Dans son Afghanistan natal, Muhammad Ilyas a servi l’armée américaine comme interprète. Alors que l’administration Trump s’apprête à bloquer les arrivées de réfugiés et que sa soeur est coincée au Qatar, il se demande aujourd’hui si cet engagement en valait la peine.
« Elle avait un billet d’avion pour les Etats-Unis dans les mains, prête à partir, quand la décision (de geler l’entrée de réfugiés) a été annoncée (fin janvier par Donald Trump). Tout s’est arrêté« , raconte Muhammad Ilyas.
Son nom a été modifié pour des raisons de sécurité, comme les autres Afghans interrogés par l’AFP.
« C’est dur d’expliquer ce que vous ressentez à ce moment-là, après tant de démarches longues et épuisantes, de contrôles et de vérifications« , glisse-t-il.
Il a fallu près de trois ans à sa soeur pour obtenir un visa américain. Cette mère de trois enfants, âgée de 22 ans, patiente au Qatar dans un établissement géré par les Etats-Unis, comme 2000 autres Afghans qui en avaient quasiment fini avec leur parcours du combattant.
« Notre plus grande peur c’est qu’ils retournent là-bas« , dit Muhammad Ilyas au sujet d’un pays où ils peuvent craindre des représailles et où les Talibans imposent des mesures liberticides, particulièrement aux femmes. « J’aurais aimé qu’ils ne partent pas du tout« .
Le nombre d’Afghans disposant d’un visa américain et en attente de relocalisation est estimé à entre 10.000 et 15.000, des personnes recommandées par des responsables, des ONG ou des médias américains et leurs proches.
Quelque 200.000 autres ont une démarche en cours auprès des autorités américaines, dont certains vivent dans la clandestinité en Afghanistan.
Selon un responsable américain interrogé par l’AFP, le gouvernement va annoncer cette semaine l’entrée en vigueur de l’interdiction.
« Les opérations de relocalisation sont pour l’essentiel suspendues« , a-t-il dit, sous le couvert de l’anonymat.
« Rigoureusement contrôlée »
L’impact de la décision américaine se fait également sentir en Afghanistan même.
Asrar Umed, qui avait reçu un visa en 2022 sans pour autant pouvoir partir, s’est vu donner 20 jours pour libérer son logement financé par les Etats-Unis à Kaboul.
« Vu que j’ai travaillé pour l’ambassade, c’est dangereux pour moi d’être vu en public ou de travailler à Kaboul« , dit ce père de cinq enfants. Il avoue craindre « tous les jours » pour sa vie et celle des membres de sa famille et ne sait pas où aller désormais.
Donald Trump a assuré que sa décision était basée sur des motifs de sécurité nationale.
Mais « on a plus de renseignements sur ces Afghans que sur la majorité des Américains« , rétorque Shawn VanDiver, un ancien militaire américain qui dirige l’ONG #AfghanEvac.
Jamais une population migrante n’a été plus « rigoureusement contrôlée » dans l’histoire des Etats-Unis, assure de son côté le responsable américain anonyme.
Hamida Halimi, 26 ans, a fui au Pakistan après le retour des Talibans en 2021. Elle explique qu’il lui a fallu deux ans pour obtenir son visa. Son vol pour les Etats-Unis était prévu le 3 février.
« Il n’y pas de mots pour expliquer ce que j’ai ressenti quand j’ai compris qu’il était annulé« , confie-t-elle. « C’était le pire moment de ma vie« .
Son rêve américain envolé, elle se sent piégée au Pakistan, qui expulse vers leur pays d’origine les Afghans en situation irrégulière.
« On se fait harceler en permanence par la police pakistanaise. Et trouver un logement ou avoir accès à des services basiques est devenu un vrai défi pour nous« , raconte-t-elle.
Pour nombre de ces Afghans, leur pays natal n’est plus un horizon envisageable.
« Sans aide, notre avenir est très précaire », résume M. Umed.
Les Talibans ont assuré que ceux qui avaient quitté le pays à leur retour pouvaient bénéficier d’une amnistie mais les Nations unies ont fait état de cas d’exécutions et de disparitions.
Pour le chef de l’ONG #AfghanEvac, « ce sont des condamnations à mort que le président Trump a prononcées« .
© Agence France-Presse