En classant officiellement la Tunisie parmi les « pays d’origine sûrs », l’Union européenne n’a pas décerné un satisfecit politique, mais activé un outil pour durcir sa politique migratoire.
Pendant que la propagande célèbre une « bonne note », les nouveaux mécanismes européens exposent la Tunisie à des procédures expéditives et à des renvois massifs.
Tout commence le 3 décembre. Une simple commission du Parlement européen approuve une première liste de « pays d’origine sûrs ». La Tunisie y figure, aux côtés d’autres États considérés, dans le jargon bruxellois, comme ne présentant pas de risque généralisé de persécution pour leurs ressortissants. Techniquement, il ne s’agit que d’un vote en commission, une étape préparatoire dans la mécanique européenne.
Dans les médias tunisiens, l’événement passe presque inaperçu. C’est sur les réseaux sociaux que la nouvelle est récupérée et amplifiée. Les partisans de Kaïs Saïed s’en emparent aussitôt pour marteler que «la Tunisie est bien vue par l’Europe », à rebours de ceux qui dénoncent l’isolement du régime. Quelques jours plus tôt, ces mêmes cercles minimisaient pourtant un communiqué incendiaire du Parlement européen, expliquant que la Tunisie n’a pas de leçons à recevoir et qu’ils se moquent du regard extérieur. Soudain, le regard européen redevient précieux dès lors qu’il peut être converti en argument de propagande.
Les adversaires du régime pointent immédiatement cette contradiction. Ils rappellent une évidence politique simple : soit on assume de se désintéresser des classements étrangers, qu’ils soient positifs ou négatifs, soit on accepte de les prendre tous en compte, dans un sens comme dans l’autre. Jouer la fierté souverainiste le jour des critiques, puis brandir le tampon européen dès qu’il semble flatteur, relève moins d’une doctrine que d’un opportunisme.
8 décembre : le durcissement migratoire se formalise
Le 8 décembre, on change de niveau. Ce n’est plus une simple commission. Réunis à Bruxelles, les ministres de l’Intérieur des 27 entérinent un durcissement massif de la politique migratoire européenne et valident, dans ce cadre, la liste commune des « pays d’origine sûrs ». La Tunisie y est officiellement inscrite aux côtés du Bangladesh, la Colombie, l’Égypte, le Kosovo, l’Inde et le Maroc.
Ce même jour, les États membres donnent leur feu vert à trois textes présentés par la Commission européenne. Ils permettent notamment d’ouvrir des centres de retour hors des frontières de l’UE, où seraient envoyés les migrants dont la demande d’asile a été rejetée, y compris vers des États tiers avec lesquels ils n’ont aucun lien. C’est un dispositif inédit, présenté comme un « instrument supplémentaire dans la boîte à outils » pour renforcer le contrôle des frontières et dissuader les départs.
Parallèlement, les ministres valident un arsenal de mesures qui prévoit des périodes de détention plus longues, des sanctions plus dures pour ceux qui refusent de quitter le territoire européen et la possibilité de renvoyer des migrants non seulement vers leur pays d’origine, mais aussi vers des pays que l’Europe considère comme “sûrs”. Dans cette logique, la classification de la Tunisie comme « pays sûr » devient un maillon central, non une médaille honorifique.
Un classement conçu pour renvoyer, pas pour féliciter
Dans le récit européen, la notion de « pays d’origine sûr » n’a rien à voir avec une appréciation globale de la trajectoire démocratique d’un État. Elle répond à un besoin très concret des gouvernements : accélérer les refus d’asile et faciliter les renvois. Un pays classé « sûr » est, par définition, un pays vers lequel les autorités européennes peuvent renvoyer plus rapidement, en considérant que, sauf cas individuel exceptionnel, les demandeurs n’y sont pas exposés à des persécutions généralisées.
La conséquence pratique est simple. Pour les Tunisiens qui demandent l’asile en Europe, le classement ouvre la voie à des procédures accélérées, à des décisions plus expéditives et à une marge de contestation réduite. Pour l’UE, il permet aussi d’alimenter les futurs « hubs de retour » hors Europe avec des personnes que l’on estime pouvoir renvoyer vers des États considérés comme sûrs, ou vers des pays tiers qui acceptent d’en accueillir au nom d’accords bilatéraux.
Interrogée par la chaîne Public Sénat, la directrice du Migration Policy Institute of Europe, Camille Le Coz, parle d’un tournant, en soulignant que le dispositif d’envoi vers des États tiers sans lien avec les migrants n’a jamais été testé à cette échelle. Selon elle, le message envoyé par l’ensemble du paquet est limpide : si vous venez de manière irrégulière, ce sera compliqué pour vous de rester. La Tunisie est intégrée dans ce dispositif non parce qu’elle serait devenue un modèle de gouvernance, mais parce qu’elle est jugée apte à recevoir des renvois.
Quand la propagande confond durcissement et reconnaissance
Dans ce contexte, la manière dont une partie de la presse tunisienne présente la décision européenne reste très incomplète. Un quotidien comme La Presse (journal d’État, devenu véritable outil de propagande) rappelle que l’Union européenne a officiellement inscrit la Tunisie sur la liste des «pays d’origine sûrs » et explique, dans les termes de Bruxelles, qu’un pays est jugé « sûr » lorsqu’il est considéré comme respectant les droits fondamentaux, l’État de droit et la protection contre les persécutions.
L’article mentionne que les demandes d’asile des Tunisiens seront désormais traitées selon des procédures accélérées et que la probabilité de leur acceptation se trouve réduite, tout en signalant les réserves exprimées par des organisations de défense des droits humains. En revanche, l’article de propagande ne replace pas ce classement dans le cadre plus large du durcissement adopté le 8 décembre : création de centres de retour hors UE, externalisation des renvois vers des États tiers, allongement des détentions.
Autrement dit, le récit reste cantonné à une lecture juridique et institutionnelle, sans expliciter le rôle assigné à la Tunisie dans la nouvelle mécanique européenne de dissuasion et de renvoi.
Sur les réseaux sociaux, en revanche, le ton est tout autre. Les pages partisanes du régime ont immédiatement transformé ce classement en motif d’autosatisfaction, y voyant une “preuve” de la crédibilité internationale retrouvée et une victoire du discours souverainiste. La nuance institutionnelle disparaît au profit d’une jubilation politique : la Tunisie serait enfin reconnue et validée par l’Europe, comme si l’Union avait délivré un brevet de respectabilité au régime. Une lecture totalement détachée des réalités du durcissement européen.
Coopération migratoire : la Tunisie verrouille, l’Europe ferme les yeux
Comme le souligne Frédéric Bobin dans Le Monde, l’UE a progressivement substitué à sa politique d’accompagnement démocratique une logique presque exclusivement migratoire. L’Italie de Giorgia Meloni en a fixé le tempo, et la Tunisie de Kaïs Saïed s’est révélée un partenaire particulièrement efficace pour réduire les départs. Résultat : Bruxelles ferme les yeux sur des dérives qu’elle dénonçait encore il y a quelques années, tant la coopération migratoire est devenue son intérêt principal.
Les chiffres cités par Le Monde suffisent à comprendre cette indulgence : environ 4.500 entrées irrégulières en Italie depuis les côtes tunisiennes durant les onze premiers mois de 2025, contre 96.000 sur la même période en 2023, soit vingt fois plus. Le verrouillage tunisien a été spectaculaire, et il conditionne largement l’attitude politique de Bruxelles.
Un ancien diplomate résume, au Monde, ce glissement en une phrase. Sous l’impulsion de Meloni, la question migratoire est devenue « l’alpha et l’oméga de la relation de l’Union avec la Tunisie », au point d’amener l’UE à « fermer les yeux sur beaucoup de dérives dans le domaine des droits humains ».
Ménager Kaïs Saïed serait désormais le prix à payer pour préserver une coopération migratoire jugée « fonctionnelle ». Le classement en « pays sûr » s’inscrit dans ce troc implicite, et non dans une évaluation globale de l’état des libertés.
L’alerte de Majdi Karbaï : la Tunisie exposée aux renvois
Face à cette mécanique, la voix de Majdi Karbaï vient rappeler ce que la propagande se garde bien de dire. Il est quasiment le seul à dénoncer ce qui se passe sous nos yeux. Dans son alerte, l’ancien député met en garde contre les renvois massifs que la nouvelle configuration européenne rend possibles. Il ne s’agit pas seulement de Tunisiens déboutés de l’asile, mais aussi de migrants d’autres nationalités ayant transité par la Tunisie, que l’on pourrait renvoyer vers elle au titre de « pays sûr » ou de « pays tiers sûr ».
La Tunisie risque ainsi de devenir une plateforme de retour pour les exilés rejetés par l’Europe, sans cadre d’accueil adapté, sans garanties, sans préparation. Les textes validés à Bruxelles n’offrent aucune réponse aux questions les plus concrètes : que deviendront ces personnes ? Quels droits leur seront reconnus sur le sol tunisien ? Quels moyens l’État tunisien mobilisera-t-il pour gérer des arrivées imposées par des décisions européennes prises sans consultation réelle ?
M. Karbaï appelle à une prise de conscience nationale. Il souligne que la décision européenne touche aux intérêts du pays à long terme, et pas seulement à la propagande du moment. Derrière le vocabulaire technocratique de « pays sûr » et de « hubs de retour », c’est la stabilité sociale, humanitaire et sécuritaire de la Tunisie qui est mise en jeu.
Ce qui attend la Tunisie
Les textes validés par les ministres de l’Intérieur lundi dernier ne sont pas encore à leur dernière étape. Après l’accord au Conseil, la balle passe au Parlement européen, avec pour horizon une adoption définitive au début de l’année prochaine. La dynamique politique, elle, est déjà claire. Droite, extrême droite et une partie des forces centristes poussent dans la même direction, celle d’une Europe fermée qui externalise ses contrôles et durcit ses procédures.
Pour la Tunisie, le classement en « pays d’origine sûr » ouvre une phase nouvelle. Sur le papier, il permet aux États européens de traiter plus vite les dossiers de demandeurs d’asile tunisiens. Dans la pratique, il signifie surtout des refus plus rapides, des renvois facilités, et la possibilité de faire de la Tunisie un point de chute pour des migrants dont l’Europe ne veut plus.
Ceux qui s’en réjouissent comme d’une reconnaissance européenne se trompent de texte. Ceux qui s’en inquiètent posent la seule question qui vaille désormais : la Tunisie entend-elle rester un simple maillon de la politique de dissuasion européenne, ou compte-t-elle enfin regarder en face le coût réel d’un statut de « pays sûr » décidé ailleurs et pour d’autres objectifs que les siens ?
Maya Bouallégui











11 commentaires
Gg
Décidément notre époque ne cesse de créer des fractures!
Et je ne comprends pas.
Quel est le problème si l’Europe expulse les clandestins, les délinquants, les fauteurs de troubles, les acteurs d’attentats et autres crimes et délits ?
Pire que cela, si elle ne le fait pas, elle laisse gonfler chaque jour davantage le rejet des migrants en règle, qui sont bien dans le pays d’accueil et y vivent paisiblement.
Ce n’est pas difficile à comprendre….
Nahor Guëttam
👍
zaghouan2040
Les Tunisiens – et le monde entier – devraient se renseigner sur le rôle de la DZ mafia dans l’acheminement des migrants illégaux subsahariens en Tunisie et Algérie
Le rôle et l’influence de cette DZ mafia est devenu extrêmement préoccupant
Nahor Guëttam
Bien dit 👍🇹🇳 Le problème est que Robocop est bel et bien sous semi-Protectorat stratégique, noir sur blanc depuis le traité d’Alger du 07/10/25 et la possibilité de l’armée DZ d’entrer jusqu’à 50Km dans le territoire TN… Et SANS RECIPROCITÉ ! BRAVO le Robocop 🧁🍼du plan de la neo-nazie Ursula von der Leien 🇪🇺🤦 il ne doit pas moquer le peuple avec le disque rayé de la « souveraineté » et du « djihad lil tahrir » 😡😂
zaghouan2040
D’une part nos forces sécuritaires semblent indifférentes aux flux massifs de migrants illégaux en provenance de la frontière algérienne notamment
Curieux
D’autre part l’UE, convaincue de l’expertise de la Tunisie dans le domaine de la répression et de l’enfermement de masse, s’apprête a entreposer dans notre territoire des dizaines de milliers d’OQTF en tout genre
Affligeant
Galou « Souveraineté nationale »
HatemC
Il faut arrêter de tourner autour du pot : si les Tunisiens fuient leur pays, ce n’est pas par caprice, mais parce que la Tunisie ne leur offre plus aucun avenir.
L’ASCENSEUR SOCIAL, censé être le moteur de l’indépendance, EST EN PANNE depuis… l’indépendance.
Depuis le départ de la France, que nous avons fait de notre liberté ?
UN DESERT SOCIAL
UN DESERT ECONOMIQUE
Un pays bloqué dans une interminable transition qui n’a jamais abouti.
DANS UN PAYS NORMAL,L’EFFORT OUVRE DES PORTES
EN TUNISIE, IL N’OUVRE RIEN DU TOUT
D’où cette question simple, brutale, que tant de jeunes se posent :
« POURQUOI RESTER DANS UN PAYS OU L’EFFORT NE RECOMPENSE RIEN ? »
Car l’économie tunisienne est devenue un désert stérile :
– pas d’industrie moderne,
– pas d’innovation,
– pas d’investissement privé,
– pas de croissance réelle,
– une administration lourde qui étouffe tout ce qui bouge.
Les jeunes voient leur vie comme une longue salle d’attente… mais sans porte de sortie.
C’est pour cela que la Tunisie n’est plus un pays d’avenir : c’est un pays de départ.
Les jeunes le savent mieux que quiconque :
“Si je reste, je perds ma vie ; si je pars, je la tente.”
Et génération après génération, rien n’a changé.
Pendant ce temps, on critique l’Europe pour son durcissement migratoire.
Mais ce durcissement était non seulement prévisible, il était logique.
Quand les pays d’origine utilisent la migration clandestine comme soupape sociale pour masquer leurs échecs internes, l’Europe finit par refermer la porte.
L’Europe n’a pas vocation à réparer ce que nos gouvernements détruisent.
OUI les procédures vont s’accélérer ; les retours vont être massifs.
Et ce retour de milliers de jeunes, sans emploi, sans formation, sans perspectives, va simplement renvoyer dans le pays la même frustration qui les avait poussés à partir.
C’est un cycle infernal qui menace d’aggraver l’instabilité sociale.
La vraie question est donc simple et IMPORTANTE
Nos pays sont-ils prêts à accueillir ces retours humainement, intelligemment, et à offrir enfin un avenir à leur jeunesse ?
Pour l’instant, la réponse est non.
Et tant que rien ne change, tant que les gouvernements du Sud refusent d’assumer leurs responsabilités, ils continueront de faire porter au seul “Occident” les conséquences de leurs propres manquements et échecs
Ce n’est plus tenable.
Et ce n’est plus crédible ….. HC
zaghouan2040
Si je reste je perds ma vie; si je pars,je la tente
Gg
Bien sûr, on comprend.
Mais si un pays marche mieux qu’un autre, c’est parce qu’on y travaille plus et mieux que dans cet autre. Sauf grosses ressources naturelles bien sûr.
Il suffit de voir comment la Corée du Sud est passée du tiers monde à ce qu’elle est aujourd’hui, en 2 générations!
J’ai travaillé en Tunisie, j’ai vu qu’on y travaille deux à trois fois moins vite et moins dur qu’en France, qui n’est pourtant pas la Corée!
Alors croire qu’on va venir de Tunisie en France et que tout va aller miraculeusement mieux en continuant de vivre comme en Tunisie, est une illusion.
Beaucoup d’immigrés sont dans cette illusion, la déception et la frustration sont au bout du voyage…
Gg
Et je ne parle même pas de l’inadaptation culturelle.
Fanatisme antisioniste et antisémite, omniprésence d’une religion antinomique avec les valeurs du pays, la place des femmes dans la société, le refus des lois et règles etc…
Nahor Guëttam
✔️👍
BTA Mejid
C’est au MI et à l’armée National de bien verrouiller nos frontieres terrestre, maritime et aérienne. De former nos agents à bien filtrer les passagers.
Avons nous les moyens? Nos voisins Algerien et Libyen doivent faire pareil, mais quand il s’agit d’un probleme epineux chacun tire la corde vers soi.