Par Sadok Rouai*
Ne voulant pas manquer la vague de populisme qui caractérise aujourd’hui la gestion économique en Tunisie, la BCT vient d’informer les banques qu’elles doivent désormais appliquer, aux prêts accordés aux sociétés communautaires, un taux d’intérêt préférentiel équivalant au taux du marché monétaire (TMM) majoré d’une marge maximale de 1 %.[1]
Ce traitement préférentiel s’ajoute à la longue série d’avantages financiers, fiscaux et fonciers déjà consentis à ces sociétés. Le fait que ces privilèges aient été instaurés de manière successive montre que les difficultés de ces sociétés trouvent leur origine dans des causes plus profondes. La multiplication des traitements de faveur entretient l’illusion d’un soutien efficace et contribue en fait à en accentuer les faiblesses structurelles de ce modèle de développement.
Quand la Banque centrale rejoue les erreurs du passé
La participation de la BCT à cette politique constitue une décision regrettable, car elle ne tient pas compte de sa propre expérience, des leçons tirées du passé et des réformes déjà entreprises pour y remédier. En effet, jusqu’au début des années 1980, la distribution du crédit par les banques était soumise à l’autorisation préalable de la Banque centrale. Celle-ci fixait les taux d’intérêt débiteurs et créditeurs à appliquer et déterminait les secteurs ainsi que les activités bénéficiant de conditions préférentielles. Cette approche était d’ailleurs la norme dans la plupart des pays en développement à l’époque.
Avec le temps, la BCT a pris conscience des limites de ce système et a engagé une série de réformes destinées à moderniser et à responsabiliser le secteur bancaire, à libéraliser la distribution du crédit et la fixation des conditions bancaires. Dans le même esprit, le Trésor public avait pris en charge la bonification des taux d’intérêt pour certaines activités jugées prioritaires ou présentant un caractère social ou régional.
Le retour de la Banque centrale à une politique de crédit dirigiste n’est plus d’époque. Il apparaît même contraire aux dispositions de l’article 42 de ses statuts, qui stipulent que les circulaires émises doivent être conformes aux standards internationaux en vigueur. L’expérience de la Banque centrale elle-même a démontré que l’octroi de conditions préférentielles à un secteur particulier conduit inévitablement les banques à répercuter le coût du risque sur les petites et moyenne entreprises, dont le pouvoir de négociation est limité, contribuant ainsi à maintenir le coût du crédit à un niveau élevé.
Un dirigisme économique aux effets boomerang
En 2020, la BCT avait initié un financement direct du Trésor pour faire face à des dépenses urgentes liées à la pandémie de Covid-19. Malheureusement, ce mécanisme exceptionnel s’est progressivement transformé en une source régulière de financement du Trésor : d’abord pour couvrir une partie du déficit budgétaire en 2024 et 2025, puis pour en assurer la totalité en 2026.
La dernière décision de la BCT ouvre ainsi une nouvelle boîte de Pandore. Il est légitime de se demander si, à l’avenir, l’institution n’interviendra pas, suivant la même logique, pour accorder des conditions préférentielles similaires à d’autres bénéficiaires potentiels — tels que les petites et moyennes entreprises, les jeunes diplômés qui lancent des start-ups, ou encore les investisseurs privés désireux de développer des projets dans les régions défavorisées.
La Tunisie, qui s’engage dans un nouveau plan de développement, n’a aucun intérêt à perpétuer la mentalité d’assistance publique ni à répéter les expériences malheureuses du passé.
[1] BCT – Circulaire aux banques n°2025-14 du 4 novembre 2025 – Fixation des taux d’intérêt préférentiels appliqués aux prêts accordés sur les ressources propres des banques au profit des sociétés communautaires
*Ancien haut cadre de la BCT et ancien conseiller auprès du conseil d’administration du FM










