À la veille du 17 décembre, jour férié censé incarner l’esprit de la révolution, le pouvoir tente une démonstration de force dans la rue. Mais faute d’adhésion spontanée, la mobilisation repose sur la logistique, les collations et une rhétorique patriotique recyclée. Une mécanique familière dans les régimes autoritaires, beaucoup moins dans les démocraties.
Depuis plusieurs jours, les appels à manifester se multiplient sur les réseaux sociaux. Députés, chroniqueurs et lobbyistes proches du pouvoir se relaient, vidéos et visuels à l’appui, pour exhorter les « Tunisiens patriotes » à converger vers Tunis, ce mercredi 17 décembre 2025. L’objectif est clair : remplir la rue, donner une image de masse, produire des images.
Mais derrière le discours exalté, la mobilisation se construit d’abord sur des considérations très concrètes. Transport gratuit depuis les régions, collations promises, prise en charge logistique assumée. Certains appels vont jusqu’à inviter les sympathisants à contacter directement les organisateurs via Messenger pour régler les problèmes de déplacement. La manifestation se prépare moins comme un élan citoyen que comme une opération logistique.
Quand le président disparaît du discours
Dans un premier temps, les messages appelaient explicitement à soutenir Kaïs Saïed et le processus du 25-Juillet. Puis, progressivement, le vocabulaire a changé. Le nom du président s’efface, remplacé par des formules plus consensuelles : défense de la Tunisie indépendante, rejet de l’ingérence étrangère, protection de la souveraineté nationale.

Ce glissement sémantique est révélateur. Il traduit une volonté manifeste de diluer le soutien personnel au chef de l’État dans un cadre patriotique plus large, jugé moins clivant et plus mobilisateur. On ne manifeste plus officiellement pour un homme ou pour un régime, mais pour une idée abstraite, suffisamment vague pour ratisser large.
Pour autant, personne n’est dupe. Malgré ce changement d’étiquette, la finalité reste la même : répondre aux manifestations hebdomadaires de l’opposition et tenter de démontrer que Kaïs Saïed demeure populaire, soutenu et majoritaire dans la rue.

La méthode Chocotom, une vieille recette
L’offre de transport et de collations pour remplir une manifestation rappelle une pratique politique bien connue en Tunisie. En 2013, les islamistes avaient largement utilisé ce procédé, en distribuant notamment des Chocotom lors de leurs rassemblements.

Le Chocotom, biscuit sucré savoureux, apprécié par les Tunisiens et présent sur le marché depuis des décennies, était alors devenu, malgré lui, un symbole de mobilisation artificielle. Non pas en raison du produit lui-même, mais de l’usage politique qui en avait été fait : attirer des foules non par conviction, mais par incitation matérielle.

Douze ans plus tard, la méthode refait surface. Seuls changent les menus et les slogans. Le principe, lui, demeure inchangé : on remplit d’abord, on politise ensuite.
Du biscuit au fricassé, la moquerie comme réponse
Face à la multiplication des appels sponsorisés par la logistique, les réseaux sociaux ont répliqué par la dérision. Très vite, l’expression « manif du fricassé » s’est imposée. Le fricassé, beignet frit emblématique de la tradition culinaire tunisienne, garni d’œuf, de thon, de pomme de terre et de harissa, est devenu le nouveau symbole de cette mobilisation sous assistance.
Le message est limpide : aux appels des laudateurs, des zélateurs et des courtisans du régime, la société connectée répond par l’ironie. On ne parle plus de souveraineté ou d’ingérence, mais de ce qui motive réellement la présence promise dans la rue.

Une contre-manifestation, pas un élan populaire
Cette mobilisation ne surgit pas dans le vide. Elle intervient après quatre samedis consécutifs de manifestations de l’opposition, ayant rassemblé des milliers de personnes pour dénoncer l’injustice, la répression, les détentions abusives et les procès politiques. Des rassemblements organisés sans bus affrétés, sans collations promises, sans encadrement massif.
La manifestation du 17 décembre est donc une contre-manifestation assumée, pensée comme une riposte symbolique. L’enjeu n’est pas le contenu politique, mais le rapport de force visuel et numérique. Il s’agit de montrer que le pouvoir peut, lui aussi, faire descendre du monde dans la rue.

La fébrilité d’un pouvoir qui se rassure
C’est là que réside l’essentiel. Dans aucune démocratie solide, un régime sûr de sa légitimité n’encourage des manifestations de soutien. Un pouvoir confiant se repose sur les urnes, les institutions et le débat public, pas sur des foules convoquées, transportées et nourries.
Les manifestations de soutien sont, partout dans le monde, un marqueur d’insécurité politique. Elles traduisent un besoin de se rassurer, de se compter, de se convaincre soi-même autant que les autres. Le changement d’intitulé, de « manif pro-président » à « manif patriotique contre l’ingérence », ne trompe personne. Chacun sait qu’il s’agit d’une réponse directe aux mobilisations du samedi et d’une tentative de démontrer que Kaïs Saïed reste populaire.
Le recours à des députés comme Syrine Mrabet ou Zina Jiballah, à des chroniqueurs tels que Riadh Jerad ou à des lobbyistes comme Nabil Rabhi pour mobiliser les foules est, en soi, révélateur. Quand le pouvoir ne gouverne plus par l’adhésion, il mobilise par la logistique. Quand il ne convainc plus, il organise.
Le 17 décembre devait incarner l’esprit de la révolution. Il risque surtout de devenir le miroir d’un régime fébrile, contraint de remplir la rue à coups de fricassés pour faire croire à une popularité qui, désormais, ne s’exprime plus spontanément.
Maya Bouallégui













4 commentaires
ZARZOUMIA
illi yihsib wahdou youfdhoulou .
Fares
Il est مشخشخ au moins ce fracassé, parce-que vendre son honneur pour un fracassé qui vaut un dinar pièce est déjà humiliant, mais si en plus l’intérieur de ce pain est fait d’une petite couche d’huile de sol et d’harissa peinte par un pinceau, alors là ces participants touchent vraiment le fond. Il faut que les services de communication de la présidence nous éclaircissement sur les ingrédients de ce sandwich. De même, les gousses d’ail, indispensables pour la stimulation des glandes lacrymales, sont-elles fournies par Kais Said ou bien faut-il qu’on les zqafnas achètent à leurs frais?
Vu que tous les tunisiens sont tous avec Kaisoune selon les zqafnas et considérant le score de Saied aux élections de 2024, on ne contentera pas d’une petite manifestation de 100000 personnes demain, la barre est haute et nous espérons voir jrad parmi les manifestants ou bien il a la trouille 😱
Hannibal
J’invite les personnes qui prépareront les fricassés à mettre une sauce Tabasco, voire à base de Pepper X, au lieu de l’harissa pour faire chier les opportunistes pseudo-patriotes.
HatemC
Et pour les plus engagés dans la résistance gastronomique, qu’ils n’hésitent pas à ajouter une double couche de Carolina Reaper, histoire de tester la sincérité des pseudo-patriotes opportunistes qui brandissent le drapeau uniquement quand ça les arrange… mais fuient dès que ça chauffe vraiment.
Parce qu’au fond, le vrai patriotisme, ça ne se crie pas,
ça se supporte.
Même quand ça brûle.