La ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) a présenté samedi 13 décembre 2025 son rapport annuel sur l’état des droits humains et des libertés publiques en Tunisie, lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, célébrée chaque année le 10 décembre.
Ce document de référence dresse un diagnostic préoccupant de la situation actuelle, marquée, selon la Ligue, par une poursuite et une extension des violations affectant l’ensemble du champ des droits fondamentaux.
Le rapport situe l’année 2025 dans une trajectoire de restriction accélérée des libertés en Tunisie, marquée par la concentration du pouvoir, le recul du rôle des institutions et des instances de régulation, ainsi que par un affaiblissement notable des contre-pouvoirs. Cette évolution intervient dans un contexte de crise économique et sociale aiguë, qui accentue la vulnérabilité des catégories les plus fragiles et élargit le sentiment de frustration et de déclassement au sein de la population.
La LTDH fait état d’un durcissement des poursuites judiciaires visant les opposants, les militants associatifs et syndicaux, accompagné d’une intensification des campagnes de stigmatisation, de diffamation et de pression politique. Elle alerte également sur les tentatives répétées de mise au pas du pouvoir judiciaire et sur la dégradation préoccupante des conditions de détention, marquées par des témoignages récurrents faisant état de mauvais traitements et de violations graves, souvent sans enquêtes indépendantes ni poursuites effectives.
Le rapport souligne en outre que le secteur de la presse et des médias traverse une phase particulièrement critique. Les journalistes et les institutions médiatiques font face, selon la Ligue, à des tentatives inédites de contrôle et de soumission, à travers la multiplication des poursuites, la mainmise sur les médias publics et la marginalisation des voix indépendantes. Le maintien du décret-loi n°54, perçu comme une épée de Damoclès pesant sur la liberté d’expression, continue de nourrir un climat d’autocensure et d’insécurité juridique.
Dans ce paysage déjà dégradé, la crise économique et sociale aggrave encore la situation des droits humains. La LTDH relève une atteinte directe aux droits fondamentaux des citoyens, notamment le droit à la santé, à l’éducation, au transport et à un niveau de vie décent. La flambée des prix des produits de première nécessité, l’érosion du pouvoir d’achat, la montée du chômage et la dégradation des services publics contribuent à élargir les cercles de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
La Ligue met d’ailleurs en garde contre toute instrumentalisation de la crise économique à des fins de répression politique ou de restriction des libertés syndicales et associatives, appelant à privilégier des solutions fondées sur le dialogue social et la participation démocratique plutôt que sur la contrainte et la fermeture de l’espace public.
Au-delà du constat institutionnel, la LTDH a présenté les résultats d’un sondage de terrain réalisé sur les représentations des Tunisiens à l’égard des droits humains et de l’action de la Ligue elle-même. Cette enquête, conduite auprès d’un échantillon de 1 205 citoyens, met en lumière une forte exigence de neutralité judiciaire : 95,5% des personnes interrogées estiment qu’il est indispensable que la justice soit impartiale, tandis que 41,6% considèrent qu’elle ne garantit pas pleinement l’ensemble des droits. Ces chiffres traduisent une perception largement répandue d’un déficit de confiance à l’égard de l’institution judiciaire, perçue comme insuffisamment protectrice des libertés individuelles.
Par ailleurs, 36,5% des répondants estiment que l’intérêt porté aux droits humains reste sélectif, profitant à certaines catégories au détriment d’autres, et que l’égalité devant la loi n’est pas assurée de manière effective. En revanche, un consensus quasi unanime se dégage sur l’importance de la cause : 94,4% des personnes interrogées jugent que la défense des droits humains est plus que jamais nécessaire dans le contexte actuel.
Interrogés sur leurs réflexes en cas de litige ou de problème juridique, 60,8% des sondés déclarent qu’ils se tourneraient vers la police ou la garde nationale, contre 13,9% qui privilégieraient le recours à un avocat, et 7,9% qui saisiraient directement la justice. Fait notable, 21,6% affirment qu’ils tenteraient de résoudre le problème par leurs propres moyens, un indicateur interprété par la LTDH comme le signe d’une désaffection ou d’une défiance vis-à-vis des mécanismes institutionnels de recours.
S’agissant de la hiérarchisation des droits fondamentaux, 68,6% des personnes interrogées placent le droit à la santé au premier rang, suivi du droit à l’éducation (46,3%), du droit à un travail décent (28%) et du droit à la dignité humaine (26,6%). Cette classification reflète, selon la Ligue, l’impact direct des conditions socio-économiques sur la perception des priorités en matière de droits humains.
Enfin, l’enquête souligne l’importance accordée à la sensibilisation et à l’éducation aux droits humains : 48,4% des répondants considèrent l’éducation citoyenne comme le levier principal pour ancrer durablement la culture des droits, tandis que 35,9% insistent sur le rôle des médias et 28,8% estiment que cette mission incombe prioritairement aux institutions publiques.
Le rapport au complet est disponible ici.
N.J










