L’article 55 relatif à la voiture familiale exonérée de taxes matérialise une aspiration légitime : démocratiser l’accès à la mobilité dans un pays où le coût des véhicules demeure prohibitif. Toutefois, la mise en œuvre dépend d’un enchevêtrement de facteurs réglementaires, financiers et monétaires.
Le professeur de droit bancaire, Mohamed Nekhili, est revenu, lundi 8 décembre 2025, sur le régime juridique et les procédures opérationnelles encadrant l’acquisition de la voiture familiale exonérée de droits et taxes, telle qu’instituée par l’article 55 de la loi de finances pour l’exercice 2026, adoptée récemment par l’Assemblée des représentants du peuple.
Intervenant sur les ondes de la radio nationale dans l’émission Yaoum Saïd, il a détaillé les étapes réglementaires préalables. Les bénéficiaires devront déposer une demande formelle d’éligibilité auprès du ministère du Commerce, conformément à un arrêté conjoint qui sera émis ultérieurement par ce département et par le ministère des Finances. Cet arrêté fixera les modalités administratives d’importation, incluant le plafond des cylindrées autorisées, les normes techniques de conformité, les pièces constitutives du dossier et les délais de traitement. Selon lui, la publication de ce texte d’application devrait intervenir au cours du premier semestre 2026, immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi de finances.
Une procédure d’acquisition semée d’obstacles
Une fois la demande déposée, l’administration dispose d’un délai légal maximum de trois mois pour notifier sa décision. En cas d’accord, l’attestation de bénéfice du régime préférentiel reste valable pour une période de deux ans, durant laquelle le bénéficiaire est libre soit d’acquérir le véhicule sur le marché intérieur, soit de procéder à son importation directe, sous réserve du respect des normes douanières et techniques prescrites.
Abordant la question du financement, l’expert a rappelé que le cadre réglementaire en vigueur limite drastiquement les mécanismes de paiement en devises. De ce fait, le don constitue la seule modalité réellement compatible avec la législation actuelle, c’est-à-dire que le véhicule pourrait être introduit par un tiers résidant à l’étranger et « offert » au bénéficiaire dans les conditions prévues par la loi. Ce dernier pourrait aussi procéder à un remboursement en dinars, suivant ce qu’il aurait convenu avec l’acheteur initial.
Il a précisé que l’importation par financement propre demeure théoriquement possible via une demande d’autorisation d’exportation de devises auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Toutefois, la probabilité d’acceptation demeure très faible : l’institution applique une politique stricte de préservation des réserves officielles en devises, ne délivrant ces autorisations qu’à titre exceptionnel et pour des catégories bien spécifiques d’importations jugées prioritaires.
Il a rappelé, également, que l’allocation touristique, encadrée par des plafonds annuels non cumulables, ne pourrait couvrir les coûts d’importation d’un véhicule respectant les spécifications techniques prévues par l’article 55. Son utilisation à cette fin est donc juridiquement irrecevable et matériellement insuffisante.
Un dispositif aux contours restrictifs
Adopté récemment par l’Assemblée des représentants du peuple, l’article 55 de la loi de finances 2026 entend instaurer un dispositif inédit : permettre à chaque famille tunisienne d’acquérir ou d’importer un véhicule à un tarif préférentiel, en bénéficiant d’une réduction substantielle — voire d’une neutralisation — des droits et taxes habituellement applicables. Sur le papier, la mesure se veut sociale. Dans les faits, sa mise en œuvre demeure entourée d’incertitudes majeures, tant sur le plan réglementaire que financier.
Selon les dispositions adoptées, chaque famille tunisienne pourra bénéficier une seule fois d’un avantage fiscal destiné à faciliter l’acquisition d’un véhicule, neuf ou d’occasion, sous réserve que celui-ci ne dépasse pas huit années d’âge au moment de son introduction sur le territoire ou de son achat local. Le législateur a fixé un régime fiscal allégé à ce titre.
S’y ajoutent des conditions de ressources : le revenu annuel du demandeur ne doit pas excéder dix fois le SMIG, ou quatorze fois le SMIG pour un couple, ce qui cherche à réserver l’avantage aux ménages à revenus moyens.
Afin d’éviter les dérives spéculatives, le véhicule acquis dans ce cadre demeure incessible pendant cinq ans, et aucune autre mesure fiscale similaire (telle que le régime des « voitures populaires » ou le FCR pour les résidents à l’étranger ) ne peut lui être cumulée.
Une mesure fiscale contestée
Alors que ce dispositif était encore en discussion à l’Assemblée, plusieurs acteurs du secteur — notamment les concessionnaires automobiles — ont mis en garde contre les risques de dérives : importation massive de véhicules âgés, problèmes d’homologation, coûts d’entretien élevés, ou encore afflux de modèles européens non adaptés au marché tunisien. Certains parlent même d’une illusion législative, dénonçant l’écart entre la promesse politique et la réalité économique.
Les quotas, non encore fixés, pourraient par ailleurs réduire drastiquement le nombre effectif de bénéficiaires. Les familles de la classe moyenne, principales ciblées par le dispositif, pourraient ainsi se retrouver face à un avantage théoriquement attractif mais concrètement inaccessible.
L’exécutif — le ministère des Finances en l’occurence — a lui-même pointé du doigt les freins à l’application de ce dispositif soulignant que la capacité de l’État à concilier ambition sociale, contraintes budgétaires et discipline monétaire reste, à ce jour, un exercice d’équilibriste dont l’issue est incertaine.
En définitive, tant que les ministères du Commerce et des Finances n’auront pas publié l’arrêté conjoint encadrant les modalités d’application, et tant que la question cruciale de l’accès aux devises restera sans solution, la mesure demeurera un dispositif en suspens, à mi-chemin entre initiative sociale et mirage administratif.
N.J













