À 34 ans, Zohran Mamdani est devenu le plus jeune maire de New York depuis un siècle, premier musulman et premier socialiste à diriger la capitale financière du monde. Sa victoire a été saluée à Tunis par les partisans du régime, qui y voient un symbole flatteur. Mais cet engouement révèle une autre réalité : celle d’un pays prompt à célébrer la diversité à l’étranger tout en la rejetant chez lui.
L’élection de Zohran Mamdani, mardi dernier, restera comme l’un des tournants politiques majeurs de la décennie américaine. Candidat démocrate socialiste, musulman, né en Ouganda, élevé en Afrique du Sud avant de s’installer enfant à New York, il a conquis la mairie de la métropole avec 50,4 % des voix, devançant largement Andrew Cuomo, ancien gouverneur et poids lourd du Parti démocrate.
Son discours, axé sur la justice sociale, le coût de la vie et la lutte contre les inégalités, a séduit une génération lassée des élites. Il a promis de geler les loyers, de rendre les transports gratuits et de taxer les plus riches. Une campagne de terrain, soutenue par des milliers de bénévoles, et marquée par un ton direct, proche des gens, loin des codes policés de la politique new-yorkaise.
Donald Trump, fidèle à lui-même, a tenté d’enrayer la vague en qualifiant Mamdani de communiste et en menaçant de couper les fonds fédéraux à la ville si ce dernier était élu.
Mercredi, au lendemain de la victoire, le président américain a dit qu’il « allait s’occuper » de New York puisque cette victoire porte atteinte à la « souveraineté » du pays, d’après lui. « Nous avons perdu un peu de souveraineté hier soir à New York mais nous allons nous en occuper, ne vous inquiétez pas ».
Les New-Yorkais n’en ont eu cure. Ils ont préféré tourner la page des scandales et du cynisme politique.
L’ombre bien commode de Soros
Dès la victoire connue, Alex Soros, président du conseil d’administration de l’Open Society Foundations, a félicité publiquement le nouveau maire : « Tellement fier d’être New-Yorkais ! Le rêve américain continue ! ».
Ce message, relayé par Fox News, a aussitôt enflammé les commentateurs conservateurs, qui ont rappelé que sur dix ans, les fondations Soros avaient injecté 37 millions de dollars dans des associations progressistes ayant soutenu Mamdani, d’après The New York Post.
Aucune trace de financement direct, mais un réseau militant bien huilé.
Aux États-Unis, ce débat appartient à la vie démocratique. À Tunis, il nourrit la propagande.
Les zqafna en transe
À peine la victoire de Zohran Mamdani annoncée, une partie du microcosme tunisien s’est enflammée. Les Zqafna — partisans bruyants du régime et champions de la récupération idéologique — se sont mis à célébrer, mardi, avec un enthousiasme presque religieux et niais, l’accession d’un musulman à la tête de New York.
« Un musulman dirige la capitale du monde libre ! », écrivaient certains sur Facebook, comme s’il s’agissait d’une revanche civilisationnelle. D’autres, plus exaltés, allaient jusqu’à proclamer : « C’est la preuve que l’islam triomphe même en Amérique ! ».
Le problème n’est pas la joie, mais l’ignorance crasse qui la sous-tend. Ces mêmes personnes qui saluent la victoire d’un musulman à Manhattan sont celles qui, à Tunis, s’indignent à la vue d’un migrant subsaharien, fustigent les ONG « financées par l’étranger », ou réclament l’exclusion des binationaux de la vie politique et applaudissent les lois les plus réactionnaires.
Chaque jour, les Zqafna inondent les réseaux sociaux de louanges à leur président, Kaïs Saïed, qu’ils vénèrent comme un redresseur moral de la nation. Ils oublient que c’est ce même président qui, dans sa Constitution rédigée seul, a introduit une disposition inédite dans l’histoire de la Tunisie : l’interdiction faite aux binationaux de se présenter aux élections législatives. Une première nationale, en totale contradiction avec les principes qu’ils prétendent défendre.
Sous une publication montrant Mamdani brandissant le drapeau de New York, un internaute commente : « C’est un héros ! Qu’il vienne sauver la Tunisie maintenant ! »
Quelques semaines plus tôt, le même internaute partage un appel à « chasser les migrants africains avant qu’ils ne changent la composition démographique du pays ».
La contradiction est totale. Le réflexe pavlovien des Zqafna (mais pas seulement) est de s’approprier ce qu’ils ne comprennent pas, d’applaudir à distance des valeurs qu’ils refusent d’appliquer chez eux. Leur exaltation dit moins l’amour du progrès que la misère intellectuelle d’une société en mal de repères, qui confond victoire symbolique et revanche identitaire.
Le miroir cruel d’une société fermée
Le journaliste Haythem El Mekki l’a exprimé avec une justesse désarmante. Il rappelle que les mots prononcés par Zohran Mamdani le soir de sa victoire — « New York restera une ville de migrants, bâtie par des migrants, soutenue par des migrants, et désormais dirigée par un migrant » —, en Tunisie, lui auraient valu vingt ans de prison.
« Dans notre pays, écrit-il, ces deux phrases suffiraient pour être accusé de complot, de tentative de renverser le régime et de recevoir des fonds étrangers. »

M. El Mekki souligne cette hypocrisie collective : un peuple qui admire la liberté ailleurs, mais qui la craint dès qu’elle frappe à sa porte. Il raille aussi la diabolisation de George Soros, devenu dans l’imaginaire des Zqafna une figure démoniaque manipulant le monde depuis l’ombre.
« Dans notre pays, poursuit-il, si une association est financée par une fondation liée à Soros, elle est aussitôt qualifiée de repaire de traîtres et d’espions. Pourtant, c’est ce même Soros qui a, indirectement, permis l’émergence de Mamdani », écrit-il.
Le blogueur Mehrez Belhassen, dans un ton plus mordant, renchérit :
« Les Zqafna qui se réjouissent de Mamdani feraient bien de se renseigner. L’homme qu’ils acclament défile avec les militants LGBTQ+, défend les migrants africains et prône la tolérance religieuse. Donnez-leur ces informations, laissez-les digérer… et dans un quart d’heure, ils demanderont au parquet de s’autosaisir pour outrage à la morale publique internationale. »

Les deux analyses, l’une grave, l’autre ironique, se rejoignent : elles mettent à nu le double discours d’une société qui revendique la dignité tout en cultivant le mépris de l’autre.
La Tunisie se réjouit qu’un musulman gouverne New York, mais elle ne tolère pas qu’un migrant, un juif ou un binational puisse prétendre ici au moindre poste de responsabilité.
C’est tout le drame d’un pays qui célèbre les symboles d’ouverture, tout en érigeant des murs autour de lui.
Le même discours qu’à l’Ouest on nomme ouverture, ici s’appelle trahison.
“Skizophrénia” tunisienne
Mais c’est le juge près la cour d’appel Omar Weslati, membre du Conseil national de la Presse et président d’une association de bienfaisance, qui a livré l’une des analyses les plus profondes et les plus lucides sur cette étrange euphorie tunisienne. Dans un texte intitulé « La schizophrénie de la joie et de la colère », il démonte méthodiquement le double discours qui traverse la société : ceux qui applaudissent aujourd’hui un migrant musulman devenu maire à New York sont souvent les mêmes qui, hier, dénonçaient les migrants africains comme une menace pour l’identité nationale.

M. Weslati relève aussi l’ironie d’une élite politique et idéologique qui conspue l’islamisme chez elle mais se félicite qu’un musulman progressiste triomphe à l’étranger, à condition qu’il reste loin. Il montre comment la distance géographique permet d’absoudre toutes les contradictions : plus le symbole est éloigné, plus il devient acceptable.
Son texte dépasse la simple satire. Il trace une ligne de fracture morale : là-bas, dit-il, la politique s’incarne dans le travail et la responsabilité, tandis qu’ici, elle se résume à la dévotion, au clan et au réflexe identitaire. Là-bas, on récompense celui qui sert la cité ; ici, on applaudit celui qui flatte les croyances.
Ce que M. Weslati met en lumière, c’est l’incapacité du pays à se regarder en face. En Tunisie, la réussite d’un homme comme Mamdani n’inspire pas une réflexion sur la tolérance ou la méritocratie : elle nourrit au contraire un fantasme de revanche culturelle.
La joie que suscite sa victoire n’est pas celle de l’ouverture, mais celle d’un peuple qui se projette dans un miroir déformant, admirant chez les autres ce qu’il s’interdit à lui-même.
Sous le feu de New York, les ombres de Tunis
Le succès de Mamdani agit comme un miroir. Il renvoie la Tunisie à ses démons : la peur de l’altérité, l’exclusion des binationaux, la diabolisation des ONG, l’hypocrisie morale d’un régime qui s’indigne de l’Occident mais reproduit ses travers les plus sombres.
Là-bas, un jeune musulman de 34 ans devient maire de New York en prônant la justice sociale et la diversité.
Ici, des dizaines de Tunisiens sont en prison pour de simples mots, de simples opinions dérangeantes pour le régime. Ça va de « Heyla Lebled » de Sonia Dahmani au geste métaphorique d’Ahmed Souab en passant par les opposants qu’on accuse de comploter contre l’État.
Sous les néons de Manhattan, c’est la vitalité d’une démocratie qu’on a vue triompher.
Sous les néons de Tunis, c’est la peur de cette liberté qu’on préfère célébrer… de loin.
Maya Bouallégui











4 commentaires
Hannibal
Arrêtons de commenter les réflexions et les posts des zqafna au niveau intellectuel proche du zéro!
Le rêve américain permet à un « migrant » (tous les Américains sont des migrants sauf les Amérindiens) d’être maire de NYC et le cauchemar tunisien permet de… Euhh… Rien du tout en fait.
Fares
C’était une belle soirée. J’avais peur mardi dernier qu’on allait encaissé une autre déception et que les billionnaires et sionistes new Yorkais allaient placer un des leurs à la tête de New York. La volonté des New yorkais était plus forte que les millions investis par ces riches pour barrer la route à Mamdani.
Le discours du nouveau maire n’est point clivant ou ethnique. Il se veut inclusif. Il est contre Israël comme beaucoup d’ entre nous et ce pour des raisons humanitaires et non pas pour des raisons ethniques. Cet État a commis et continue à commettre des crimes contre l’humanité.
En revanche, combattre Israël ou bâtir une mosquée à Times Square ne ferait pas partie des plans de Zohran pour New York.
Les Zaqafna sont beaucoup plus cons qu’ils ont en l’air. Je suis surpris d’apprendre qu’ils jubilent à l’élection de Mamdani. Et s’ils réfléchissent un peu sur la défaite cuisante du tyran Trump que l’on considerait comme imbattable il y a à peine quelques jours? D’autres rois voyous et leurs sbires subiront le même sort que Trump et ça ne sera pas par les urnes. Donc aux bêleurs du putschiste je dis « ne vous réjouissez pas trop هم السابقون و انتم الاحقون ».
HatemC
Les » intouchables » de la République tunisienne
Je veux mettre le doigt sur un point aveugle de l’article : il met à nu l’hypocrisie culturelle et morale, mais n’explore pas ses racines politiques et institutionnelles, notamment la LOI ELECTORALE qui formalise cette exclusion dans le droit tunisien.
Comment peut-on applaudir la victoire d’un migrant musulman en Amérique,
alors que la LOI ELECTORLAE TUNISIENNE EXCLUT LES BINATIONAUX & LES NON-MUSULMANS du droit de se présenter aux élections ?
La Tunisie célèbre à l’étranger ce qu’elle interdit chez elle ?????
La Tunisie s’enthousiasme qu’un musulman, Zohran Mamdani, devienne maire de New York.
Mais cette joie révèle une hypocrisie profonde ? célébrer la diversité ailleurs, tout en la rejetant ici.
Qui est le plus RACISTE alors — les TRUMPISTES qui agitent la peur de l’étranger,
ou les Tunisiens qui INSTITUTIONNALISENT LA DISCRIMINATION au sein même de leur Constitution ?
Un pays qui DIVISE ses citoyens entre “bons musulmans” et “mauvais Tunisiens” —
ceux dont la foi, l’origine ou la double appartenance les rendent suspects ?????
Et pourtant, c’est ce même pays qui s’émerveille qu’un musulman puisse gouverner la capitale du monde libre.
Elle célèbre la diversité, mais la redoute dès qu’elle frappe à sa porte.
Me voilà moi Binationale banni dans mon propre pays, la République tunisienne fabrique sa propre caste :
» LES INTOUCHABLES » ( très peu comprendront ce jeu de mot ) de la citoyenneté….
La Tunisie qui institutionnalise la ségrégation politique au nom de la pureté nationale … c’est un pas vers surement plus abjecte … HC
Gg
« Le réflexe pavlovien des Zqafna (mais pas seulement) est de s’approprier ce qu’ils ne comprennent pas, d’applaudir à distance des valeurs qu’ils refusent d’appliquer chez eux »
Ô combien !
Mais il ne faut pas se leurrer: Mamdani a été élu sur son programme social, pas sur sa religion.
Les fous d’Allah déchanteront vite s’il ne réalise pas son programme…
Et n’oublions pas que les juifs sont une composante majeure de la société newyorkaise. Si Mamdani prend position contre Israël, il va vite dégager…