés si ça me chante. Toi, Européen, tu donnes l’argent, tu fermes les yeux et surtout tu te tais ».
On croirait entendre un propriétaire agacé par des voisins indiscrets.
Et évidemment, on ressort le mot magique : “الاستقواء”, l’“appel à l’étranger”.
Chez nous, on traite d’”الاستقواء“ toute personne qui ose rappeler que les droits humains ne s’arrêtent pas à la douane de Melloula. Comme le dit Mehrez, c’est un peu comme reprocher à un boxeur blessé d’utiliser un protège-tibia contre un adversaire armé d’un bar de fer fourni par l’arbitre. Le premier est seul, alors que le second a la police, l’armée, la “justice“ et une bande de déchaînés à ses côtés.
La semaine diplomatique, elle, a suivi la même logique :
– L’Europe crie “attention danger”.
– Tunis répond “mêlez-vous de vos oignons”.
Et pendant ce temps, les citoyens pris en étau regardent la scène en se demandant combien de temps encore ils seront les dommages collatéraux de cette “souveraineté” qui ne les protège jamais, mais les écrase souvent.
Et dire qu’on s’étonne que tout ait dérapé.
Alors, disproportionnée la réaction du régime ? Plus que ça : elle transpire la fébrilité. On dirait un régime qui saute au plafond pour un simple paragraphe voté à Bruxelles. Quand un pouvoir se met à hurler ainsi pour masquer une gêne, c’est qu’il a senti quelque chose bouger sous ses pieds. Et souvent, ce genre de vacarme n’annonce pas la force… mais la fin d’un cycle.
Les murs ne s’effondrent jamais en silence : ils commencent toujours par vibrer.
Épisode 3 — Quand un régime se fâche avec tout le monde
Il y a des régimes qui gèrent les crises. Et il y a ceux qui les collectionnent comme des timbres rares. Le nôtre, ces derniers mois, a l’air de jouer à “qui veut la bagarre ?” avec une ardeur presque sportive.
Samedi dernier, plus de 3 500 personnes ont défilé en noir à Tunis. Pas un noir de deuil : un noir de lassitude. Une foule disciplinée, silencieuse, mais montée jusqu’au bord. Et au milieu des slogans, un constat devenu running-gag national : « en six ans, la seule réalisation palpable du régime est… une piscine municipale. »
On a beau chercher, on ne trouve pas mieux pour illustrer un pouvoir qui nage seul dans son bassin pendant que le pays prend l’eau.
Et ce samedi n’était pas un accident : une nouvelle manifestation est organisée, cette fois à l’appel de la société civile. Une autre rue. Un autre motif. Une autre preuve que la digue craque.
Dans l’air flotte une constatation que tout le monde répète désormais sur les réseaux sociaux : le régime est en conflit avec pratiquement toutes les composantes de la société.
Les avocats, les journalistes, les syndicalistes, les travailleurs, les habitants de Gabès, les supporters, les associations, les artistes, les chômeurs, les hommes d’affaires, les influenceurs, les députés, même ceux qui travaillaient à Carthage.
La liste ressemble à une encyclopédie des frictions nationales.
Et comme si cela ne suffisait pas, il s’est aussi mis à dos l’Union européenne, ce qui boucle élégamment la série de catastrophes diplomatiques détaillée dans l’épisode précédent.
Dans un pays normal, un pouvoir s’interroge quand tant de gens, de métiers, de régions, de générations s’accordent sur un même constat d’injustice.
Chez nous, on préfère parler de complots, de sabotage, d’“ingérence”, de “souveraineté”, de tout sauf du problème.
C’est toujours plus simple d’accuser la planète entière que de regarder la salle des miroirs.
Et pourtant, malgré les discours, malgré les convocations, malgré le ton martial, quelque chose bouge.
Quelque chose couve.
Quelque chose s’additionne.
Quand un régime se met à dos l’Europe, les corporations, les artistes, les travailleurs, les jeunes, les magistrats, les journalistes, les syndicalistes, les régions, … et même les arbres de l’avenue Bourguiba, ce n’est pas un signe de force.
C’est un signe de fin de souffle.
Et les fins de souffle ont toujours le même bruit.












2 commentaires
LOL
Alors, elle est où ta « génération Z » tunisienne, censée sauver le monde par ses grandes actions et ses idéologies si avancées ? Je pensais que vous étiez la réponse à toute l’oppression de l’État, du patriarcat, de l’Amérique, de l’Occident, du colonialisme, du sionisme… Oh, la grande génération Z qui, comme la grande Tunisie, va donner des leçons de morale, de droits et d’humanité à la planète. LOL. Et pourtant, encore une fois, ce sont des vieux occidentaux qui ont sauvé Sonia Dahmani. Ni les Tunisiens, ni les jeunes. Il en reste encore beaucoup à libérer… Elle est où, cette génération glorieuse et si prétentieuse ? Tous les petits islamo-gauchistes pseudo-intellectuels qui prétendent être les points tournants de l’histoire, vous faites quoi au juste ? LOLOLOLOL
Mhammed Ben Hassine
[ en six ans, la seule réalisation palpable du régime est… une piscine municipale]
ATTENTION Faut pas oublier surtout que privé la FINANCE LA BIAT