Bien malin celui qui aurait pu prévoir la tournure des débats autour du projet de loi de finances 2026. Les députés ont proposé – et continuent d’ailleurs de proposer – des dizaines d’amendements à la loi.
Certains sont étudiés et ont du sens, d’autres sont farfelus et frôlent le ridicule, comme celui de fournir un prêt aux jeunes pour se marier, mais la grande majorité est budgétivore. Comme d’accoutumée en Tunisie, tous proposent comment dépenser l’argent, mais peu savent comment le produire.
Une pluie d’amendements… et très peu de bon sens
La ministre des Finances, Mechkat Salama Khaldi, qui a fait connaissance avec le Parlement et ses députés une ou deux semaines avant le début des débats, se retrouve dans une position délicate. Elle doit défendre son budget contre les assauts populistes de députés qui n’ont cure des équilibres des finances publiques et qui enfreignent allègrement la loi du budget et la Constitution.
La représentante du plus populiste des régimes, chantre de l’allégeance avant la compétence, a trouvé plus populiste que le pouvoir qu’elle représente. Les propositions fusent concernant la voiture FCR pour tous, l’allégement de certains impôts, l’amnistie fiscale, l’effacement de dettes et de pénalités de retard, les comptes en devises pour les résidents… à tel point que la ministre ne sait plus où donner de la tête, étant, en plus, étrangère aux considérations économiques et financières.
La séance plénière a même dû être levée pour que les équipes du ministère essaient d’estimer l’impact financier et budgétaire des propositions des élus pour ensuite formuler un avis dessus.
La ministre face à un populisme qu’elle n’avait pas vu venir
Du côté des élus, l’occasion est trop belle pour ne pas être saisie : faire des propositions pour appâter leurs électeurs sur la base du slogan porté par le gouvernement et par le président de la République : le rôle social de l’État. Puisqu’il s’agit d’un slogan creux qui n’a pas vraiment de sens précis, on peut pratiquement tout mettre dedans.
Ensuite, si la proposition passe, tant mieux ; si elle est refusée par le ministère des Finances, l’élu pourra fustiger un gouvernement incapable de mettre en pratique les directives du président de la République, l’administration conservatrice, et mettre en exergue la nécessité d’une révolution législative.
Et puis, comme leur impact est limité dans tous les autres domaines, les parlementaires profitent du cadre de la loi de finances pour faire des propositions qui n’ont parfois rien à voir avec le budget. Ils profitent du fait que le vote de la loi de finances soit encadré dans le temps pour tenter de mettre le ministère au pied du mur. En réalité, ils ne font que lui rendre la monnaie de sa pièce, puisque le ministère joue du même levier pour réduire leur marge de manœuvre.
Des élus en roue libre dans la foire d’empoigne budgétaire
Le résultat de cet imbroglio est un joyeux brouhaha dans lequel la ministre est obligée de rappeler des textes de loi à des élus zélés qui cherchent, parfois sincèrement, à faire bouger les lignes et à secouer une administration réellement conservatrice et sclérosée.
Donc, le projet de loi de finances, faible dès le jour de son dépôt, est sans cesse rafistolé au rythme des ajouts et des suppressions. Il y perd le peu de cohérence avec laquelle il avait été introduit dans les arcanes de l’ARP.
Actuellement, c’est la foire d’empoigne à l’Assemblée où des députés se proclament défenseurs du peuple et surtout des pauvres et veulent leur obtenir des avantages en dépit de toute logique ; d’autres députés sont accusés d’être au service des lobbies et des hommes d’affaires ; le ministère des Finances est accusé de laxisme et de conservatisme, et tout cela dans le cadre d’une loi de finances censée être importante pour le pays.
N’oublions pas qu’il s’agit de la première loi de finances dans le cadre du plan de développement 2026-2030 : elle est censée donner le La et fixer le cap.
L’unisson de façade du 25-Juillet craque aux coutures
Dans tout ce marasme, il y a également la donnée politique à ne pas oublier : il ne faudrait surtout pas donner l’impression d’une rupture ou même d’une opposition entre le Parlement et le gouvernement. Comme l’a rappelé la ministre dans l’une de ses allocutions, il ne s’agit pas d’un Parlement qui s’oppose au gouvernement, puisque ces derniers temps l’opposition est criminalisée. Elle a rappelé que c’est à l’unisson que le ministère et les députés conjuguent leurs efforts pour produire une loi de finances efficace et applicable.
Autrement dit, il ne faudrait pas que l’opinion publique pense que la politique générale n’est pas fixée et qu’il pourrait exister des distorsions dans la magnifique construction produite par le processus du 25-Juillet. Il faut à tout prix conserver, auprès de la populace, l’image d’une cohésion immaculée entre les différentes composantes du pouvoir, pas comme c’était avant. Même si certains incidents, comme le fait de découvrir plus de votants que de présents, font quand même sourire.
Tous les adhérents du processus du 25-Juillet doivent donner l’image d’une entente cordiale et d’une harmonie sans faille. Toutefois, l’exercice montre la distance qui sépare les intentions et les slogans de la réalité.
Moralité : tel est pris qui croyait prendre. Quand le populisme le plus décomplexé est élevé au rang de politique d’État, la chose publique se trouve gérée sans compétence et sans connaissance des tenants et des aboutissants. Quand on prône le populisme, on trouvera toujours plus populiste, et c’est ce à quoi la ministre des Finances fait face aujourd’hui.










