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Jaouhar Ben Mbarek : le corps comme dernier rempart de dignité

Par Mohamed Salah Ben Ammar

Par Mohamed Salah Ben Ammar

Jaouhar Ben Mbarek n’est pas seulement un détenu. Avocat engagé, professeur de droit constitutionnel (un vrai) et militant des droits civiques, il a consacré sa vie à défendre ceux que le système judiciaire écrase. Aujourd’hui, derrière les murs gris de la prison de Belli, son corps s’amenuise jour après jour, mais sa volonté demeure intacte. Sa grève de la faim est devenue l’ultime acte de résistance d’un homme qui refuse de plier face à l’injustice.

Je n’ai jamais rencontré Jaouhar Ben Mbarek et il est même probable que je ne sois pas d’accord avec certaines de ses prises de position dans le passé, mais comment rester indifférent face aux cris de détresse de son père et de sa sœur, filmés dans de courtes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ? Ils racontent ce que la prison tente d’étouffer : la dégradation de son état de santé, son épuisement. Pour lui, la faim est l’ultime langage qu’il a choisi pour que son combat pour la liberté soit entendu.

La faim comme dernier témoignage

Depuis le premier jour, Jaouhar refuse de plaider coupable. Comme des dizaines d’autres prévenus, il dénonce une machination judiciaire : un procès politique conçu pour museler l’opposition. Son exigence est simple et fondamentale : un procès équitable.

Le choix de la grève de la faim totale n’est pas un acte de désespoir, mais un geste de lucidité face à un État où le droit s’efface devant l’arbitraire. Son père le résume avec une lucidité glaçante :

« Il ne veut pas mourir silencieusement. Il veut que le monde voie. »

Chaque nuit, il sent ses forces le quitter un peu plus. Dans sa cellule exiguë, où la lumière pénètre à peine, les bruits de la cour se mêlent aux murmures d’autres détenus, comme un écho des chaînes invisibles qui l’entravent. Le pays détourne souvent le regard ; seuls quelques militants et sa famille continuent le combat. Et c’est toute la Tunisie qui, avec lui, voit son âme s’étioler — lentement, méthodiquement. Il y a des silences plus honteux que d’autres.

« Il ne veut pas mourir silencieusement. Il veut que le monde voie. »

Le déni comme politique d’État

Le Comité général des prisons publie un communiqué niant toute dégradation de l’état de santé de Jaouhar. La défense réplique : mensonge d’État. Ceux qui l’ont visité témoignent : il va très mal. Aucun suivi médical digne de ce nom ne lui a été assuré depuis des semaines, contrairement aux affirmations officielles.

Le communiqué officiel dilue sa situation dans un « groupe de détenus en grève de la faim », comme si la souffrance individuelle pouvait être effacée dans la masse. Mais il y a un nom, un corps, une urgence : Jaouhar Ben Mbarek.

Même derrière les murs, la présomption d’innocence demeure. Les autorités avaient le devoir de protéger son intégrité physique. Elles ont choisi de protéger leur image plutôt que sa vie.

Le vide juridique : arme de l’arbitraire

La Tunisie ne dispose d’aucun cadre légal contraignant pour encadrer la prise en charge des grévistes de la faim. Ce n’est pas une lacune : c’est une stratégie politique. Légiférer reviendrait à reconnaître l’existence de prisonniers politiques et la légitimité de leurs revendications.

Et pourtant, une boussole éthique existe : la conférence annuelle du Comité national d’éthique médicale (CNEM) du 30 novembre 2013 rappelle :

• Le gréviste conscient est souverain dans sa décision ;

• La réalimentation forcée est contraire à l’éthique médicale ;

• Le médecin doit respecter la volonté du patient, même détenu ;

• Toute pression institutionnelle est inadmissible ;

• Le secret médical doit être préservé.

Une prise de position claire. Protectrice. Mais politiquement ignorée. C’est pourquoi le pouvoir l’a réduit au rang d’avis sans portée contraignante.

L’ancrage international de la Tunisie

Le CNEM s’inscrit dans le cadre de standards internationaux ratifiés par la Tunisie :

• Déclaration universelle des droits de l’homme — droit à la vie et interdiction de la torture ;

• Pacte international relatif aux droits civils et politiques — protection contre les traitements inhumains ;

• Règles Nelson Mandela (ONU, 2015) — soins équivalents à ceux de la population libre ;

• Déclaration de Malte (AMM, 2006) — interdiction de la réalimentation forcée des détenus lucides.

Protéger la vie sans violer l’autonomie, garantir la dignité, préserver l’indépendance du médecin : voilà l’éthique médicale universelle que Jaouhar incarne par sa résistance.

Médecins sous pression : dernier rempart éthique

Autour de Jaouhar, la question n’est plus : « Que doit faire le médecin ? » mais : « Que peut-il encore faire ? »

Les médecins sont pris dans un étau :

• Pressions directes : « Pas de complications », « pas d’information à la famille » ;

• Pressions administratives : convocations, menaces voilées ;

• Pressions psychologiques : être tenus responsables d’une mort dont la cause réelle est politique.

Le pouvoir ne veut pas que les médecins soignent. Il leur demande de gérer politiquement la souffrance : maintenir la vie juste assez pour éviter une catastrophe politique. Mais le médecin doit tout mettre en œuvre pour persuader le gréviste de la faim de ne pas se faire du mal et de mettre fin à sa grève. Il doit gagner la confiance du gréviste en le protégeant et en étant à son écoute. Dans ce contexte, la déontologie devient un acte de résistance. Le médecin, en protégeant la vie et la dignité, devient sentinelle face à la colonisation de l’éthique par l’État.

Jaouhar, miroir d’une nation au bord de la rupture

Le cas de Jaouhar résonne avec celui de tant d’autres journalistes, avocats, médecins ou militants emprisonnés. Tous racontent la même histoire : la lente érosion de l’espace démocratique.

Mais le cas de Jaouhar est plus brutal : il montre le point où le politique tente de s’approprier le corps lui-même. Sa grève de la faim n’est pas seulement une protestation : c’est un miroir tendu à une Tunisie qui hésite entre barbarie et dignité.

L’urgence du choix

Ce débat dépasse la technique. Il engage notre conscience collective.

La réalimentation forcée, le déni médical, la pression sur les soignants : rien de tout cela ne protège la vie. Tout cela sape les fondements moraux d’une nation.

Adopter un cadre clair, inspiré du CNEM et des standards internationaux, serait un acte de survie démocratique :

• Dire au pouvoir : voici vos limites ;

• Rappeler à la société : la dignité humaine est intangible ;

• Affirmer à Jaouhar : votre corps vous appartient.

Dans un pays où les voix libres sont méthodiquement étouffées, il reste parfois une seule profession capable de dire non : le médecin qui protège la vie sans jamais renoncer à la liberté.

Aujourd’hui, notre profession se tient face au corps fragile mais inflexible de Jaouhar Ben Mbarek, un homme qui a choisi de souffrir pour que la Tunisie se réveille pour la liberté de tous les citoyens. Et le médecin, fidèle à sa mission première, doit toujours agir comme protecteur de la santé et au-delà de la vie des patients, guidé uniquement par sa conscience et ses principes éthiques, sans jamais céder aux pressions de l’autorité ni aux calculs politiques ni états d’âme. Il doit gagner la confiance du patient. C’est là notre véritable responsabilité vis-à-vis de la société : toujours protéger la vie et la dignité humaine, toujours sans tenir compte d’aucun autre critère, toujours agir en notre âme et conscience.

* Pr Mohamed Salah Ben Ammar MD – MBA

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3 commentaires

  1. Vladimir Guez

    9 novembre 2025 | 14h42

    Ces lobotomisés qui se poussent du coude pour etre les premiers et les plus courageux a vocifer et s’embarquer pour Gaza et qui detournent le regard de crimes commis sous leur yeux et en leur nom paieront pendant des desonnheur et de desolation pour leur abandon des justes .

  2. bams55

    9 novembre 2025 | 13h35

    citoye_H
    Vous avez tout compris. Laissez le mourir de faim et laissons KS mettre en prison ses opposants. Vous vivrez heureux. Décidément a méchanceté n’a pas de limites

  3. Citoyen_H

    9 novembre 2025 | 10h20

    LE PROCHAIN ARTICLE TRAITERA PROBABLEMENT :

    Jaouhar, PRÉSIDENT !!
    Que Dieu nous protège et fasse en sorte de nous épargner de la même débâcle qui résulta du haut degré de son ignorance et de la manipulation, qui générèrent un « carnage » dans l’orientation électoraliste de la populace !
    Le Tounssi commun, a largement démontré, que tout au long de la période post-2011, il ne tira aucune leçon de ses erreurs qui menèrent le pays dans un marasme sans précédent.