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Gabès sera contagieuse

Par Nizar Bahloul

Gabès étouffe, Gabès pleure ses cancéreux et ses enfants malades, Gabès est remontée contre l’arrestation de ses jeunes, Gabès est en colère contre le mépris du pouvoir central et l’indécence et la goujaterie des partisans du président.

Le sujet a toujours divisé les Gabésiens, puisqu’un grand nombre, parmi eux, travaille au GCT (groupe chimique de Tunisie). Les différents régimes, depuis Bourguiba, ont joué sur ce clivage. Sauf que l’on ne peut plus fermer les yeux : la situation est devenue dramatique. Les Gabésiens, qu’ils soient de la famille GCT ou pas, sont à bout de souffle. Au sens propre comme au figuré.

Comme souvent, la gestion du dossier de Gabès par le régime a été chaotique, anachronique et inefficace.

Quand il y a eu des manifestants au mois de mai, le régime a procédé à des arrestations, tentant d’étouffer dans l’œuf la colère. Il a juste gagné quelques mois.

Bis repetita la semaine dernière : la colère des manifestants a été accueillie par des arrestations, des gaz lacrymogènes et une communication archaïque.

Le complot selon le régime

Dans un premier temps, face à la colère populaire, les propagandistes du régime ont crié au complot pour dire que les manifestants ont été payés par George Soros. Les mêmes qui ont parlé de « barbecue de poissons » quand un drone a attaqué un bateau de la flottille allant vers Gaza.

Accusation infâmante, notamment envers les citoyens malades à cause de la pollution causée par les usines du GCT qui jettent, depuis des décennies, des substances cancérigènes dans la Méditerranée. Faune et flore sont touchées et, maintenant, c’est au tour des citoyens.

C’est moins pire que certains qui tombent dans l’injure la plus vile, à l’instar de Samir Agrebi qui a délaissé son statut d’artiste pour porter le costume d’un goujat.

Pour tout ce beau monde, le problème de Gabès date de plusieurs décennies. S’il remonte maintenant à la surface, c’est juste pour déstabiliser le régime.

Ce qu’ont dit les propagandistes a été relayé par le président de la République lui-même. Vendredi dernier, il a affirmé que des sommes d’argent sont versées de l’étranger pour devenir des haut-parleurs déchaînés.

Il en a été de même pour le porte-parole de la Garde nationale : « Ces jeunes ont reçu des sommes d’argent ou des stupéfiants pour les inciter à participer à des actes de violence », dit-il sans sourciller.

En résumé, le régime, via ses voix officielles et officieuses, minimise la colère populaire et accuse des parties obscures de payer les manifestants pour sortir dans la rue.

Deux hypothèses

À partir de là, on a deux hypothèses. Soit, comme le martèle le régime, les manifestations de Gabès sont un complot ourdi de l’étranger destiné à déstabiliser le régime.

Soit les manifestations sont sincères et reflètent vraiment la colère des Gabésiens qui n’en peuvent plus de cette pollution qui cause maladies et cancers.

Quelle que soit l’hypothèse retenue, les manifestations ne s’arrêteront pas et la colère ne s’estompera pas. Gabès sera contagieuse, d’autres villes seront touchées et on devrait s’attendre à un hiver bien chaud. Janvier — mois traditionnel pour les colères populaires — est dans moins de trois mois.

Voici pourquoi Gabès sera contagieuse.

Si le régime dit vrai…

Dans la première hypothèse, celle du régime, le fait qu’il y ait eu des manifestants payés par on ne sait quelle partie étrangère suppose que cette partie a un objectif : celui de déstabiliser et déloger le régime.

Pourquoi cette partie occulte qui a payé les Gabésiens s’arrêterait-elle en si bon chemin ? Si elle a payé des gens à Gabès, rien ne l’empêche de payer des gens à Gafsa, à Sidi Bouzid, à Zarzis, à Kasserine, et partout là où il y a un terreau favorable à la vindicte populaire.

Parenthèse en passant : le régime a beau défendre cette hypothèse du complot étranger, elle ne tient pas debout. À ce jour, il n’a présenté aucune preuve d’un quelconque paiement et n’a désigné aucun coupable, à l’exception du nonagénaire Soros.

Il n’a pas présenté, non plus, un quelconque manifestant ayant reçu un kopek pour manifester. C’est bien beau de parler de complot et d’argent étranger, mais le régime n’a fourni aucune preuve pour étayer ses dires. À ce jour, aucune preuve, aucun nom, aucun manifestant payé présenté. Le récit du complot tient plus du réflexe de propagande que d’un fait établi.

Le fait est que, même si cette fort improbable hypothèse était juste, le méchant Soros (ou autre conspirationniste) ne s’arrêterait pas à Gabès. Vu le succès des manifs dans cette ville, il serait tenté d’aller payer les jeunes rebelles désargentés d’autres bourgades.

… ou si la colère est légitime

La deuxième hypothèse est des plus simples et bien plus proche du quotidien des riverains.

Il suffit d’interroger le premier Gabésien que vous rencontrez pour qu’il vous dise la colère qui ronge la région depuis très longtemps.

Il suffit d’interroger n’importe quel pêcheur pour qu’il vous dise que le golfe de Gabès est mort et a perdu toutes ses richesses poissonnières légendaires à cause de la pollution.

Il suffit d’aller à Gabès pour sentir l’air nauséabond, observer le smog dense et jaunâtre et voir la surface de la mer mousseuse. Tout cela est à la portée de tout un chacun.

Si cette deuxième hypothèse est la bonne, la colère des Gabésiens ne va pas s’arrêter avec l’écran de fumée lancé par Carthage — celui d’aller chercher une solution en Chine — et encore moins par les arrestations abusives des manifestants, la communication soviétique de la Garde nationale et les injures odieuses des zqafna (partisans haineux de Kaïs Saïed).

C’est même tout le contraire : le comportement du régime ne peut qu’attiser la colère, aussi bien à Gabès qu’ailleurs.

La colère d’un pays tout entier

Dans l’hypothèse 1 (complot), la contagion s’étendra, selon la logique stratégique du comploteur.

Dans l’hypothèse 2 (colère réelle), la contagion s’étendra, selon la logique sociale.

Dans les deux cas, la colère progressera.

Pourquoi ? Parce que chaque Tunisien, digne de ce nom, considère les Gabésiens comme les siens. Les Gabésiens sont nos frères, nos concitoyens, ils sont les nôtres et nous sommes les leurs.

Il n’y a pas que les Gabésiens qui sont en colère : les Gafsois, les Tunisois, les Bizertins, les Sahéliens, les Sfaxiens partagent cette même colère.

Car partout, les citoyens vivent les mêmes symptômes : des hôpitaux à bout de souffle, des salaires qui ne suffisent plus, des libertés étouffées, un pouvoir qui méprise, surveille et accuse.

Ce qui se passe à Gabès n’est pas une exception, c’est un miroir. Gabès n’est pas une ville isolée, c’est la métaphore d’un pays qu’on asphyxie. Une Tunisie qui s’épuise à respirer sous le poids d’un pouvoir qui ne comprend ni la douleur ni la dignité.

Chaque jour, la fracture se creuse entre le peuple et son État ; entre la Tunisie réelle et celle des discours. Et dans ce fossé, Kaïs Saïed s’enferme, persuadé que la ferveur populaire d’hier vaut encore légitimité aujourd’hui.

À force d’invoquer des complots, il finit par fabriquer un ennemi partout où il y a une revendication. À force de vouloir régner seul, il ne règne plus sur rien, sinon sur la peur.

Le mépris du régime pour les Gabésiens n’est qu’un épisode d’une série plus large : celle d’un pouvoir qui ne supporte ni la critique, ni la souffrance, ni la vérité.

Gabès est le premier cri. D’autres suivront. Quand une région se soulève pour respirer, les autres finissent par se lever pour vivre.

Le pouvoir croit pouvoir éteindre un incendie avec des communiqués, des accusations et des gaz lacrymogènes. Mais il oublie que la colère, elle, se nourrit de tout cela.

Gabès est aujourd’hui le symbole d’un peuple qu’on ne trompe plus avec des slogans.

Et si le président persiste à voir dans chaque protestation un complot, alors qu’il regarde dans un miroir : le seul complot contre la Tunisie, c’est son entêtement.

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3 commentaires

  1. Sousse.Tunisie

    20 octobre 2025 | 16h55

    Mr NIZAR bahloul la majorité du peuple tunisien ne suivra jamais vos conseils, nous ne sommes pas naïfs à ce point, je vous signale que pour la liberté d’expression vous êtes injuste, si je vous dis que vous avez censuré mes commentaires à plusieurs reprises, le 30 décembre 2020 je vous ai envoyé des documents, vous n’avez jamais eu le courage de les publier exactement à 11 heures 23 mn , si vous les publier les islamistes et les traîtres du peuple tunisien auront la diarrhée ainsi que toutes et tous les élus -es de la république tunisienne.
    Je vous demande de les publier sans mettre mon adresse postale

  2. Fares

    20 octobre 2025 | 20h52

    La première hypothèse de Riadh BBQ et ses petits amis ne tient pas la route. Si ces mouvements de protestation étaient financés par des étrangers alors ces fomenteurs de troubles auraient organisé des manifestations dans plusieurs villes de la Tunisie simultanément pour disperser les forces de l’ordre et accélérer la chute du régime putschiste.

    Il y aura contagion, une organisation distribuée à travers les réseaux sociaux est en place. Ces mouvements sociaux sont de plus en plus fréquents et la fin de ce régime est proche. I can’t breathe and Gabesian lives matter!

  3. Hannibal

    21 octobre 2025 | 6h44

    En cas de contagion, la branche répressive du pouvoir réagira probablement. Dans ce cas, il ne faut pas opposer la violence pour gagner en légitimité. Les versions complotistes sont toujours servies à tous ceux qui sont prêts pour les croire et qui sont une minorité. J’espère que des esprits bien éclairés sont entrain de réfléchir à une transition pacifique, démocratique et que les opportunistes seront tenus à distance. La Tunisie mérite le meilleur!