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Groupe chimique : n’est-ce pas toute la Tunisie qui étouffe ?

Par Hamdi Nabli

Par Hamdi Nabli *

La question de la grogne populaire qui agite la Tunisie d’une manière générale, et les habitants de Gabès en particulier, est cruciale. Effectivement, derrière le sujet environnemental posé par les usines du Groupe Chimique Tunisien, il s’agit d’une problématique relative à la situation générale du pays, qui rend compte d’un air vicié à un niveau aussi bien écologique que sociopolitique et économique.

Un malaise national derrière la colère de Gabès

La Tunisie traverse actuellement une période historique de transitions douloureuses, une transition politique plutôt floue, puisque nous ne savons plus très bien où en est la Tunisie politiquement parlant, en termes de régime politique, de système politique, de type de gouvernement. Nous ne savons plus, non plus, où se situe exactement la Tunisie d’un point de vue économique, puisque d’une part, il existe des chiffres macroéconomiques plutôt alarmants et que d’autre part, l’économie tunisienne semble avoir des atouts objectifs qui laissent poindre un horizon plutôt optimiste.

Cette affaire relative à la révolte populaire de la population de Gabès par rapport au gaz émis par les usines du GCT est une question qui met en exergue cette indétermination de la situation politico-économique tunisienne. Le pouvoir tunisien, regroupant non seulement le pouvoir exécutif mais aussi les élites tunisiennes, sont soucieuses de faire en sorte que le pays soit porté par une forte croissance économique et un grand développement social. Or, dans l’idéologie économique orthodoxe néolibérale, qui est celle partagée par la plupart des puissances du monde, cette croissance et ce développement passent par l’adéquation des petits pays à leur position périphérique dans l’ordre économique mondial. Cette position fait que la Tunisie semble être obligée de faire passer la question écologique et environnementale au deuxième, voire même au troisième plan. C’est le sort, effectivement, réservé aux petites puissances qui n’ont d’autre choix que d’exploiter directement leurs ressources naturelles à tout prix, et en rejetant les questionnements non économiques à cause du souci de la performance commerciale. Du coup, le pouvoir politico-économique tunisien se trouve pris au piège par sa propre ‘‘volonté de puissance’’, dans la mesure où il est pris à la gorge par ce positionnement périphérique de l’économie et ne sait pas comment faire pour s’en dépêtrer.

Gabès, métaphore d’un pays qui étouffe

Cette question du gaz chimique est extrêmement importante également dans la mesure où elle concerne directement les conditions de vie des Tunisiens. Il ne s’agit pas ici de problématiques liées au confort ou aux conditions de travail, mais d’une problématique tout simplement vitale. À travers ce point concernant des émanations de gaz funestes, se trouve ainsi portée le thème de la survie en Tunisie. En effet, lorsque l’on écoute les jeunes Tunisiens désœuvrés qui n’ont qu’une seule envie – partir de leur pays – on constate qu’ils ont tous l’impression d’étouffer en Tunisie. Ils étouffent ; ils n’arrivent pas à respirer. Pas forcément parce qu’il existe des usines de transformation du phosphate dans chaque région tunisienne, mais parce que l’horizon leur semble être totalement bouché. Et du coup, il y a une espèce de homothétie, d’analogie ou de métaphore que l’on pourrait faire à partir de ce cas précis relatif à cette région particulière, Gabès, par rapport à l’état d’esprit général des citoyens tunisiens. Ils ont tous, au nord comme au sud et à l’est comme à l’ouest, la sensation d’étouffer, la sensation de ne pas pouvoir être libre, la sensation de ne pas pouvoir s’émanciper par le chemin économique et social, la sensation que de multiples freins, qu’ils soient politiques, économiques, réglementaires ou administratifs, bureaucratiques, les empêchent d’agir, d’entreprendre, voire même, dans ce cas précis, de vivre. Ainsi, nous comprenons mieux la raison pour laquelle ce drame que vivent les habitants de Gabès ait provoqué un tel sentiment national de réprobation à l’égard des pouvoirs qui ont toujours, en Tunisie, privilégié la production, la productivité et la croissance au mépris de la vie des habitants.

Un État pris en tenaille entre croissance et survie

Ce sentiment d’abandon que ressentent les habitants de Gabès est celui que ressent toute la population tunisienne vis-à-vis des pouvoirs, aussi bien nationaux qu’internationaux. Car peut-être bien que si les Tunisiens souhaitent, pour la plupart d’entre eux, quitter leur propre pays, c’est qu’il ne s’agit que d’une seule chose à la fin : non pas de vouloir devenir riche, ou de fonder un empire, mais tout simplement respirer.

La réaction du pouvoir vis-à-vis de cette affaire est caractéristique d’un Etat pris en tenaille entre la volonté de faire repartir l’économie, ici industrielle, et d’autre part, la nécessité de prendre en compte les considérations essentielles du peuple.

Cette prise en tenaille illustre à merveille les contradictions du système politique établi en Tunisie depuis quelques années maintenant. Il s’agit là d’un système qui semble vouloir mener une transition géostratégique vers l’Est à travers des partenariats commerciaux de plus en plus orientés vers des puissances asiatiques comme la Russie, la Chine ou l’Iran, mais ayant hérité d’un logiciel de pensée provenant des siècles de protectorat français, logiciel typiquement occidental, européen, dix-neuvièmiste, qui place la croissance et la production comme fondements même de tout système social fonctionnel.

Quand l’horizon se bouche, que reste-t-il à respirer ?

En plus d’avoir un air vicié à Gabès, il semble donc que l’horizon soit totalement bouché partout en Tunisie. Quelle solution viable pourra bien proposer le pouvoir face à cette situation, à Gabès comme ailleurs, concernant cette question de l’air ? Si nous prenons au sérieux notre considération anthropologique relative au fait que c’est toute la population tunisienne qui suffoque, alors il ne suffira pas seulement de fermer l’usine. Il faudra également s’interroger sur les tenants et les aboutissants d’une politique tunisienne qui souhaite à tout prix aller de l’avant et accélérer, mais qui n’a pas encore tracé de véritables chemins et qui semble ignorer qu’un mur jouxte ses ambitions les plus gratifiantes au premier abord et que l’enfer écologique est pavé de bonnes intentions politico-économiques.

*Hamdi Nabli – Docteur à la Sorbonne, enseignant universitaire

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Commentaire

  1. zaghouan2040

    7 novembre 2025 | 18h30

    Ce pays est en train d’être détruit de fonds en comble
    Silencieusement de manière rarement spectaculaire
    C’est une arrière cour crasseuse et sordide où se morfondent des millions de pseudo citoyens réduits a l’état de bestiaux promis a l’abattoir
    Un cauchemar a ciel ouvert
    Ce régime massacre le potentiel et les forces vives de la Tunisie
    Il n’y a mauvaise gouvernance il y a absence de gestion de la chose publique
    Deux exemples concrets
    La gestion environnementale est inexistante : aucun véritable programme public de prévention contre la désertification des terres la salinisation et l’assèchement ultra rapides des nappes aquifères la disparition des ressources halieutiques etc n’ est prévu
    La politique de soutien aux PMEs qui constituent le nerf de l’économie tunisienne : rien de sérieux de cohérent stratégiquement
    En vérité ce pouvoir en delinquescence n’a qu’un seul but : survivre
    Fut ce au prix de la destruction du pays