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Brahim Debbech : la voiture est devenue inaccessible et le modèle économique doit être revu

Par Myriam Ben Zineb

Invité de la Radio nationale, lundi 8 décembre 2025, le président de la Chambre des concessionnaires et constructeurs automobiles, Brahim Debbech, a livré un diagnostic détaillé et franc du secteur automobile tunisien. Il a abordé l’état du marché, les difficultés liées aux prix, l’engorgement des voitures populaires, les importations via FCR, la transition vers l’électrique et le recul du montage local. Une interview dense qui révèle un secteur à la croisée des chemins.

Un marché vaste, diversifié… mais hors de portée

La Tunisie compte aujourd’hui plus de 39 concessionnaires et constructeurs représentant plus de 60 marques. L’offre est large, parfois plus large que dans certains marchés européens, avec notamment un afflux de marques asiatiques qui dominent désormais le marché mondial. Cela aurait pu créer un environnement favorable à la concurrence, mais la réalité est bien plus complexe.

Pour Brahim Debbech, la voiture est devenue trop chère pour le Tunisien. La hausse globale des coûts, l’évolution technologique – voiture électrique, hybride, équipements numériques avancés, voiture connectée – ainsi que le système fiscal tunisien font grimper les prix à des niveaux inabordables. Les taxes représentent aujourd’hui presque la moitié du prix d’une voiture, ce qui freine lourdement la demande. Même les véhicules d’entrée de gamme restent largement inaccessibles face à un pouvoir d’achat affaibli.

La voiture populaire, un refuge saturé et en décalage avec la réalité

Face à cette flambée, les citoyens se tournent massivement vers les voitures populaires, dont le prix est plafonné autour de 35.000 dinars. Ce segment représente désormais une part importante du marché officiel, avec 7.869 véhicules enregistrés jusqu’à fin octobre 2025. Les chiffres de novembre et décembre n’étant pas encore comptabilisés, le total devrait dépasser les 10.000 unités pour l’année, soit plus de 20% du marché formel estimé entre 50.000 et 55.000 voitures.

Malgré ces volumes, la demande reste beaucoup plus forte que l’offre. Certains Tunisiens attendent leur voiture depuis plus de sept ans. Cette situation découle directement de la réforme fiscale de 2018, qui avait réduit la TVA des voitures populaires à 7%, tout en augmentant les taxes sur les autres voitures, créant un écart énorme entre deux véhicules du même segment. Le marché s’est naturellement rué sur la voiture populaire, mais la capacité de production et d’importation n’a jamais suivi.

Un engouement pour l’importation, mais surtout des solutions de court terme

L’interview rappelle la dynamique croissante des importations via FCR. Jusqu’à fin octobre 2025, 24.777 véhicules ont été introduits en Tunisie par ce mécanisme. Cela illustre une tendance forte : les Tunisiens cherchent des alternatives pour contourner les prix du marché local. Mais selon Brahim Debbech, ces solutions restent ponctuelles. Elles ne résolvent ni la question des prix, ni le vieillissement du parc automobile, qui compte près de 50% de véhicules âgés de plus de quinze ans.

Le président de la Chambre souligne un problème structurel : la Tunisie importe massivement des voitures d’occasion dont l’Europe cherche à se débarrasser dans le cadre de sa transition vers les véhicules électriques. Cette stratégie ne modernise pas le parc tunisien et rapproche le pays des modèles adoptés autrefois par certaines nations africaines, depuis abandonnés.

La transition électrique freinée par l’absence d’infrastructures

Le marché des voitures électriques reste embryonnaire. En 2025, seules environ 400 voitures électriques ont été enregistrées, malgré les incitations fiscales. Le principal frein réside dans l’insuffisance des bornes de recharge. Le pays compte moins de 160 bornes, un chiffre trop faible pour encourager les consommateurs. Un cahier des charges est en préparation au ministère de l’Énergie pour accélérer leur installation, mais la situation actuelle ne permet pas un réel décollage du segment.

Les véhicules hybrides et hybrides rechargeables bénéficient d’un intérêt croissant. Les allègements fiscaux prévus dans la Loi de finances 2026 pourraient contribuer à baisser certains prix dès l’année prochaine, notamment pour les modèles électriques ou rechargeables, mais l’application concrète des textes reste à suivre.

Une industrie des composants solide mais un montage local en déclin

La Tunisie fabrique des composants automobiles à haute valeur ajoutée, un secteur qui pèse plus de 4% du PIB national, emploie plus de 200.000 personnes et génère environ 3,5 milliards d’euros d’exportations. Le pays est classé parmi les trois premiers exportateurs africains dans ce domaine.

Cependant, les usines d’assemblage automobile ont presque disparu. Plusieurs unités qui avaient été encouragées à s’implanter se sont retrouvées incapables de rivaliser avec l’importation directe. Les fabricants doivent payer des taxes à l’importation sur les composants, puis de nouvelles taxes sur la voiture assemblée, ce qui retire toute compétitivité à la production locale.

La Chambre a sollicité la commission des finances et le ministère des Finances afin d’intégrer des mesures encourageant la fabrication de voitures en Tunisie au lieu de se tourner vers l’importation d’anciennes voitures. Aucune disposition concrète n’a été retenue dans la Loi de finances 2026. Pour Brahim Debbech, il s’agit d’une occasion manquée.

Quelles solutions pour sortir de l’impasse ?

Selon Brahim Debbech, la première étape consiste à réduire certaines taxes, en particulier sur les voitures de petite taille, afin de rendre leur prix accessible et de réduire la pression sur le segment populaire. Il suggère également de rapprocher les prix entre la voiture populaire et sa version similaire non-populaire, aujourd’hui très taxée.

Une deuxième voie est celle de la production locale. La Tunisie doit encourager l’installation de constructeurs automobiles, créer des conditions fiscales plus compétitives et miser sur une base industrielle déjà solide dans le domaine des composants. Le pays pourrait alors prétendre à exporter des voitures, à l’image de ce qu’a réussi le Maroc.

Enfin, la transition vers les véhicules électriques nécessite une accélération des infrastructures. Le marché ne pourra pas évoluer tant que les bornes de recharge resteront insuffisantes.

Les prix baisseront-ils en 2026 ?

Certaines catégories, notamment les hybrides rechargeables, devraient connaître une baisse, en raison des nouvelles incitations fiscales. Mais l’évolution globale dépendra de l’application réelle de la loi et de la capacité du marché à absorber ces nouvelles règles. Pour les voitures destinées aux familles dans le cadre du nouveau mécanisme d’importation, les modalités exactes restent encore floues et nécessiteront une adaptation des concessionnaires.

M.B.Z

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