Le député et président de la commission de la législation, Yesser Gourari, est intervenu, mercredi 3 décembre 2025, au micro de Wassim Ben Larbi dans l’émission Expresso sur Express FM. Il est revenu sur l’incident qui avait marqué la séance plénière de la veille : le coup de gueule de la ministre des Finances, Mechket Slama Khaldi, face au nombre et à la nature des amendements proposés dans le cadre de l’examen de la Loi de finances 2026.
La ministre avait mis en garde contre des propositions qu’elle jugeait contraires au cadre juridique en vigueur et susceptibles de « mettre en péril l’équilibre financier de l’État », rappelant leur incompatibilité avec l’article 49 de la Loi organique du budget. « Si nous continuons ainsi, la Loi de finances ne sera pas exécutée et ne pourra pas être appliquée », avait-elle averti.
Un conflit juridique et une inflation d’amendements
Dans son entretien, Yesser Gourari a expliqué que la situation actuelle révèle une tension entre deux textes : L’article 49 de la Loi organique du budget, qui fixe les conditions dans lesquelles les députés peuvent amender le projet de loi et l’article 69 de la Constitution, qui rend irrecevables les amendements portant atteinte aux équilibres financiers de l’État.
Pour lui, une question centrale demeure sans réponse claire : qui détermine qu’un amendement porte atteinte à ces équilibres ? En l’absence de Cour constitutionnelle, ce rôle est juridiquement flou.
Le député a relevé que plus de 150 amendements ont été déposés cette année, un volume qui complique considérablement la cohérence du texte.
Il a plaidé pour une rationalisation : « Les blocs parlementaires pourraient se limiter à quinze ou vingt propositions communes, plutôt que des dizaines éparpillées. »
Les leviers de la ministre et le rôle de la deuxième chambre
Yesser Gourari a souligné que la ministre des Finances n’est pas dépourvue de moyens d’action face aux amendements problématiques. Il a rappelé qu’elle pouvait recourir à l’article 132 de la Loi organique du budget, qui lui permet de demander des ajustements, retraits ou modifications, afin de garantir la conformité des amendements avec le cadre juridique, notamment avec les articles 49 et 69.
« La ministre dispose encore du recours à l’article 132 pour revenir sur certaines dispositions et les réajuster », a-t-il précisé, estimant que ce mécanisme pourrait permettre un rapprochement entre les positions du gouvernement et celles des députés.
M. Gourari a insisté sur l’importance du rôle de la deuxième chambre, le Conseil national des districts et des régions, dans le cadre du système bicaméral.
« La deuxième chambre peut jouer un rôle crucial dans la correction des divergences entre les deux lectures. »
En cas de versions différentes adoptées par les deux chambres, une commission paritaire de dix membres se chargerait de parvenir à un texte consensuel.
Un vide institutionnel et un appel au compromis
Le député a rappelé que la Tunisie aborde cette situation sensible sans Cour constitutionnelle, institution qui aurait dû trancher la question de la recevabilité constitutionnelle de nombreux amendements.
« Si la Cour constitutionnelle existait, elle pourrait déterminer si un amendement respecte ou non l’article 69. » À défaut d’arbitrage constitutionnel, le président de la République devient l’ultime garant du respect de la Constitution.
- Il peut refuser de signer la loi.
- Il peut la renvoyer pour une deuxième lecture.
- Il peut estimer que certains amendements violent l’article 69 en portant atteinte aux équilibres financiers.
Cette situation fait peser une responsabilité institutionnelle importante sur le chef de l’État, notamment dans un contexte où certains amendements touchent à des sujets sensibles, comme la suppression de l’impôt sur la fortune ou l’accumulation d’exemptions fiscales.
En conclusion, Yesser Gourari a appelé à un accord entre le gouvernement, l’Assemblée et la deuxième chambre : « Nous devons avancer vers un budget équilibré, applicable, et acceptable par toutes les parties. »
Il a souligné que seule une approche concertée permettra d’adopter une Loi de finances cohérente, constitutionnelle et réellement exécutable.
L’article 49 de la Loi organique du Budget dispose : « L’Assemblée des Représentants du Peuple peut dans les cas suivants, proposer d’ajouter de nouveaux articles ou d’introduire des amendements au projet de la loi de finances de l’année ou de la loi de finances modificative : -pour réduire des dépenses ou augmenter des recettes ; -pour proposer de nouvelles dépenses sous réserve de proposer des recettes additionnelles ou une économie des dépenses couvrant les dépenses additionnelles ; -pour introduire des modifications sur la répartition des crédits entre les programmes moyennant les modifications correspondantes au niveau des objectifs et des indicateurs des programmes concernés par les modifications ».
L’article 69 de la Constitution prévoit : « Les propositions de loi ou d’amendement présentées par les députés ne sont pas recevables si elles portent atteinte aux équilibres financiers de l’État ».
I.N.













