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Une révolution législative ou une nouvelle dictature ?

Par Sofiene Ben Hamida

Qu’ils soient Premier ministre, chef de gouvernement ou secrétaire d’État à la présidence, les rencontres du président de la République, depuis des semaines, avec ses collaborateurs, actuels ou anciens, chargés de la Kasbah, n’ont cessé de souligner l’urgence d’une « révolution législative ».

Un vœu pieux

L’idée n’est pas saugrenue, au contraire. Une révolution, comme celle connue par la Tunisie le 14 janvier 2011 n’a pas, en principe, que le seul objectif de balayer le pouvoir en place. Elle vise à changer le pouvoir en place, la gouvernance du pouvoir et pourquoi pas tout le système politique sclérosé qui a conduit à cette explosion populaire. Les slogans de la révolution tunisienne n’ont pas dérogé à cette règle et ont revendiqué une nouvelle gouvernance et un nouveau système politique : Emploi, Liberté, Souveraineté nationale. Ils ont exigé en effet un retour au rôle social de l’État, un État de droit respectueux de la démocratie et des libertés publiques et privées ainsi que de nouveaux rapports plus équitables avec les partenaires extérieurs.

Malheureusement, les islamistes et leurs alliés, qui ont pris les rennes du pouvoir après la révolution ont tourné le dos aux revendications révolutionnaires, ont gardé le même système politique et le même arsenal législatif et juridique qui leur permettait de continuer de s’enrichir sur le dos de l’État au détriment du peuple de plus en plus démuni. Par leur gloutonnerie, la révolution législative qui aurait dû accompagner la révolution politique et qui aurait dû accompagner la phase de transition démocratique, n’a pas eu lieu et le pays a sombré dans une crise de plus en plus aigue.

Une révolution solitaire

L’idée de la révolution législative lancée par le président de la République est donc acceptable et pourrait même être salvatrice pour le pays. Mais la révolution législative, comme toutes les révolutions, est un acte collectif qui ne peut se réaliser par une seule personne quelque soit sa détermination, son courage ou sa force. Or, le président de la République donne la nette impression de continuer de se suffire à lui-même, de refuser d’associer les partis politiques, les organisations nationales et les associations de la société civile à tout effort de construction de l’État postrévolutionnaire.

Dans le passé, il s’est essayé à légiférer tout seul et cela a conduit à un fiasco éloquent qui n’a rien apporté de positif mais qui a éloigné encore plus le pays de ses objectifs de la révolution. En voici quelques exemples notoires.

Le 22 septembre 2021, après la dissolution du parlement, profitant de la confusion qui règne dans le pays, le président Kaïs Saïed publie le décret 117 dans lequel il s’aroge tous les pouvoirs législatifs, judiciaires et bien entendu exécutifs, sans possibilité de recours contre ses décisions. Ce décret ferait rougir de jalousie les dictatures les plus confirmées. Pourtant, il est passé sans aucune résistance de la part des partis politiques tunisiens totalement léthargiques.

En août 2022, il jette à la poubelle un projet collectif de constitution et publie «sa propre» constitution. Tant pis pour ce peuple nigaud qui a avalé sans réagir, la couleuvre des quarante six erreurs qui «se sont faufilées» dans le texte publié, excusez du peu, dans le journal officiel.

L’article 24 du décret-loi 54 du 13 septembre 2022 est une autre aberration législative du régime du président Kaïs Saïed. Censé lutter contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, cet article est désormais l’alibi juridique pour le pouvoir en place dans sa politique de chasse aux sorcières. Des dizaines de journalistes, d’avocats, d’hommes politiques ou de médias, des internautes ou des militants de la société civile se trouvent encore aujourd’hui poursuivis ou carrément incarcérés sur la base de cet article.

Plus récent encore, la révision de l’article 411 du code du commerce concernant le chèque sans provision a carrément bloqué l’activité économique dans le pays. En voulant s’essayer à la légifération économique, le pouvoir en place a mis à nu toute son ignorance et son incompétence en la matière. Les experts ne manquent pourtant pas dans le pays. Certains parmi eux ont même acquis une notoriété internationale.

Vouloir ne suffit pas

C’est dire qu’il ne suffit pas de vouloir faire une révolution législative. Pour réussir un tel projet, il est impératif d’associer les autres, tous les autres, et ne pas faire cavalier seul. Il est nécessaire de faire appel aux spécialistes de la légistique, de s’entourer de tout le monde et tous ceux qui peuvent apporter leur contribution à l’édification de la Tunisie nouvelle même s’ils ne sont pas toujours d’accord avec vous. À défaut, il n’y aura pas de révolution législative. Il y aura tout au plus des textes qui nous éloigneront encore plus des revendications légitimes de la révolution et fera entrer le pays dans une nouvelle dictature.

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