Les réactions se multiplient autour du projet de la loi de finances 2026 (PLF 2026), largement commenté depuis sa diffusion médiatique. Plusieurs experts économiques ont exprimé, dimanche 19 octobre 2025, leurs réserves sur le contenu et l’orientation du texte. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ces spécialistes réagissent à propos du PLF, qu’ils jugent insuffisamment cohérent et dépourvu de vision économique claire.
L’économiste Aram Belhadj, docteur en sciences économiques et enseignant-chercheur à l’Université de Carthage, a averti, dans un post Facebook publié le même jour, que « les recrutements dans la fonction publique, la hausse des salaires et le financement direct par la Banque centrale » auront un impact certain sur les taux d’inflation, surtout dans un contexte de faible croissance.
Selon lui, « la Banque centrale sera dégagée de toute responsabilité puisque ces conséquences découleront des choix de l’exécutif, validés par le législatif si la loi est adoptée telle quelle ». Il ajoute que la seule marge d’action de la Banque centrale serait alors « d’augmenter à plusieurs reprises les taux d’intérêt », concluant par une formule ironique : « Et que Dieu fasse que cela se passe bien ».

Pour sa part, Sadok Rouai, ancien haut cadre de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et ancien conseiller auprès du conseil d’administration du FMI, a publié une tribune dans Business News le dimanche 19 octobre 2025.
Il y relève que le PLF 2026 intervient dans un contexte de stagnation économique et de dépendance accrue au financement monétaire. Selon lui, la BCT deviendra en 2026 « la principale source de financement de l’État avec 11 milliards de dinars, devant les banques commerciales (8,1 milliards) et les emprunts extérieurs (6,8 milliards) ».
Il estime que la contribution totale de la BCT, y compris les bénéfices reversés au Trésor, atteindra « 15,4 milliards de dinars, soit près d’un quart des dépenses totales prévues pour 2026 ».
Dans son analyse, il met en garde contre la transformation de la BCT en une « nouvelle Caisse de compensation », le financement monétaire gratuit supprimant, selon lui, toute contrainte budgétaire réelle.
Il relève que cette politique permettrait notamment « de financer des augmentations salariales et le recrutement de vingt-trois mille agents publics ».
Sadok Rouai évoque également un relâchement des réformes structurelles, estimant que « l’absence de contraintes financières immédiates prive l’État de toute incitation à réformer ». Il cite en particulier la restructuration des entreprises publiques, la réforme de la fonction publique et celle du système de compensation.
Il souligne enfin les risques liés à la conformité financière internationale, rappelant qu’une mission du Groupe d’action financière (GAFI) tenue en mai 2025 avait révélé des divergences avec les autorités tunisiennes. Selon lui, l’article 57 du PLF 2026, qui légalise les paiements en espèces pour certaines transactions, pourrait accroître le risque de non-conformité et fragiliser davantage le système financier national.

De son côté, Ridha Chkoundali, professeur universitaire en économie, a publié un post sur Facebook dans lequel il souligne plusieurs insuffisances dans la version du projet actuellement en circulation. Il note notamment que le document « ne présente ni les hypothèses de croissance, ni celles relatives au prix du pétrole, ni le taux de change du dinar, ni les résultats d’exécution du budget de l’État jusqu’à fin septembre 2025 ».
Selon lui, cette absence d’éléments empêche toute discussion approfondie ou proposition d’amendements de la part des députés, « puisque tout nouvel ajout doit respecter le principe des équilibres financiers, absents dans la version actuelle ».
Il rappelle également que le PLF 2026 devrait être « totalement différent de ses prédécesseurs », car il s’inscrit dans le cadre du nouveau plan de développement économique et social 2026-2030, et qu’il doit intégrer les propositions des conseils régionaux et des gouvernorats.
Ridha Chkoundali estime enfin que la première année d’un plan quinquennal devrait « débuter avec des politiques fortes et courageuses », alors que le projet actuel ne reflète, selon lui, « ni cette dynamique ni une cohérence entre les trois documents fondamentaux : le plan, le budget économique et la loi de finances ».
Ces analyses traduisent un scepticisme persistant parmi les économistes quant à la capacité du projet de Loi de finances 2026 à répondre aux défis économiques du pays, dans un contexte marqué par la pression budgétaire et la lenteur des réformes structurelles. Au-delà de leurs divergences d’approche, ces experts s’accordent sur un constat commun : le PLF 2026 manque de lisibilité et de cohérence stratégique, alors qu’il devrait constituer la première étape d’un plan de développement quinquennal censé relancer la croissance et restaurer la confiance. Leur inquiétude est particulièrement vive concernant l’emprunt direct auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui pourrait accentuer la dépendance au financement monétaire et avoir des effets négatifs sur l’inflation. Ces mises en garde témoignent également d’une inquiétude grandissante : sans réformes claires ni cadre macroéconomique solide, la Tunisie risque de s’enfermer dans une logique de financement monétaire et de déséquilibres durables.
I.N