Heure de Tunis :
Plus de prévisions: Meteo 25 jours Paris
Light
Dark

L’affaire Amel Limam : quand la mairie de La Goulette croise l’empire Maher Chaâbane

Service IA, Business News

Par Maya Bouallégui

Élue en 2018 sous la bannière de Nidaa Tounes, en prison depuis juin 2024, Amel Limam est renvoyée devant la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière. L’enquête, née dans le sillage du dossier Maher Chaâbane, met au jour un enchevêtrement d’intérêts entre pouvoir local, privilèges administratifs et empire privé d’un magnat sulfureux.

L’ancienne maire de La Goulette, Amel Limam, a été mise en examen la semaine dernière et renvoyée devant la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière.

Cette décision de la Cour d’appel de Tunis clôt plusieurs mois d’investigations menées par le Pôle judiciaire économique et financier sur des soupçons d’irrégularités administratives et de favoritisme au profit de l’homme d’affaires Maher Chaâbane.

Les faits remontent à juin 2024, lorsque la police judiciaire de Gorjani, agissant sous mandat du parquet, avait placé Amel Limam en garde à vue pour des soupçons d’abus de fonction. Sa détention avait été prolongée, avant qu’un mandat de dépôt ne soit émis le 8 juin par le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis.

Les accusations portées contre l’ex-élue sont lourdes : abus de fonction, corruption passive, acceptation de dons et avantages indus, le tout au détriment de l’administration publique. Ces faits s’inscrivent dans le cadre d’une vaste affaire mêlant La Goulette et Le Kram, deux municipalités mitoyennes désormais scrutées pour leurs pratiques de gestion.

Des chefs d’accusation multiples et précis

L’acte d’accusation, confirmé la fin de la semaine dernière par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis, cite plusieurs articles du Code pénal tunisien, notamment l’article 96 qui sanctionne l’abus de fonction par un agent public pour obtenir un avantage indu ou causer un préjudice à l’administration.

Les articles 83 et 87bis sont également cités dans l’affaire Limam. Ils répriment l’acceptation de dons, promesses ou avantages pour accomplir des actes contraires à la loi ou pour accorder des privilèges injustifiés à des tiers.

Selon le dossier transmis au tribunal, Amel Limam aurait usé de ses prérogatives municipales pour accorder des facilités administratives irrégulières à des acteurs économiques proches du pouvoir, notamment l’homme d’affaires Maher Chaâbane, figure centrale de cette enquête.

La Goulette, point névralgique d’un empire économique

Le nom de Maher Chaâbane, aujourd’hui détenu pour corruption, blanchiment d’argent et falsification de documents, revient à chaque étape de la procédure.

Son empire s’étend dans plusieurs villes tunisiennes. Aux Berges du Lac 2, une zone rattachée administrativement à la municipalité de La Goulette, il détient plusieurs projets d’envergure : l’hôtel Avani, la clinique Myron et surtout la société qui exploite la fourrière des Berges du Lac 2, un service public attribué sous l’autorité d’Amel Limam.

Ce marché, particulièrement lucratif, est aujourd’hui au cœur des soupçons : les enquêtes évoquent des conditions d’attribution non conformes et des abus répétés ayant provoqué des dizaines de plaintes de citoyens.

Une affaire à la croisée du politique et du financier

L’histoire d’Amel Limam et ses relations avec Maher Chaâbane ne peuvent être dissociée de son parcours politique. Élue en juillet 2018 sur les listes du parti Nidaa Tounes, elle symbolisait à l’époque la conquête municipale d’un parti alors dominant.

Or, Maher Chaâbane fut lui aussi proche de Nidaa Tounes, soutenant financièrement plusieurs de ses figures régionales et se présentant lui-même, sans succès, sous ses couleurs aux législatives de 2019.

La collusion entre sphère politique et monde des affaires se dessine en filigrane du dossier : une chaîne d’intérêts convergents, où les faveurs municipales servaient les ambitions d’un empire à la réputation sulfureuse.

Entre La Goulette et les Berges du Lac, la frontière est mince en effet, surtout quand les marchés publics deviennent des affaires privées

De l’instruction à la chambre criminelle

Après les quatorze mois d’enquête et de confrontations, le juge d’instruction a transmis le dossier à la chambre d’accusation. Il a refusé entre-temps toutes les demandes de libération provisoire de Mme Limam, mais également celles de M. Chaâbane. Après examen du dossier, la chambre a validé le travail du juge et a décidé à la fin de la semaine dernière de le transmettre devant la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière.

Ce passage marque une étape décisive : le dossier quitte désormais le champ de l’enquête pour entrer dans celui du jugement au fond. Le procès devrait être tenu dans les prochaines semaines et le juge devrait être celui-là même qui a présidé les procès de complot contre l’État 1 et 2.

Les charges, retenues par le ministère public et confirmées ensuite par le juge d’instruction et la chambre d’accusation, reposent sur des preuves matérielles et des échanges administratifs impliquant plusieurs agents municipaux et des transferts financiers jugés suspects.

Les avocats de Mme Limam et de M. Chaâbane ont choisi de maintenir le silence évitant toute médiatisation de l’affaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que peu de détails ont fuité du dossier et on ignore, à ce jour, quels sont les montants, les avantages et les intérêts qu’aurait perçus Amel Limam de Maher Chaâbane.

Une affaire emblématique

L’affaire Amel Limam illustre les failles du système municipal tunisien, où la proximité entre autorités locales et intérêts économiques a souvent brouillé la frontière entre service public et service d’intérêts privés.

Son renvoi devant la justice marque la volonté du Pôle économique et financier de poursuivre les responsables au plus haut niveau, quels que soient leur parti ou leur réseau d’influence.

Ce procès dira enfin si la corruption municipale relève d’actes isolés… ou d’un système bien huilé qui touche plusieurs municipalités.

Maya Bouallégui

Subscribe to Our Newsletter

Keep in touch with our news & offers