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Journée des droits de l’Homme : les organisations tunisiennes dressent un constat alarmant

Par Nadya Jennene

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), l’Ordre national des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) ainsi que le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) ont tenu, mercredi 10 décembre 2025, une conférence de presse au siège du SNJT consacrée à l’état des droits humains en Tunisie.

Organisée à l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’Homme sous le slogan « Non à la criminalisation de l’opposition politique et civile », cette rencontre a donné lieu à un diagnostic particulièrement sombre quant à l’évolution des libertés publiques dans le pays.

La phase la plus dangereuse de l’histoire de la presse tunisienne

Ouvrant la conférence, le président du SNJT, Zied Dabbar, a dressé un tableau alarmant de la situation des journalistes. Il a rappelé les nombreux cas de professionnels des médias placés en détention dans différentes affaires, ainsi que ceux emprisonnés sur la base du décret 54.

« Ce que nous vivons aujourd’hui dépasse largement la pression judiciaire : nous sommes confrontés à une entreprise méthodique visant à restreindre le droit d’accès à l’information. Lorsque l’information se tait, prospèrent la rumeur, la voix unique, l’opinion unique et la langue de bois. C’est précisément ce que nous endurons aujourd’hui », a-t-il avancé. 

Selon lui, les libertés garanties par la Constitution perdent toute signification dès lors qu’un décret vient les saper dans leur essence.

Il a dénoncé des institutions publiques qui « dissimulent les documents refusent de communiquer et entretiennent avec les médias des rapports fondés sur l’interdiction systématique ». 

Face à « un pouvoir qui ne voit pas, n’entend pas et ne communique pas », Zied Dabbar a réaffirmé la détermination inébranlable du SNJT à poursuivre le combat. « Nous appelons à la solidarité la plus large. Nous vivons la phase la plus dangereuse de l’histoire de la presse tunisienne », a-t-il conclu.

Avocats et journalistes dans le viseur : la loi, instrument de répression

Prenant la parole à son tour, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Boubaker Bethabet, a centré son intervention sur les poursuites visant les avocats, les détenus politiques et les dérives du pouvoir judiciaire. Il a dénoncé l’usage abusif de la loi antiterroriste, soulignant l’écart abyssal entre les textes et leur application réelle.

Rappelant que la loi antiterroriste était à l’origine un « sacrifice consenti par le peuple » pour affronter une menace réelle, il a déploré qu’elle soit désormais instrumentalisée contre ce même peuple.

« Les droits de l’homme en Tunisie traversent une période d’extrême fragilité », a-t-il insisté. Le principe du procès équitable, selon lui, est aujourd’hui gravement compromis, les juges étant désignés directement par le ministère de la Justice en l’absence d’un Conseil supérieur de la magistrature opérationnel.

Libertés publiques en chute libre : un pouvoir sourd et aveugle

La représentante de l’ATFD a, elle, exprimé sa profonde inquiétude face à l’état des libertés et des droits en Tunisie, estimant que certains acteurs politiques avaient eux-mêmes contribué à cette dérive en légitimant « le populisme et le complotisme ». 

Elle a souligné que les politiques publiques actuelles entravent délibérément l’action des militants et activistes, ajoutant que le régime, « replié sur lui-même  s’est progressivement accaparé l’ensemble des leviers du pouvoir ».

La parole libre est devenue un délit » : la LTDH tire toutes les sonnettes d’alarme

Pour sa part, Bassem Trifi, président de la LTDH, a rappelé que l’organisation n’avait cessé de tirer la sonnette d’alarme. « Aujourd’hui nous tirons toutes les sonnettes : l’activité politique comme l’engagement citoyen sont criminalisés. La parole libre, la langue libre et la plume libre sont désormais considérées comme des délits », a-t-il lancé. 

Il a dénoncé l’emprisonnement de l’opposition, les accusations de trahison lancées à l’encontre de toute voix discordante, et la surdité d’un pouvoir qui « n’écoute que lui-même ».

Évoquant la situation socio-économique, il a fustigé une « pauvreté canonisée », produit d’une politique qui « a choisi de maintenir le peuple dans l’indigence ».

Bassem Trifi a réaffirmé la volonté de la LTDH de continuer la lutte pour préserver les acquis démocratiques. « Nous ne pouvons prétendre vivre dans un État démocratique lorsque le discours officiel invoque les droits et les élections alors que la réalité du terrain raconte tout autre chose. On tente même d’effacer l’histoire du pays », a-t-il indiqué. 

Il a néanmoins conclu sur un message de résistance : « Nous sommes encore debout. L’histoire de la Tunisie ne peut être effacée d’un simple trait de crayon. Nous avons lutté et nous continuerons à lutter. Nous ne céderons pas. »

De Ben Ali à aujourd’hui : la dérive autoritaire

La LTDH a ainsi annoncé l’organisation d’une marche pour les droits et libertés, samedi 13 décembre à partir de 15h, au départ du siège du SNJT en direction de la statue Ibn Khaldoun, sous le slogan : « Il faut que les chaînes se brisent ».

La conférence s’est achevée sur un constat amer : pour Bassem Trifi, l’histoire semble se répéter, « comme si l’on revivait l’ère Ben Ali, mais sous une forme de mascarade ».

N.J

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