Dans un nouveau moment d’éloquence présidentielle devenu viral, la président de la République, Kaïs Saïed a, une fois encore, mêlé références érudites et message politique. Cette fois, c’est la poésie arabe classique qui s’est invitée dans son discours, au détour d’une tirade aussi lyrique qu’énigmatique.
Le chef de l’État a cité deux vers du poète omeyyade Jarir, tirés de sa célèbre rivalité avec Al-Farazdaq :
« Al-Farazdaq prétend qu’il tuera Murabba‘,
réjouis-toi d’une longue vie, ô Murabba‘ ! »
« Si je posais ma marque sur Al-Farazdaq
et que le forgeron frappait, je couperais le nez d’Al-Akhtal. »
Ces vers, issus des joutes satiriques du VIIᵉ siècle, sont connus pour leur ironie mordante : Jarir s’y moque de son rival, un poète bruyant mais inoffensif, en le traitant de vantard incapable de passer à l’action. Autrement dit : beaucoup de paroles, peu de faits.
En reprenant ces citations, le chef de l’État semblait vouloir ridiculiser ceux qu’il accuse de « menacer » ou de « comploter » contre l’État, notamment sur les réseaux sociaux. Il a alors évoqué un mystérieux « groupe Z », une allusion à peine voilée à la Génération Z, ces jeunes Tunisiens ultra-connectés qui commentent et détournent en temps réel les discours officiels.
Mais sur Internet, la réplique ne s’est pas fait attendre. En quelques heures, la séquence a enflammé les plateformes.
« Si Jarir et Al-Farazdaq vivaient ici aujourd’hui, ils seraient probablement poursuivis sous le décret 54 », a ironisé un internaute.


« C’est quoi le Farazdaq, un fruit sec peut-être », a ajouté un autre. Ou encore « Parler de gens qui parlent beaucoup sans rien faire, ben voyons » peut-on lire.


L’intention présidentielle — souligner le danger des « groupes » virtuels et des « campagnes orchestrées » en ligne — s’est ainsi retournée contre son auteur. Car, pour beaucoup, le parallèle entre une querelle poétique omeyyade et la jeunesse numérique tunisienne a surtout illustré le fossé générationnel et culturel entre le pouvoir et ceux qu’il prétend mettre en garde.
Ce n’est pas la première fois que le président de la République, Kaïs Saïed émaille ses discours de citations littéraires ou d’expressions pour le moins singulières. En 2021 déjà, sa sortie sur le mot « Zaqafouna », emprunté à un passage de la Lettre du Pardon d’Al-Ma’arri, avait provoqué un même éclat de curiosité et d’ironie sur les réseaux sociaux. La tirade du « groupe Z » s’inscrit donc dans la droite ligne de ces moments présidentiels devenus, malgré eux, viraux — de A à Z.
M.B.Z
Commentaire
HatemC
Kaïs Saïed : un président érudit, mais déconnecté ?
Un président qui parle souvent comme un professeur d’histoire ou un rhéteur, alors que le pays attend un chef d’État pragmatique capable de décisions concrètes.
Kaïs Saïed a toujours cultivé un style singulier, un langage puisé dans la littérature arabe classique, des citations érudites, des métaphores d’un autre âge.
Ses discours ressemblent parfois à des leçons de philologie plus qu’à des orientations politiques.
Mais cette éloquence, qui séduisait au début par sa sincérité et sa différence, est devenue un écran de fumée.
Pendant que le pays s’enfonce dans la crise économique et sociale, il parle de “rendez-vous avec l’Histoire”.
Tandis que les institutions se figent, il évoque des “voix rouillées” et des “mercenaires de l’étranger”.
Et quand les citoyens demandent des solutions, il répond par des paraboles.
Cette posture “mystique” ou “moralisante” peut impressionner les crétins et les faibles d’esprit, mais elle fatigue une opinion publique en quête de clarté, d’action et de résultats.
Kaïs Saïed n’est pas dépourvu de culture ni de convictions, mais il gouverne davantage par le symbole et la parole que par la stratégie et le résultat … HC