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Migration : Mohamed Ali Nafti expose à Genève la « vision exemplaire » de la Tunisie

Par Myriam Ben Zineb

À l’invitation de la directrice générale de l’Organisation internationale pour les migrations, Amy Pope, le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ali Nafti, a coprésidé, samedi 6 décembre 2025 à Genève, une table ronde ministérielle consacrée à la thématique : « La migration en Afrique à la croisée des chemins : de la coopération à la recherche de solutions ». Plusieurs ministres et responsables africains chargés des questions migratoires y ont participé, dans un contexte où la Tunisie fait face à une crise migratoire intérieure de plus en plus dénoncée.

À Genève, Mohamed Ali Nafti défend la position tunisienne

Face à ses homologues africains, Mohamed Ali Nafti a exposé les efforts entrepris par la Tunisie pour contribuer à des solutions pratiques au phénomène de la migration irrégulière. Il a défendu une approche « globale », fondée sur le respect de la dignité des migrants victimes de traite et sur la nécessité de protéger les vies humaines. Mohamed Ali Nafti a souligné l’importance de concilier la dimension humanitaire avec les impératifs sécuritaires, le développement et le partage des responsabilités entre partenaires régionaux et internationaux.

Le ministre a réaffirmé la position constante de la Tunisie : le pays ne souhaite ni devenir une terre de transit ni une terre d’installation pour les migrants en situation irrégulière. Mohamed Ali Nafti a insisté sur le fait que la protection des frontières ne constituait en rien un rejet de l’autre, affirmant que la Tunisie restera « une terre de rencontre des civilisations » dès lors que les règles de séjour sont respectées.

Il a également détaillé les mesures prises par les autorités tunisiennes pour organiser et encadrer le retour volontaire des migrants irréguliers, en coordination avec le bureau tunisien de l’Organisation internationale pour les migrations. Mohamed Ali Nafti a plaidé pour un renforcement de la coordination régionale et internationale afin de réduire l’activité des réseaux de traite des êtres humains et de garantir une meilleure efficacité des procédures.

Le ministre a mis en avant l’importance d’appuyer des projets de développement dans les pays d’origine des migrants retournés, estimant que cette démarche permettrait de passer du « déplacement contraint » au « déplacement concerté » et de substituer à l’assistance une logique de partenariat fondée sur l’intérêt mutuel, l’échange de compétences et le transfert de technologies.

Des rencontres bilatérales en marge de la réunion

En marge de la table ronde, Mohamed Ali Nafti a tenu une réunion avec Amy Pope et plusieurs responsables de l’Organisation internationale pour les migrations. Les discussions ont porté sur l’état de la coopération entre la Tunisie et l’organisation, ainsi que sur les moyens d’accélérer les programmes de retour volontaire et de soutenir les migrants dans la création de projets de développement dans leurs pays d’origine.

Mohamed Ali Nafti a également rencontré le ministre des Affaires étrangères du Bénin, Olushegun Adjadi Bakari. Les deux ministres ont salué la coopération économique et universitaire entre leurs pays et ont convenu de préparer activement la prochaine échéance bilatérale afin d’élargir les perspectives de collaboration.

Une crise migratoire de plus en plus dénoncée en Tunisie

Depuis plusieurs mois, des organisations nationales et internationales tirent la sonnette d’alarme sur la situation migratoire en Tunisie. Selon de nombreux observateurs, les politiques migratoires restrictives mises en œuvre ont contribué à détériorer les conditions de vie des migrants, en particulier ceux originaires d’Afrique subsaharienne. Plusieurs opérations de transfert ont été menées vers des zones reculées comme El Amra ou Jbeniana, où les migrants sont souvent livrés à eux-mêmes, exposés à des conditions précaires et à des tensions croissantes avec les habitants.

Les organisations de défense des droits humains dénoncent également des expulsions collectives, des violences policières, des renvois forcés et des opérations de refoulement sans examen individuel. Des témoignages, relayés par les associations, font état de pratiques inhumaines.

Face à ces dérives, des ONG tunisiennes soulignent que la crise migratoire n’est pas uniquement humanitaire, mais aussi politique, révélant une volonté croissante de criminaliser la migration et d’enfermer le débat public dans une logique sécuritaire.

Criminalisation de la solidarité : militants et associatifs dans le viseur

Cette crise s’accompagne d’un climat de répression inédit contre les associations et les militants qui apportent une aide humanitaire aux migrants. Plusieurs organisations travaillant dans l’assistance juridique, médicale ou sociale ont été visées par des poursuites judiciaires, accusées d’« aide à l’immigration irrégulière » ou d’atteinte à la sécurité de l’État.

Parmi les personnes touchées, on compte plusieurs figures du milieu associatif, dont certaines sont aujourd’hui incarcérées. Ces militants, souvent engagés depuis des années dans la défense des droits des migrants, sont poursuivis pour avoir fourni un soutien jugé indésirable aux yeux des autorités. Dans certains dossiers, les accusations les plus graves ont été abandonnées, mais les détentions se prolongent sans calendrier judiciaire clair, nourrissant un climat d’incertitude et de crainte au sein de la société civile.

Les défenseurs des droits humains estiment que cette criminalisation de la solidarité a pour effet d’isoler davantage les migrants, déjà confrontés à des risques élevés, et d’empêcher toute assistance indépendante dans un contexte de crise humanitaire.

Un discours diplomatique qui contraste avec la réalité intérieure

Si Mohamed Ali Nafti a tenté à Genève de présenter la Tunisie comme un acteur engagé, soucieux de dignité humaine et de coopération régionale, de nombreuses ONG estiment que la réalité sur le terrain tend à contredire ce discours. Entre expulsions, refoulements, violences documentées et répression des acteurs de la solidarité, le fossé entre la posture internationale et la situation intérieure apparaît de plus en plus difficile à ignorer.

Alors que la Tunisie cherche à jouer un rôle central dans les discussions migratoires africaines et internationales, la question demeure entière : le pays peut-il concilier contrôle des frontières, diplomatie migratoire et respect effectif des droits humains ?

Pour l’instant, les alertes persistantes des ONG et l’emprisonnement de plusieurs militants laissent entendre que ce défi serait largement non résolu.

M.B.Z

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