Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

Blocage des virements étrangers : les PME au cœur d’un contrôle aveugle

Service IA, Business News

Par Raouf Ben Hédi

Sous prétexte de traquer le blanchiment, les banques bloquent désormais tous les virements étrangers, parfois de quelques centaines d’euros. Les PME, déjà étranglées par la bureaucratie et la conjoncture économique morose, deviennent les premières victimes d’un zèle administratif absurde, né d’une consigne présidentielle mal comprise.

Depuis quelques jours, les banques tunisiennes bloquent systématiquement tous les virements étrangers. Qu’il s’agisse d’un particulier recevant 200 euros de l’étranger ou d’une start-up encaissant 1.000 euros de son client européen, chaque transaction est désormais mise en quarantaine.

Les clients sont appelés, sommés de justifier le moindre millime, d’envoyer des documents, des factures, des copies de contrats ou des échanges de mails. Pour les plus chanceux, la procédure prend un minimum de 48 heures. Pour d’autres, elle s’éternise une semaine, parfois davantage.

« On m’a demandé de prouver que le virement de 280 euros venait bien d’un client et non d’un cousin », raconte Sofien, développeur freelance installé à La Marsa. « J’ai dû envoyer la capture d’écran de mon compte Upwork, la conversation avec le client et la facture, tout ça pour débloquer un paiement ridicule. Et comme si tout cela ne suffisait pas, les prélèvements bancaires sont onéreux. Ils prélèvent directement du compte cinquante dinars HT, juste pour passer le virement étranger »

Une autre entrepreneuse, Leïla, à la tête d’une petite société d’artisanat exportant vers l’Allemagne, s’est vue réclamer la justification d’un virement de 320 euros. « La banque m’a appelée trois fois pour que je leur donne la facture de vente. J’ai fini par leur dire : gardez-le, votre argent, je n’en veux plus ! »

Un cauchemar bureaucratique pour les petites structures

Ces nouvelles procédures, imposées à la suite d’une directive de la Banque centrale de Tunisie (BCT), plongent les PME dans un véritable casse-tête.

Les grandes entreprises disposent de services de comptabilité (facturation, recouvrement…) et de conformité, capables de gérer ces tracasseries. Mais pour une petite boîte de cinq salariés, chaque justificatif devient un dossier à part entière, chaque virement, une journée de perdue.

Les conséquences ne sont pas que psychologiques : retards de paiement, tensions de trésorerie, perte de clients étrangers agacés par la lenteur des transferts.

« Nos partenaires commencent à se lasser, explique un entrepreneur du numérique. Quand ils voient qu’il faut une semaine pour transférer 500 euros, ils préfèrent traiter avec le Maroc ou l’Égypte sans oublier l’Inde qui rafle l’essentiel du marché »

L’ANPME tire la sonnette d’alarme

Dans un communiqué publié mercredi 22 octobre, l’Association nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME) dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : la BCT étouffe la croissance par excès de zèle.

Tout en saluant les efforts de la Banque centrale pour maintenir la stabilité monétaire, l’association dénonce des « entraves administratives » qui compliquent la réception des paiements issus d’activités d’exportation, notamment dans le secteur des services numériques.

Elle appelle à simplifier les procédures, numériser les transactions et réviser le Code des changes, devenu obsolète.

Et d’ajouter, dans une formule qui résonne comme un cri du cœur : « La Tunisie a besoin de chaque dinar et de chaque initiative : simplifions la vie à ceux qui génèrent de la valeur. »

Une phrase que beaucoup de PME aimeraient graver sur la porte de la Banque centrale.

À l’origine du blocage, un réflexe de suspicion

Il serait cependant injuste d’accuser la Banque centrale de Tunisie d’avoir, de son propre chef, plongé le pays dans cette apnée administrative.

La BCT n’a fait qu’exécuter — avec la prudence et la rigueur qu’on lui connaît — les injonctions présidentielles. Le malheur ne vient pas totalement d’elle, mais de Carthage, où la méfiance a été érigée en méthode de gouvernance.

Tout a commencé le 6 octobre dernier, lorsque Kaïs Saïed a convoqué le gouverneur Fethi Zouhair Ennouri pour, une fois de plus, dénoncer l’inaction supposée de la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) dans la lutte contre le blanchiment.

Le président, convaincu que des « sommes colossales transitent sous couvert d’obscurité », a exigé une vigilance totale. Résultat : la Banque centrale, prise au mot, a décidé de surveiller tout le monde. Même les honnêtes.

Ce qui devait être un contrôle ciblé s’est transformé en surveillance de masse.

Plutôt que de traquer les blanchisseurs, on suspecte désormais les graphistes, les artisans, les développeurs et les traducteurs.

Autrement dit : à cause d’une poignée de fraudeurs, des dizaines de milliers de PME sont traitées comme des délinquants financiers.

La banque transformée en commissariat

Cette politique absurde transforme les banques en commissariats économiques. Les agents bancaires, jadis chargés d’accompagner les clients, se retrouvent à jouer les inspecteurs de police.

Ils doivent désormais appeler, collecter, vérifier, classer, archiver.

« On ne fait plus de banque, on fait de la police », soupire un chef d’agence d’une grande banque de la place.

Ce zèle imposé ne profite à personne :

  • Aux entreprises, il coûte du temps et de la confiance.
  • Aux banques, il coûte du personnel et de l’argent.
  • À l’État, il coûte de la crédibilité.

Car ailleurs dans le monde, les virements se font en quelques secondes sur smartphone, sans paperasse, sans suspicion, sans que le client soit traité comme un potentiel trafiquant. En Tunisie, il faut une autorisation, un justificatif, et parfois une prière.

Quand la suspicion devient une politique économique

Ce n’est pas la première fois que le pouvoir confond vigilance et paranoïa.

Depuis des mois, Kaïs Saïed multiplie les diatribes contre la Ctaf, sans jamais comprendre que son rôle n’est pas d’inspecter chaque transfert.

La BCT, fragilisée par un conseil d’administration paralysé, applique à la lettre des consignes politiques floues. Résultat : une suspicion généralisée érigée en politique économique.

La Tunisie prétend vouloir attirer des investisseurs, mais décourage ses propres exportateurs.

Elle veut des devises, mais complique leur entrée.

Elle célèbre les jeunes entrepreneurs, tout en les obligeant à justifier chaque euro.

Une stratégie brillante, si le but est de vider le pays de ses talents.

Quand tout le monde paie la facture

Le comble ? Ce contrôle généralisé va coûter cher. Les banques doivent recruter du personnel supplémentaire pour gérer les nouvelles procédures. Et qui va payer ces salaires ? Les clients, bien sûr, à travers les frais de dossier et les commissions.

Au final, les entreprises paient deux fois : d’abord en temps perdu, ensuite en argent.

Et tout cela, pour donner l’illusion d’une lutte acharnée contre des « flux suspects » que personne ne voit, sauf à Carthage.

Pendant que les concurrents régionaux numérisent, automatisent et libèrent les transactions, la Tunisie choisit la voie inverse : celle du soupçon permanent.

Dans ce pays, un virement devient un dossier, un client devient un suspect, une banque devient un poste de police.

Le plus ironique, c’est que cette bureaucratie n’arrête pas les vrais fraudeurs, notamment ceux du commerce informel. Elle ne fait que punir les honnêtes. Bon à rappeler, des centaines de milliers d’euros et de dollars sont échangés tous les jours dans le commerce informel que ce soit à Ben Guerdane ou à Bab Bhar à Tunis.

Et pendant que les entrepreneurs perdent leur temps à prouver qu’ils sont propres, le pays, lui, s’enfonce dans la méfiance et la stagnation.

Les suspects, ce ne sont pas les PME

Les PME tunisiennes n’ont pas besoin de compassion, mais de confiance.

Elles sont celles qui créent de l’emploi, exportent, rapportent des devises et soutiennent l’économie réelle. Elles représentent plus de 90% du tissu économique tunisien.

En les plaçant sous surveillance permanente, l’État tire sur ses propres jambes.

Le vrai blanchiment, aujourd’hui, c’est celui de l’énergie et du courage des entrepreneurs — dissous lentement dans les eaux tièdes de la bureaucratie.

Et à ce rythme, il ne restera bientôt plus rien à laver.

Raouf Ben Hédi

 

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers

Commentaire

  1. 1/3i

    24 octobre 2025 | 11h40

    La BCT.. banque contre tous ..
    Bientôt 3 mois que j’ai demandé mon renouvellement de chéquier…

    La BCT bé répond pas à ma banque…
    Conséquences.. je n’achète plus rien en Tunisie…