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BA Glass entre dans Sotuver pour plus de 200 millions de dinars : un signal fort pour l’industrie tunisienne

Service IA, Business News

Par Raouf Ben Hédi

L’entrée du groupe portugais BA Glass à hauteur de 41,28 % du capital de Sotuver marque un tournant industriel majeur pour le verrier tunisien. Dans un contexte mondial redevenu ultra concurrentiel et un climat des affaires local peu engageant, cette opération consacre à la fois la persévérance du groupe Bayahi et l’adossement attendu à un acteur européen de premier plan.

Un groupe industriel portugais fait son entrée dans le capital d’une société tunisienne cotée. Jeudi 18 décembre, Sotuver a officiellement annoncé l’acquisition de 41,28 % de son capital par le verrier européen BA Glass, mettant fin à des semaines de spéculations. Dans les milieux boursiers, l’information circulait déjà depuis plusieurs jours, alimentant rumeurs et anticipations autour d’un possible adossement industriel étranger. La confirmation publique donne désormais corps à une opération d’envergure, à la fois rare sur le marché tunisien et lourde de conséquences pour l’avenir d’un acteur industriel stratégique, dans un secteur où les partenariats internationaux se font aussi rares que décisifs.

Une dynamique retrouvée sur des fondamentaux industriels solides

Avant d’examiner l’entrée de BA Glass au capital, il faut d’abord regarder Sotuver pour ce qu’elle est : un groupe industriel verrier lourd, rentable et engagé dans une phase de redressement opérationnel en 2025, malgré un environnement économique peu porteur.

En 2024, Sotuver a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 235,1 millions de dinars. L’activité est en retrait par rapport à 2023, mais le groupe a conservé un niveau de rentabilité élevé. Le résultat d’exploitation s’est établi à 74,2 millions de dinars, et le résultat net revenant à la société consolidante à 41,8 millions de dinars, confirmant la solidité du modèle industriel malgré les tensions de marché.

Le premier semestre 2025 marque un changement de trajectoire net. Le chiffre d’affaires progresse à 136,1 millions de dinars, en hausse de près de 25 % sur un an. Cette accélération se reflète directement dans les résultats : le résultat d’exploitation atteint 44 millions de dinars, tandis que le résultat net part du groupe s’élève à 26,7 millions de dinars, soit presque le double de celui enregistré au premier semestre 2024. En six mois, Sotuver a déjà généré près des deux tiers de son résultat net annuel de 2024.

La structure des charges confirme cette amélioration. Les charges d’exploitation progressent moins vite que les produits, les achats consommés restent globalement stables malgré la hausse de l’activité, et l’augmentation des charges de personnel et des amortissements traduit une utilisation accrue de l’outil industriel plutôt qu’une dérive des coûts.

La tendance positive se confirme au troisième trimestre 2025. À fin septembre, Sotuver affiche une croissance de 14 % de son chiffre d’affaires par rapport à la même période de 2024, portée notamment par la bonne tenue des exportations.

Sur le plan financier, cependant, le groupe évolue avec un niveau d’endettement significatif et inquiétant, qui atteint 188,5 millions de dinars à fin septembre 2025. Ce niveau est élevé en valeur absolue, mais il reste cohérent avec la nature capitalistique de l’industrie verrière et surtout soutenable au regard de la rentabilité opérationnelle et de la dynamique des résultats observées depuis le début de l’année.

Au total, Sotuver aborde 2026 avec une activité en nette accélération, une rentabilité en amélioration et une structure financière qui, bien qu’exigeante, demeure compatible avec son modèle industriel.

C’est sur cette base économique tangible que s’inscrit l’entrée d’un acteur international majeur à son capital.

BA Glass : un géant discret de la verrerie mondiale, éprouvé par 2024 mais toujours sélectif

Fondé en 1909 au Portugal, BA Glass fait partie de ce cercle très fermé des grands industriels mondiaux de l’emballage en verre. Un secteur où l’on n’entre pas par opportunisme, mais par héritage industriel, par capital et par endurance. Plus d’un siècle après sa création, le groupe reste solidement ancré dans cette culture.

BA Glass est aujourd’hui un acteur international, présent principalement en Europe et en Amérique du Nord, avec un réseau d’usines produisant des bouteilles et contenants en verre destinés aux marchés des boissons et de l’agroalimentaire. Un métier lourd, intensif en capital, où chaque décision d’investissement engage l’entreprise pour des décennies.

Cette logique de long terme se reflète dans la structure de l’actionnariat. Le capital du groupe est contrôlé par trois pôles clairement identifiés : Fim do Dia, SGPS, S.A., qui détient 47,40 % du capital ; la famille Moreira da Silva, avec 26,30 % ; et la famille Silva Domingues, également à 26,30 %.

Une gouvernance familiale, stable, assumée, loin des fonds de passage et des arbitrages de court terme. Le Conseil est présidé par Paulo Azevedo, figure centrale du groupe, dans un modèle où la décision industrielle prime sur la communication.

L’année 2024 n’a pourtant rien eu d’un long fleuve tranquille. Le rapport annuel du groupe le reconnaît sans détour. Le marché européen de la verrerie s’est contracté brutalement, conduisant à l’arrêt de plus de vingt fours en Europe, parfois de manière définitive. BA Glass n’a pas été épargné : un four a été fermé à Athènes, plusieurs lignes ont été stoppées faute de demande, et certaines zones, notamment en Europe du Sud-Est, ont été particulièrement sous pression.

Dans ce contexte, les chiffres 2024 traduisent une nette dégradation des marges. Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 1,53 milliard d’euros, pour un résultat net consolidé de 157 millions d’euros, en forte baisse par rapport à 2023. L’EBITDA ressort à 401,8 millions d’euros, tandis que la dette nette atteint 925 millions d’euros, portant le ratio dette nette sur EBITDA à 2,3 fois, contre un peu plus d’une fois l’année précédente. Une tension financière réelle, mais maîtrisée, dans un secteur où l’endettement est structurel.

Fait notable, malgré cette année difficile, BA Glass n’a pas réduit la voilure sociale. Les effectifs ont continué d’augmenter, passant à 5.289 salariés en 2024. Un signal clair : le groupe n’a pas choisi la stratégie du repli, mais celle de la continuité industrielle, convaincu que la crise est conjoncturelle et que la capacité de production reste un actif stratégique.

En parallèle, BA Glass poursuit ses engagements en matière de durabilité. Réduction de l’empreinte carbone, amélioration de l’efficacité énergétique des fours, recours accru au verre recyclé : ces axes ne relèvent plus du discours, mais d’une nécessité industrielle, dans un secteur de plus en plus contraint par les normes environnementales et les attentes des clients.

C’est donc un groupe secoué par 2024, mais loin d’être affaibli. Un groupe sélectif, prudent, conscient de la rareté du capital industriel dans la verrerie. Dans un tel contexte, l’entrée de BA Glass au capital d’une société étrangère n’est jamais anodine. Elle traduit un choix mûrement réfléchi, opéré par un acteur qui sait précisément où – et pourquoi – il engage ses ressources.

Une transaction conséquente

Dans son communiqué publié jeudi 18 décembre 2025, Sotuver mentionne le prix par action fixé qui est de 13,02 dinars. Le capital de Sotuver est composé de 39.254.475 actions. BA Glass a acquis 41,28 % du capital, soit environ 16,2 millions d’actions. Par conséquent, l’opération aura coûté un peu plus de 210 millions de dinars au total.

Cette opération se fait dans un contexte boursier particulier. L’action Sotuver semble aujourd’hui sous-valorisée : elle cotait 14,7 dinars au 1er janvier 2025, avant de refluer au fil des mois. BA Glass entre donc au capital à un moment où le titre est inférieur à ses niveaux de début d’année, ce qui renforce la lecture stratégique, plutôt que spéculative, de l’opération.

Il faut également rappeler la structure de l’actionnariat avant la transaction. Le groupe Bayahi détenait 82,56 % du capital notamment à travers ses filiales CFI (61,31 %) et Lloyd (7,9 %). Indivest Sicaf détient 9,21 % et le flottant représente 21,58 % du capital. La cession de 41,28 % à BA Glass marque donc un tournant majeur dans la gouvernance et la trajectoire stratégique de Sotuver : pour la première fois, un acteur industriel international de premier plan entre massivement dans le capital, à un niveau qui lui confère un poids décisif.

L’opération a été pilotée par le consortium Derenia et ABG qui ont agi en tant que conseils financiers exclusifs des actionnaires de la Sotuver.

Un tournant industriel plus qu’une simple opération capitalistique

L’entrée de BA Glass au capital de Sotuver ne se résume ni à un jeu de pourcentages ni à une transaction financière de plus. Elle marque un tournant industriel majeur pour une entreprise longtemps restée en marge des grands réseaux verriers internationaux, dans un secteur où l’isolement finit toujours par coûter cher.

Dans un contexte tunisien peu attractif pour les investisseurs étrangers et sur un marché mondial de la verrerie redevenu impitoyablement concurrentiel, le fait qu’un acteur européen de premier plan accepte de partager le contrôle d’une unité industrielle aussi lourde que Sotuver relève d’un pari stratégique assumé. Un pari rendu possible par la persévérance du groupe Bayahi, qui a su maintenir l’entreprise à flot, investir, et surtout ne jamais renoncer à l’idée d’un adossement industriel crédible.

Pour Sotuver, l’enjeu dépasse désormais la croissance du chiffre d’affaires ou la rentabilité à court terme. Il s’agit de changer de dimension, d’élever durablement les standards techniques, de sécuriser la qualité et la régularité de la production, et de s’inscrire dans une logique de groupe capable d’absorber les cycles, les chocs et les exigences croissantes des grands clients internationaux.

Rien n’est encore acquis. Le succès de cette nouvelle configuration dépendra de la capacité de BA Glass à imposer ses méthodes, de la volonté des actionnaires tunisiens d’accepter une redistribution réelle des rôles, et des choix qui seront faits en matière de management et de stratégie industrielle. Les chiffres de 2025 seront les premiers véritables indicateurs de cette transformation.

Mais une chose est déjà certaine : dans une industrie du feu continu, le statu quo n’est jamais une option. En ouvrant son capital à un grand verrier européen, Sotuver a choisi le risque du changement plutôt que la lente érosion. Et dans le contexte actuel, ce choix pourrait bien faire la différence entre la survie et le déclassement.

Raouf Ben Hédi

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