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Mechket Slama vs Sarra Zaâfrani Zenzri : la mésentente que révèle la Loi de finances

Service IA, Business News

Par Raouf Ben Hédi

En trois mois, le gouvernement aura multiplié les engagements solennels en Conseil des ministres : justice sociale, transition énergétique, formalisation de l’économie, bancarisation, investissement public, réduction des inégalités. Et pourtant, la Loi de finances 2026, actuellement débattue au Parlement, fait exactement l’inverse. Entre les promesses politiques de Sarra Zaâfrani Zenzri lors des conseils des ministres et les choix budgétaires défendus par Mechket Slama devant le parlement, le gouffre est total.

Depuis des mois, le discours présidentiel martèle la même promesse : bâtir un État social, juste, protecteur, fondé sur la dignité et l’équité. Toutes les réunions tenues à la Kasbah l’ont répété, Conseil après Conseil. Le 23 septembre, le gouvernement s’engage à “traduire les principes constitutionnels”, à instaurer une “justice sociale réelle”, à protéger les plus faibles et à restaurer le “travail décent avec le salaire adéquat”.

Le 24 septembre, un autre conseil des ministres promet de préserver le pouvoir d’achat, d’améliorer les conditions de vie et de lutter contre les inégalités.

Le 7 octobre, on insiste encore durant un autre conseil présidé par la cheffe du gouvernement Sarra Zaâfrani Zenzri: les réformes doivent concilier justice sociale et croissance économique.

Jusqu’à cette semaine, le conseil ministériel du 2 décembre, le plan 2026-2030 parachève la vision : inclusion, équité, transition énergétique, développement harmonieux dans toutes les régions.

À écouter le discours officiel annoncé par Kaïs Saïed et promu par Mme Zaâfrani Zenzri, la Tunisie s’apprête à tourner une page historique : moins d’inégalités, plus d’investissement public, un État qui protège et qui modernise.

Mais lorsque l’on quitte les déclarations pour se plonger dans la Loi de finances 2026, la réalité prend une tout autre tournure. Plusieurs articles, présentés et ardemment défendus par la ministre des Finances, Mechket Slama, sont à l’opposé de ce qui est annoncé par le président de la République et promu par la cheffe du gouvernement.

Business News a identifié au moins, trois axes de cette Loi de finances — social, économie parallèle, transition énergétique — qui révèlent au contraire un pays qui recule là où il prétend avancer.

Quand l’État promet le social… et vote l’austérité

Dans les communiqués officiels, le gouvernement s’engage à défendre le pouvoir d’achat, à protéger les revenus modestes et à instaurer un “travail décent avec salaire adéquat”. Il affirme vouloir réduire les inégalités, défendre les catégories vulnérables et assurer une couverture sociale digne.

Sur le papier, l’État social est érigé en priorité absolue. Mais dans la Loi de finances 2026, ces promesses s’effondrent dès la première ligne budgétaire.

L’augmentation salariale proposée par le gouvernement ne dépasse pas 3,8 %. C’est moins que l’inflation officielle — 4,9 % au mois d’octobre— et très loin de l’inflation réelle telle que vécue par les Tunisiens. L’inflation ressentie est largement supérieure, en particulier pour les ménages modestes, et l’inflation alimentaire atteint deux chiffres. Dans ce contexte, 3,8 % n’est pas un ajustement : c’est une baisse du salaire réel, une érosion directe du pouvoir d’achat. Une mesure qui frappe en priorité les classes populaires et moyennes, celles-là mêmes que les Conseils des ministres prétendaient protéger.

Au Conseil du 24 septembre, la cheffe du gouvernement promettait encore de “préserver la capacité d’achat”, de “soutenir les familles à faible revenu” et de “garantir un travail décent”. Quelques semaines plus tard, la proposition budgétaire contredit frontalement cet engagement. Le gouvernement ne compense ni l’inflation réelle, ni l’envolée des prix alimentaires, ni la dégradation du coût de la vie.

Le discours est social ; la mesure est austéritaire.

Et ce premier axe suffit à montrer : ce que la Kasbah proclame en Conseil, la Loi de finances le balaye en silence.

Quand on promet la formalisation… et qu’on libère le cash

Deuxième dissonance, encore plus spectaculaire. Dans les Conseils de septembre et d’octobre, l’exécutif s’engage à intégrer le commerce parallèle, à numériser les services, à encourager les paiements électroniques et à lutter contre l’évasion fiscale.

Tout y passe : digitalisation, transparence, “système fiscal modernisé”, “inclusion des acteurs du secteur informel”, lutte contre le travail au noir, transition vers l’économie formelle.

Mais la Loi de finances 2026 abroge l’article 45, seul pilier de la politique de décashing en Tunisie.

Le plafonnement des paiements en espèces disparaît. Les sanctions disparaissent. La traçabilité disparaît.

Le message envoyé est exactement l’inverse du discours : utilisez du cash, autant que vous voulez, l’État ferme les yeux.

Dans un pays où le parallèle dépasse déjà 40 % de l’économie, où la lutte contre le blanchiment est un impératif vital, ce retour en arrière n’est pas seulement dangereux : il est suicidaire. Il expose la Tunisie aux radars du Gafi, l’organisme international chargé de surveiller les flux illégaux et de sanctionner les pays laxistes.

Et ce qui rend la contradiction encore plus sidérante, c’est que le 7 octobre, la même ministre des Finances se félicitait de “l’encouragement aux paiements électroniques” et de la “modernisation de l’administration”. Deux mois après, la Loi de finances fait sauter l’unique barrière qui freinait l’expansion du cash.

Quand on promet la transition énergétique… et qu’on taxe le photovoltaïque

Troisième angle, troisième rupture. Dans les Conseils du 23 septembre, du 24 septembre et du 7 octobre, l’exécutif érige la transition énergétique en priorité nationale.

On promet d’“encourager les investissements dans les énergies renouvelables”, de “renforcer l’écosystème énergétique”, de “moderniser les infrastructures” et de “développer les projets solaires”. S’agissant de la vision 2026-2030 évoquée jusqu’à cette semaine, lors du conseil des ministres du 2 décembre, le communiqué de la Kasbah insistait sur un “modèle durable”, vert, inclusif.

Mais dans la Loi de finances 2026, l’État fait l’inverse : il alourdit la taxation du photovoltaïque, supprime les facilités douanières et renchérit le coût pour les ménages comme pour les entreprises.

Les projets solaires deviennent plus chers, certains deviennent impossibles. Les acteurs du secteur crient au sabotage, les promoteurs risquent d’annuler des dizaines de projets, et l’objectif national d’augmentation de la part des renouvelables recule.

Ainsi, après avoir aligné les promesses écologiques dans les Conseils — transition énergétique, souveraineté, modernisation — le gouvernement adopte une disposition fiscale qui étrangle précisément le secteur qu’il prétend stimuler.

Le discours ouvre la voie au solaire ; le budget ferme les portes.

Quand la ministre reconnaît elle-même l’impossibilité d’appliquer les promesses

Face aux critiques des députés, encore plus populistes que le président de la République et sa cheffe du gouvernement, la ministre des Finances met en avant l’argument des équilibres budgétaires : selon elle, aucune dépense supplémentaire ne peut être adoptée sans ressources clairement identifiées. Elle avertit même que si cette logique n’est pas respectée, la Loi de finances ne pourra pas être appliquée.

Ce discours laisse apparaître, en creux, un autre constat : les ambitions affichées dans les Conseils des ministres n’ont pas été accompagnées des moyens financiers nécessaires.

 En d’autres termes, Sarra Zaâfrani Zenzri dit ce qu’elle veut dans ses conseils de ministres, Mechket Slama fait ce qu’elle veut, puisque les promesses faites publiquement n’ont jamais eu les moyens d’exister. La ministre des Finances va jusqu’à se contredire elle-même entre ce qu’elle promeut à la Kasbah et ce qu’elle défend au Bardo.

Les Conseils des ministres deviennent alors ce qu’ils n’auraient jamais dû être : des tribunes politiques où l’on vend du rêve social, du numérique, du vert, de l’inclusion… sans prévoir la moindre ressource pour les financer.

Puis, au moment de passer à l’acte, on invoque les contraintes, les équilibres, l’impossibilité.

Les promesses ne survivent pas au budget

En trois mois, quatre Conseils des ministres auront dessiné une Tunisie sociale, équitable, numérique, verte, moderne.

En un seul texte — la Loi de finances 2026 — le gouvernement aura fait le contraire.

Sur le social, sur le cash, sur l’énergie, l’écart est total. Les promesses sont affichées dans les communiqués ; la réalité apparaît dans les articles votés.

Et lorsque la ministre reconnaît elle-même que les ambitions sont impossibles à financer, la conclusion s’impose : la contradiction n’est pas un accident, mais un système.

Entre Sarra Zaâfrani Zenzri et Mechket Slama, il n’y a pas de nuance.

Il y a une mésentente totale — et un pays qui, encore une fois, en paie le prix.

Raouf Ben Hédi

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Commentaire

  1. Judili58

    4 décembre 2025 | 11h35

    Le Président de la République doit choisir il y va de l’intérêt supérieur de la nation.