Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

Économie de rente : 50 % de l’économie sous verrou, l’Ites contredit Carthage

Service IA, Business News

Par Maya Bouallégui

L’Institut tunisien des études stratégiques (Ites) vient de publier une étude bien dense sur l’économie de rente en Tunisie. L’étude décrit un pays verrouillé par les privilèges, les monopoles et les protections politiques. Un diagnostic cinglant… mais qui soulève aussi des questions de méthode. L’étude prône l’exact inverse de ce que pratique le président de la République, supérieur hiérarchique de l’Ites.

L’économie tunisienne n’est pas seulement à l’arrêt : elle serait confisquée, selon une nouvelle étude de l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites) publiée le 3 novembre 2025. Le document, élaboré par Hela Ben Hassin Khalladi, arrive à un moment où le pays peine à sortir du marasme. Et il met des mots — et des chiffres — sur un phénomène longtemps occulté : la rente comme moteur essentiel de la richesse et du pouvoir en Tunisie.

L’étude décrit un pays où plus de la moitié des secteurs économiques restent fermés ou contrôlés par quelques acteurs, protégés par des règles opaques, des licences arbitraires ou des barrières administratives qui découragent toute nouvelle entrée. Selon l’ITES, près de 50 % de l’économie nationale serait ainsi touchée par des mécanismes de rente : un chiffre fort, martelé comme un « chiffre clé », mais dont le rapport ne détaille pas clairement, dans ses premières pages, ni la source statistique précise ni la méthode de calcul.

En se basant sur cette « donnée », l’étude conclut que l’on a une économie figée, une innovation en berne, et jusqu’à 50.000 emplois manqués chaque année, faute d’un marché réellement concurrentiel. Cette situation coûterait environ 5 % de productivité au pays, un handicap structurel qui mine la croissance.

Dans ses projections, l’étude avance qu’un simple effort de transparence, d’ouverture des marchés et de lutte contre les monopoles pourrait, à terme, générer jusqu’à 4,5 % de croissance supplémentaire. Une hypothèse volontairement optimiste, mais qui traduit l’ampleur du potentiel inexploité.

Derrière la rente, un système

Le document de Mme Ben Hassin Khalladi va plus loin que la simple description des mécanismes : licences d’importation, monopoles légaux, niches fiscales, subventions ciblées ou accès préférentiel au financement. Il montre comment la rente façonne les comportements économiques, les choix politiques, et même les trajectoires sociales. Un pays où le risque est découragé, où l’innovation peine à se frayer un chemin, et où la classe moyenne s’effrite sous le poids des privilèges concentrés entre quelques mains.

Ce n’est pas seulement l’économie qui est en cause : c’est un modèle de gouvernance bien entretenu par les différents régimes politiques, y compris l’actuel de Kaïs Saïed. L’ITES insiste sur le rôle déterminant de l’administration, encore marquée par la culture du guichet, du permis, de la licence d’exploitation et de l’arbitrage discrétionnaire. Ce système, dit l’étude, entretient l’informel, nourrit la corruption et transforme les règles en obstacles.

Une feuille de route ambitieuse, presque trop parfaite

Face à ce constat sombre, l’étude propose une thérapie lourde : réforme de la fiscalité, transparence totale sur les aides d’État, sanctions contre les cartels, ouverture des secteurs protégés, refonte du marché foncier, guichet unique numérique, renforcement du Conseil de la concurrence, réforme bancaire… Une liste qui ressemble à un programme gouvernemental complet, plus qu’à une recommandation d’expert.

La question se pose : la Tunisie a-t-elle les capacités politiques, sociales et institutionnelles pour mettre en œuvre un tel chantier ? C’est probablement l’un des points les moins explorés par le rapport, qui fait le pari — implicite — d’un État fort et consensuel, alors que le pays vit l’inverse.

Un rapport libéral… en porte-à-faux avec la ligne économique de Carthage

C’est aussi à ce moment que surgit une contradiction majeure. Ce qui frappe dans cette étude de l’Ites, c’est son décalage profond avec la politique réellement menée par la présidence de la République. Bon à rappeler, l’Ites dépend hiérarchiquement de la présidence de la République.

Ainsi, le document défend une vision résolument libérale : ouverture des marchés, concurrence accrue, réduction des subventions mal ciblées, simplification administrative, transparence des aides d’État, rôle moteur du secteur privé. Or, depuis 2019, et particulièrement depuis 2021, Kaïs Saïed promeut l’exact inverse : un État social-providence, interventionniste, contrôlant les prix, multipliant les plafonnements de marges, élargissant les périmètres “stratégiques” et parlant d’« économie nationale » plutôt que de marché.

Le rapport appelle à « libérer » l’économie pour relancer la croissance, tandis que Carthage, dans ses décisions quotidiennes, renforce la centralisation, la régulation et le pouvoir discrétionnaire de l’État. On peut y voir une forme de paradoxe institutionnel : une technostructure qui diagnostique les blocages, et un pouvoir politique qui consolide les mécanismes mêmes qu’elle dénonce.

L’impasse sur un climat des affaires étouffant

Un autre silence du rapport est tout aussi significatif. L’étude passe sous silence ce que vivent les investisseurs depuis quatre ans : insécurité juridique, poursuites arbitraires, gels d’avoirs, interdictions de voyager, contrôles fiscaux à répétition, arrestations dans les milieux économiques, décisions administratives soudaines et non motivées. Dans ces conditions, parler d’ouverture des marchés ou d’innovation relève presque du vœu pieux.

En omettant ce contexte déterminant, l’étude réduit le problème à des monopoles sectoriels et à des distorsions réglementaires, alors que le premier frein à l’investissement en Tunisie est désormais la peur — peur d’investir, de recruter, de se développer, de prendre des risques. C’est une omission qui affaiblit l’ambition réformatrice du document : on ne peut pas libéraliser en théorie un espace économique qui, en pratique, se referme jour après jour.

Une étude sérieuse, mais à prendre avec précaution

La publication de l’Ites a le mérite de poser un diagnostic clair, parfois courageux, sur les blocages du pays. Elle aborde la rente non comme une anomalie, mais comme une logique centrale du système économique tunisien. Et, sur ce point, l’étude fait œuvre utile : elle nomme ce que beaucoup savent, mais que peu écrivent.

Mais le rapport soulève aussi des réserves. Certaines données — notamment les estimations de productivité perdue ou de croissance potentielle — manquent de transparence méthodologique. Les sources statistiques ne sont pas toutes explicitées, et les hypothèses retenues semblent optimistes. L’étude décrit bien les effets de la rente, mais reste plus elliptique sur les résistances politiques, sociales et administratives qui font perdurer ce modèle.

Au final, doit-on la prendre au sérieux ?

Oui, parce qu’elle met en lumière des obstacles réels et bien documentés.

Avec prudence, parce que ses préconisations supposent une volonté politique et une cohérence institutionnelle qui n’existent pas aujourd’hui.

La Tunisie a enfin un diagnostic clair. Ce qui lui manque, encore, c’est un plan réaliste pour transformer ce diagnostic en réforme.

Maya Bouallégui

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers

Commentaire

  1. Tunisino

    8 décembre 2025 | 11h35

    L’Ites fait des études pour qui? Pour le simple citoyen ou pour les décideurs? Les employés de l’Ites ne sont-ils pas payés par le contribuable? L’Ites ne siège-t-elle pas à Carthage? Son chef n’est-il pas nommé par la présidence? En quoi intéresse-t-il ce rapport le citoyen ordinaire? L’Ites ne fait que pratiquer du populisme, sans aucun impact réel sur le développement du pays. Son chef n’est qu’un rapproché de KS, un littéraire recyclé de la RNTA, sans expérience et sans compétence. Continuer à gagner du temps ne servira à rien, il faut plutôt servir les sinistrés tunisiens au lieu de les duper.