Face à l’écocide que vit la ville de Gabès depuis des décennies (s’il n’en est pas un, c’est quoi alors ?), qui a pris des dimensions alarmantes ces dernières semaines, les populations civiles de Gabès se sont indignées et sont sorties dans la rue pour réclamer leur droit naturel et fondamental de respirer un air pur et de ne pas mourir asphyxiées par l’odeur nauséabonde et les gaz toxiques dégagés par l’usine d’acide phosphorique du Groupe chimique.
Après quelques jours de déni de la situation, comme à l’accoutumée, par tous les pouvoirs publics du pays, le président de la République s’est réuni enfin, l’après-midi du samedi, avec ses ministres de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie ainsi que de l’Environnement.
Le contraste entre paroles et actions
En substance, il a donné raison aux mouvements sociaux qui se sont déroulés à Gabès. Il a littéralement annoncé que « nos concitoyens de Gabès, comme dans toutes les régions du pays, obtiendront pleinement leurs droits. Ils sont la véritable richesse, le rempart solide, et ce sont eux qui bâtiront la nouvelle Tunisie à leur image : une Tunisie verte, débarrassée de toute forme de pollution, mais aussi de tous les pollueurs et les pollués ».
Seulement, quelques heures après, dans la nuit du samedi à dimanche, les forces de l’ordre se sont ruées sur les populations à Gabès à coups de matraques et ne se sont pas fait prier pour arroser les manifestants de gaz lacrymogène. Il paraîtrait que ce gaz fait bon ménage avec l’acide phosphorique et rend le chemin vers l’hôpital, ou à défaut le cimetière, plus court. Ce contraste entre les déclarations du président de la République et les agissements de la police sur le terrain ne laisse que deux hypothèses : ou bien le chef absolu de l’exécutif ne contrôle pas ses troupes, ou bien encore ses positions et ses décisions sont destinées uniquement à la consommation locale et comptent pour du pipeau.
Un verdict qui scandalise
Il y a une dizaine de jours, l’opinion publique tunisienne (pas seulement) a été estomaquée par l’annonce de la condamnation d’un jeune père de famille à la peine capitale pour de simples statuts critiques envers le président de la République, publiés sur son compte Facebook. Le malheureux n’est ni un activiste de la société civile ni un influenceur sur les réseaux sociaux. Il était suivi par à peine quelques dizaines de personnes. Cela ne l’a pas empêché de croupir plus d’une année en prison pour finalement être condamné à mort.
Face au tollé provoqué par ce verdict de la honte, les pouvoirs publics se sont bien sûr murés dans leur silence, laissant les flagorneurs se donner à cœur joie à leur jeu favori d’abjection et de travestissement de la vérité. Du coup, sans aucune preuve tangible, le verdict est devenu un complot contre le président de la République fomenté par des juges « de la justice de Bhiri ». Ils oublient au passage que, depuis plus de sept ans, la justice est totalement entre les mains de l’exécutif, dont le chef absolu est le président de la République, et que Noureddine Bhiri lui-même se trouve actuellement incarcéré depuis quelques années déjà. Mais peu importent les failles dans le raisonnement et les entorses à la logique, du moment que ces inepties trouvent preneur.
Gracier pour apaiser ?
Il semblerait même que le président de la République ait été touché par ce « raisonnement » et ait décidé, à la surprise de tous, de gracier ce chanceux père de famille qui s’apprêtait à passer de vie à trépas. Bien entendu, on ne peut que se réjouir de cette grâce présidentielle, mais ne dit-on pas que celui qui peut le plus peut le moins ? Alors pourquoi le président de la République, qui a eu peu d’égards envers les procédures judiciaires dans ce dossier, ne ferait-il pas de même pour gracier les dizaines d’hommes et de femmes politiques, d’avocats, de journalistes, de militants de la société civile et d’activistes qui sont incarcérés dans des affaires farfelues qui ne font pas honneur à la Tunisie et à la justice tunisienne ?
S’il franchit le pas, le pays reprendra des couleurs, et ce sera grâce à lui. Sinon, il faut se rendre à l’évidence que ces prisonniers sont incarcérés par sa volonté.