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Entre ressentiment populaire et drame social : le sort incertain des agents de la fourrière du Lac 2

Service IA, Business News

Par Myriam Ben Zineb

La fermeture de la fourrière du Lac 2 met en lumière un paradoxe troublant. Tandis que les citoyens accueillent la nouvelle comme une revanche contre des pratiques jugées abusives, une trentaine d’agents dénoncent la perte soudaine de leur emploi et l’abandon de leurs familles à la précarité. Entre colère populaire et désespoir social, le dossier illustre la fracture grandissante entre usagers et prestataires d’un service public délégué.

Une trentaine d’agents de la fourrière du Lac 2 se retrouvent aujourd’hui dans une impasse. Victimes de l’arrêt brutal de leurs activités, ils dénoncent une décision qu’ils imputent directement au gouverneur de Tunis. « Depuis six ans, nous travaillons sans relâche pour cette société. Aujourd’hui, on nous met dehors sans considération pour notre ancienneté ni pour nos conditions de vie. On nous annonce que le contrat prend fin le 30 septembre et qu’il n’y a plus de place pour nous. C’est injuste ! », ont-ils protesté. Dans leur désarroi, ils appellent le président de la République à intervenir pour régulariser leur situation.

Une concession arrivée à terme

La tension est née de l’échéance du contrat de concession de la fourrière, fixée au 30 septembre 2025. Ce mécanisme prévoit que la gestion d’un service public puisse être déléguée à une société privée pour une durée déterminée. Une fois expiré, le contrat ne se renouvelle pas automatiquement, ce qui condamne de fait les trente agents à perdre leur emploi. Les intéressés réclament leur intégration dans la fonction publique, seule garantie, selon eux, d’une stabilité professionnelle et sociale à l’abri des aléas des appels d’offres.

La situation est compliquée par le fait que Maher Chaâbane, propriétaire de la société exploitant la fourrière du Lac, est actuellement en prison. Les employés insistent cependant : leur problème ne réside pas là, mais dans l’absence d’interlocuteurs valables.

La municipalité de La Goulette, désormais privée de maire et de secrétaire général, n’a laissé à leur disposition qu’une employée sans prérogatives réelles. Quant au gouverneur de Tunis, il refuse de les rencontrer et délègue le dossier à une représentante qui se limite à écouter sans donner de réponses. Une séance de conciliation tenue le 30 septembre 2025 s’est soldée par un échec. Trente familles se retrouvent ainsi sans revenus, exposées à la précarité.

Des agents pris en étau

Les employés tiennent à rappeler qu’ils étaient rémunérés régulièrement, bénéficiaient d’une couverture sociale et de primes, et que leur employeur avait même tenté de les soutenir dans cette crise. Ils affirment par ailleurs travailler en toute légalité, sans pression sur le nombre de voitures levées, leurs salaires n’étant pas liés au volume des interventions. Mais ils reconnaissent être confrontés à une vacance institutionnelle qui les prive de toute solution : sans municipalité fonctionnelle, sans gouverneur attentif, leur sort reste suspendu.

Dans l’urgence, ils ont adressé un courrier à la présidence de la République et demandé audience auprès du gouverneur. À ce jour, aucune réponse ne leur est parvenue.

Une hostilité citoyenne persistante

En parallèle, les citoyens expriment une colère tenace à l’égard des agents des fourrières. Ils accusent ces derniers d’agir dans l’illégalité en procédant seuls à l’enlèvement des véhicules, alors que la loi impose la présence d’un policier pour constater l’infraction. Ces pratiques, considérées comme abusives, ont forgé une rancune profonde au sein de l’opinion publique.

Les commentaires publiés en ligne à l’annonce de la fermeture de la fourrière du Lac 2 témoignent d’une hostilité quasi unanime. Les mots employés sont durs : « mafia », « chacals », « voleurs en uniforme ». Les témoignages s’accumulent : voitures endommagées, enlèvements jugés arbitraires, discriminations entre petits véhicules et grosses cylindrées. « Le temps de traverser la rue avec mon ticket de parking, ma voiture avait déjà disparu. C’était du vol organisé », accuse un automobiliste. Une habitante de La Marsa se souvient : « Ils se déplaçaient à la vitesse du son, on n’avait même pas ouvert la portière qu’ils étaient déjà là ».

Pour beaucoup, l’idée d’intégrer ces agents dans la fonction publique revient à « institutionnaliser la corruption ». Certains parlent de « justice divine », d’autres de « karma », voyant dans la fermeture une sorte de revanche morale sur un système perçu comme oppressif et corrompu.

Nuance nécessaire : le cas particulier du Lac 2

Il convient toutefois de distinguer les agents de la fourrière du Lac 2 de ceux d’autres sites gérés par une autre société, notamment La Marsa et Sidi Bou Saïd, qui concentrent l’essentiel des critiques qui ont été formulées sous nos articles dédiés. Plusieurs internautes rappellent en effet que les abus les plus flagrants ont été constatés ailleurs, et que les agents du Lac 2 affirment, eux, avoir toujours respecté la légalité sans subir de quotas ni exercer de pression sur les automobilistes.

Cette précision n’efface pas totalement la défiance du public, mais elle souligne que la situation des employés du Lac 2, déjà accablés par la perte soudaine de leur emploi, mérite d’être analysée à part. Eux se défendent d’avoir participé aux excès dénoncés et insistent sur la régularité de leurs pratiques.

Entre réforme des collectivités et vide institutionnel

Cette situation s’inscrit dans un contexte plus large de remise en question du cadre juridique des collectivités locales. Le président de la République, Kaïs Saïed, a annoncé en avril 2025 une refonte en profondeur du code des collectivités publiques, qualifié de vecteur de corruption. Pour lui, les textes de 2015 et 2017 ont fragmenté le pays et fragilisé l’État. Une révision devrait restaurer la cohésion nationale et redonner toute son efficacité à l’administration.

En parallèle, l’Isie a assuré que les moyens financiers nécessaires à l’organisation des prochaines élections municipales sont disponibles. Leur tenue dépend désormais du décret présidentiel convoquant les électeurs. Les premières municipales de l’après-révolution, en mai 2018, n’ont jamais été renouvelées, Kaïs Saïed ayant dissous les conseils municipaux en mars 2023.

Une dualité frappante

Le dossier de la fourrière du Lac 2 met ainsi en lumière une dualité douloureuse : d’un côté, la détresse d’une trentaine de familles privées de leur principale source de revenus ; de l’autre, un rejet massif des citoyens, qui considèrent la disparition de cette fourrière comme une victoire contre un système vécu comme arbitraire et corrompu. Entre drame social et revanche populaire, ce conflit révèle les fractures profondes qui traversent la société tunisienne et souligne l’urgence d’une réforme claire et transparente du secteur public local.

Myriam Ben Zineb

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